photo et article tirés de NPA 29
Pendant l’essentiel de son histoire, le Mexique avait été dominé par une petite élite qui se taillait la part du lion, pendant que la majorité de la population vivait dans une écrasante misère.
L’opposition à Díaz émergea sous la direction de la bourgeoisie libérale. Mais le moteur réel de la révolution venait d’en bas. La classe ouvrière mexicaine, encore toute jeune, faisait ses premiers pas. D’importantes luttes secouèrent le pays, comme par exemple la grève des mineurs de Canaena. Sentant que le sol se dérobait sous ses pieds, le Général Díaz organisa des élections en 1910. Mais pour être certain de l’emporter, il jeta en prison son principal opposant, Madero.
Madero s’évada de prison et lança un appel à l’insurrection nationale. Mais pour être victorieuse, la lutte pour la démocratie devait se lier aux questions les plus urgentes qui agitaient la majorité de la population – c’est-à-dire la paysannerie. La lutte des paysans pour la terre était le moteur réel de la révolution. Les armées paysannes de Pancho Villa, dans le nord, et du dirigeant paysan Emiliano Zapata, dans le sud, harcelaient l’armée mexicaine.
La révolution permanente
Dans la « Révolution permanente », Léon Trotsky expliquait que la bourgeoisie des pays retardataires est incapable de mener à bien les tâches de la révolution bourgeoise-démocratique, du fait de ses liens avec les grands propriétaires terriens et les impérialistes.
Les banques ont des hypothèques sur des terres, les industriels ont de grandes propriétés dans le pays, les propriétaires terriens investissent dans l’industrie, etc. Tous sont liés entre eux et à l’impérialisme par une multitude d’intérêts qui les conduit à s’opposer à tout changement important.
Ainsi, dans la Russie de 1917, les tâches de la révolution bourgeoise-démocratique sont retom-bées sur les épaules de la classe ouvrière. Et la classe ouvrière russe s’attaqua immédiatement aux tâches socialistes : l’expropriation de la bourgeoisie et la construction d’un Etat ouvrier.
La faiblesse de la Révolution Mexicaine était la faiblesse d’une révolution paysanne. La paysan-nerie était assez forte pour renverser l’ordre existant, mais pas assez pour peser de façon décisive sur le destin du Mexique.
La décrépitude de l’ordre établi était telle, au Mexique, que les insurgés mexicains réussirent à prendre le dessus sur les forces gouvernementales, dans leurs régions respectives. En mai 1911, Díaz démissionna. Madero fut élu président du pays.
Mais le nouveau gouvernement bourgeois ne répondit pas aux attentes de la paysannerie insurgée. Sous la direction d’Emiliano Zapata, la guerre paysanne continua. Madero exhorta les paysans à attendre patiemment une réforme agraire en bonne et due forme, mais les paysans avaient entendu trop de promesses creuses de la part de gouvernements qui prétendaient se soucier de leurs intérêts.
Une guerre révolutionnaire
Madero prit le pouvoir en novembre 1911. Mais il fut arrêté et exécuté par des officiers réactionnaires en février 1913. Cela provoqua un nouveau soulèvement paysan. Zapata prit le pouvoir dans l’Etat de Morelos, où il mena à bien un programme agraire révolutionnaire. Il expulsa les propriétaires terriens et distribua leurs terres aux paysans. Les armées de Zapata et de Villa réussirent à vaincre un adversaire plus puissant, sur le papier, parce qu’elles menaient une guerre révolutionnaire contre des exploiteurs.
On retrouve ce phénomène dans toutes les révolutions. Comment les volontaires nu-pieds de la Convention ont-ils vaincu les armées royalistes d’Europe, pendant la révolution française ? Les armées apparemment terribles des vieux régimes étaient constituées de mercenaires ou d’esclaves qui se battaient pour une cause à laquelle ils ne croyaient pas.
La révolution agraire aurait pu être le point de départ d’un renversement social complet. Mais la différence est que les paysans mexicains n’ont pas trouvé de direction révolutionnaire, dans les villes. En conséquence, l’héroïsme des paysans n’a servi que de marchepied à la bourgeoisie mexicaine. Une fois au pouvoir, la bourgeoisie prépara la trahison de ses alliés paysans.
La couche supérieure de la bourgeoisie mexicaine craignait – à juste titre – que la solution révolutionnaire à la question agraire soit le début d’un assaut généralisé contre la propriété privée capitaliste. Son premier acte fut de se débarrasser du plus courageux des dirigeants révolutionnaires paysans. En 1919, Zapata fut assassiné.
Le bonapartisme
La suite des événements révéla cruellement les limites d’une révolution purement paysanne. Le meurtre de Zapata priva le mouvement paysan de toute possibilité de se développer comme une force cohérente et centralisée.
Zapata n’avait pas de parti, et son assassinat avait pour objectif de désorganiser et d’atomiser le mouvement révolutionnaire des campagnes. Cela réussit. Le mouvement révolutionnaire se scinda en de nombreuses fractions. Le pays entier sombra dans le chaos. Des unités de guérilla isolées parcouraient le pays en brûlant des haciendas et des ranchs. Elles dégénéraient souvent en banditisme pur et simple.
Aucune société ne peut subsister dans un état d’instabilité permanente. Les capitalistes aspiraient à « l’ordre ». Les masses étaient épuisées et leurs dirigeants n’avaient pas de perspectives. Finalement, la bourgeoisie mexicaine réussit à désamorcer la situation et à démobiliser les armées révolutionnaires paysannes.
Le politicien bourgeois Venustiano Carranza qui, en 1917, avait pris la présidence du pays, fit voter une nouvelle Constitution dont le point central était la réforme agraire. Une grande partie des terres fut distribuée aux paysans. Mais c’est la bourgeoisie qui en sortait réellement victorieuse.
De même que la Révolution Française s’acheva par le règne de Napoléon Bonaparte, la Révolution Mexicaine s’acheva sur un régime bourgeois de type clairement bonapartiste.
Après Carranza, d’autres politiciens ont mené des réformes, par exemple dans l’éducation et le domaine agraire. En manoeuvrant habilement entre les classes, la bourgeoisie mexicaine est parvenue à un degré de stabilité exceptionnel, en Amérique latine, pendant une longue période.
Rejeton de la Révolution Mexicaine, le PRI a toujours eu une aile gauche, qui s’appuyait sur les paysans et les ouvriers pour porter des coups à l’impérialisme. L’un des plus radicaux de ces dirigeants de gauche était le Général Cardenas. Il nationalisa l’industrie pétrolière mexicaine, en 1938. L’héritage de Lazare Cardenas a fourni au PRI une base de soutien durable, qui a duré pendant des décennies.
L’héritage que nous défendons
La révolution de 1910-20 a marqué un grand bond en avant, pour le Mexique. Elle a partielle-ment résolu la question agraire. Elle a détruit le pouvoir de la vieille oligarchie corrompue qui avait jusqu’alors dirigé le Mexique. Elle a posé les bases d’une industrialisation du pays, et donc de l’émergence d’une puissante classe ouvrière mexicaine. Mais en dernière analyse, la révolution est restée incomplète, inachevée et bancale.
Un siècle plus tard, la situation est complètement différente. La majorité de la population vit dans les villes. Le poids relatif du salariat s’est énormément accru. Avec les masses semi-ouvrières et les pauvres des villes et des campagnes, les travailleurs mexicains constituent la majorité décisi-ve de la société. Ils sont les dignes héritiers des traditions de Zapata et de la Révolution Mexicai-ne. Ils ont le pouvoir potentiel de transformer la société de haut en bas.
Il y a longtemps, Porfirio Diaz prononça la phrase célèbre : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des Etats-Unis. » Mais la dialectique impitoyable de l’Histoire a renversé cette relation. L’impérialisme américain, qui a longtemps exploité et opprimé le Mexique et le reste de l’Améri-que latine, vit désormais dans la peur de la vague révolutionnaire qui secoue le continent. L’Etat le plus puissant au monde peut élever des barrières pour empêcher l’entrée d’êtres humains sur son territoire ; mais il ne pourra pas empêcher la pénétration d’idées révolutionnaires.
Les craintes de l’impérialisme américain sont tout à fait fondées. Désormais, la population hispa-nique est la première minorité ethnique des Etats-Unis. Elle est composée, pour l’essentiel, des sections les plus pauvres et les plus exploitées de la société. Les mobilisations récentes de travailleurs immigrés, aux Etats-Unis, ont révélé un potentiel révolutionnaire considérable. Une révolution au Mexique serait l’étincelle mettant le feu aux poudres. Elle se répandrait rapidement à toute la société américaine, posant la question d’un changement fondamental dans le plus puissant des Etats capitalistes au monde.
La Révolution Mexicaine de 1910 fut une anticipation glorieuse des événements à venir.(Résumé voir lien)
15 décembre 2010 Alan Woods
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