Édition du 15 octobre 2024

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Québec

La COVID-19 dans les CHSLD : la tempête parfaite

Au cours de la semaine du 13 avril, plus de 145 CHSLD publics, privés, conventionnés et non conventionnés ont été au cœur de la tourmente. Plus de 4000 résidents sont atteints de la maladie, les morts de comptent par centaines, une partie du personnel est atteint, le manque de personnel est de plus de 2000, la contagion est hors contrôle. Le 21 avril, on précisait que 81,6 % des morts causées par la COVID-19 sont en provenance des résidences pour personnes âgées au Québec, soit 850 sur 1041des décès comptabilisés.

22 avril 2020

Cette catastrophe humanitaire résulte de décisions politiques prises au cours des 25 dernières années qui ont contribué à faire de la santé et des services sociaux une marchandise comme une autre. Depuis 1995, sous la gouverne de Lucien Bouchard, des compressions de plus d’un milliard $ sont imposées au réseau entre 1995-1998. On entre de plain-pied dans les virages : virage ambulatoire, virage milieu et désinstitutionalisation en santé mentale et en déficience physique ou intellectuelle. Des activités ont été transférées vers les entreprises d’économie sociale. Des tarifications, inexistantes dans les CLSC sont devenues la norme. Le dogme du « déficit zéro » a servi de caution à cette déstructuration de nos services de santé.
Le personnel qui travaillait dans les soins a vu augmenter le nombre de patients à soigner et à aider. Les services dits « d’hôtellerie », soit la buanderie, l’entretien et l’alimentation ont été soumis à la privatisation. Les agences de placement sont devenues des centres de main d’œuvre du secteur de la santé publique.

Les CHSLD sont devenus non plus des résidences mixtes où des aîné.e.s en grande difficulté côtoyaient des personnes victimes d’accidents de la route, mais des mouroirs où seules les personnes qui nécessitent 3,5 heures de soin par jour se retrouvent. Les personnes maintenues à domicile qui ne peuvent avoir un soutien suffisant du CLSC ou d’un groupe communautaire sont dirigées vers des établissements privés que sont les résidences pour personnes âgées puis vers des ressources intermédiaires si elles nécessitent 2 heures de soin par jour. Le lucratif marché des résidences privées en plein essor va de pair avec le marché des cliniques médicales privées, des services privés de radiologie, de rééducation, des centres de chirurgie d’un jour (hanche, genou, cataractes…) privés, des hôpitaux universitaires construits et gérés en PPP (CHUM, CSUM). Les médecins spécialistes et les médecins de famille y trouvent leur compte. Des cliniques de médecins de famille privées complètent cette trajectoire qui se poursuivra avec les maisons des aîné.e.s à venir.
Pour en arriver à réaliser toutes ces transformations faisant passer notre système public de santé à un modèle hybride public-privé, des lobbys, firmes de consultants et ressources ministérielles ont été mis à contribution.

Des groupes mis en place pour conseiller le gouvernement fournissent l’argumentaire nécessaire : Rapport Rochon (1988), Groupe de travail sur la complémentarité du privé dans la poursuite des objectifs fondamentaux du système de santé (1998), Groupe Arpin (1999) pour une plus grande place au privé dans la prestation de soins et de services directs à la population. La Loi sur l’équilibre budgétaire (loi 107) interdit en 2000 formellement aux établissements du réseau de cumuler les déficits. Le rapport de la Commission Clair propose de confier les services médicaux à des Groupes de médecine familiale (même si les cabinets appartiennent au secteur privé), renonçant ainsi à faire des CLSC la principale porte d’entrée du réseau. Les premiers contrats de performance sont imposés aux établissements du réseau de la santé et des services sociaux. (2001). La Loi 61, Loi sur l’Agence des partenariats public-privé du Québec (2004), ouvre la porte au privé dans le secteur immobilier de la rénovation et de la construction de super cliniques ou d’hôpitaux universitaires. La loi 33 (2005) abolit le Conseil de la santé et du bien-être gagné de haute lutte en 1992 pour forcer le ministère à prendre en compte les facteurs sociaux qui influent sur l’état de santé des populations. (2006) Les chirurgies d’un jour peuvent être faites dans des cliniques privées. Le rapport du comité́ Castonguay (2007) conduit à la réduction du nombre de lits dans les CHSLD. On ouvre la porte au privé en toute impunité.

Depuis 2003, les lois passées sous le bâillon ont permis de déstructurer les syndicats qui protégeaient les travailleuses et travailleurs de ces secteurs (loi 7, 8, 25, 30, 31). Le gouvernement Charest épaulé par le Dr Couillard s’immisce dans les compétences des syndicats et démantèle la structure syndicale en place dans le secteur de la santé. Cette première salve est complétée par la réforme Barette (2015) qui complète la déstabilisation des services de santé et de services sociaux. Les CISS et CIUSS sont mis en place et redécoupent l’organisation des services de santé en ces immenses entités qui gravitent autour des Centres hospitaliers (CH). Le gestionnaire est nommé par le Ministre de la santé, les décisions sont centralisées, les budgets régulés. Le message public est contrôlé, les salarié.e.s ne peuvent dénoncer des abus, manques criants qu’auprès de leur supérieur immédiat. Les syndicats ne sont plus au fait des données de chaque établissement de santé (budgets, nombre de cadres, embauches, …). Les tâches effectuées par des préposé.e.s au bénéficiaires, aux cuisines ou à l’entretien sanitaire sont soumises à une mobilité au sein du territoire du CIUSS.

AUSTÉRITÉ….., le dogme qui conduit à cette tempête parfaite dans les CHSLD.
À la faveur de la rentabilité des investissements des partenaires privés de l’immobilier, des pharmaceutiques, des philanthropes et des fondations, les gouvernement péquiste et libéraux des 25 dernières années se sont accolés au modèle managérial en vogue sous les poussées des instituts conseil et de recherche qui œuvrent mondialement à la privatisation et l’efficience des services publics.
Des appels à l’aide ont été lancés régulièrement ces dernières années pour dénoncer les conditions imposées aux aîné.e.s dans les CHSLD. La gestion de la crise de la COVID 19 montre que notre système de santé a failli. Nos ainé.e.s les plus vulnérables ont été abandonné.e.s à un personnel en nombre insuffisant, mal outillé (masques, jaquettes, équipements de dépistage, …), soumis à des décisions administratives qui en ont fait des propagateurs du virus auprès de celles et ceux qu’ils devaient protéger. Toute personne qui travaille au sein d’un CIUSS et voit le nombre des résidents être contaminés, voire mourir est grandement affectée par ce manquement.

Une sortie de crise ne sera possible que si les informations factuelles sont accessibles, si les équipements de protection le sont en nombre suffisant, si le personnel, protégé, en nombre suffisant est présent dans les CHSLD. Toutefois, nous ne pourrons faire l’économie au-delà ces mesures d’urgences, de tester pour savoir qui est infecté, déterminer qui a développé des anticorps pouvant apporter une certaine forme d’immunité à la COVID-19, et isoler les personnes atteintes. Il faut pour y arriver avoir des écouvillons en nombre suffisant, des tests de prévalences accessibles, des laboratoires en nombres suffisant pour analyser ces tests, des mesures de confinement maintenues pour les personnes infectées. Une longue marche à laquelle nous ne pouvons nous soustraire !

Ghislaine Raymond
22 avril 2020

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