Le fait de se présenter comme social-démocrate a pu confondre un certain nombre de personnes mais nous ne retrouverons pas grandes traces de sa social-démocratie dans les mois et les années suivantes. Un sondage publié en janvier 2011 révélait que 38% des personnes interrogées le situait au centre, 29% à droite et seulement 14% à gauche.1
Il est intéressant de rappeler que durant la campagne électorale de 2007 l’aspirant maire n’avait pas cru bon répondre aux questions de la Coalition régionale pour le droit au logement, il n’avait même pas envoyé d’accusé réception à la demande du groupe ; pour un social-démocrate c’est pas fort. C’était un premier exemple de l’importance qu’il accordera aux problèmes sociaux au cours des longues années qui ont suivi.
Le 2 décembre 2007 Régis Labeaume sera élu avec 59% des votes, en 2009 il fera un bond jusqu’à 79,9 %, léger recul en 2013 avec 74% puis recul plus significatif en 2017 avec 55% des votes. Il faut ajouter que le taux de participation oscillait autour de 50% révélant à chaque fois le manque d’intérêt d’une partie de la population pour l’élection municipale.
Le « règne » Labeaume est marqué par un certain nombre de faits souvent troublants, inquiétants ou choquants. C’est une période où les choses n’ont pas vraiment changées par rapport aux années Pelletier, Lamontagne ou Boucher. Nous continuons à subir une vision limitée de la démocratie, la stratégie du mépris à l’égard de plusieurs groupes est omniprésente de même que son antisyndicalisme répugnant. La Ville, durant ces années, poursuivra l’attitude de bienveillance à l’égard des milieux d’affaires, les promoteurs en particulier, qui nous confinera dans un type de développement et d’aménagement urbain inspirés par les appétits de ces milieux.
Une vision limitée de la démocratie
Le maire Labeaume voit le fonctionnement de la Ville comme une grosse boîte à gérer, comme une entreprise privée. Alors, les citoyennes et les citoyens deviennent davantage des clientes et des clients mais il semble qu’on ne cherche pas à répondre aux besoins de tout l’monde.
La faiblesse de la démocratie municipale sert bien les projets du maire. Il y existe une certaine centralisation malgré l’introduction des conseils de quartiers à l’époque du Rassemblement populaire qui cherchait à donner quelques moyens aux citoyennes et citoyens pour prendre des décisions sur un certain nombre de choses, notamment l’émission des permis de construction, de démolition ou de réaffectation de terrains ; nous sommes loin de cet énoncé actuellement à Québec.
L’implication citoyenne est demeurée limitée à des exercices de consultation nombreux, certes, mais qui n’impliquent aucunement une prise de décision. Seule une mobilisation des citoyennes et des citoyens pour obtenir un référendum sur un projet particulier permet une prise de décision. Évidemment, le recours au référendum est loin d’être encouragée par la ville et son maire. Si, en 2020, la Ville de Québec a décidé de maintenir la possibilité de tenir un référendum c’était motivé par l’insatisfaction du maire à l’égard d’une nouvelle loi du Québec qui selon lui créait plus d’embarras bureaucratiques.
Ajoutons que, fréquemment, le maire a rabroué des citoyennes et des citoyens posant une question avec un commentaire à l’occasion de séances du Conseil municipal. Si nous nous donnions un autre fonctionnement permettant à la population de participer concrètement aux prises de décision qui les concernent, les politiciens de la trempe de Labeaume ne pourraient intimider qui que ce soit dans l’exercice du pouvoir municipal.
Le mépris comme stratégie
Bien que j’aspire à une autre sorte de démocratie dans la ville, j’estime que dans la démocratie actuelle il est essentiel que les élu.e.s respectent leurs vis-à-vis et la population qu’il doivent représenter. Or, durant les mandats Labeaume nous avons pu assister, à l’inverse, à un comportement irrespectueux du maire à l’égard d’un nombre croissant de personnes et de groupes.
En plus, de rabrouer et insulter des citoyennes et des citoyens au Conseil municipal, le maire a multiplié les déclarations méprisantes dès le début de son mandat. Rappelons-nous ses insultes inacceptables à l’égard des brigadiers scolaires en affirmant qu’il était tombé en bas de sa chaise en apprenant qu’ils étaient payés alors qu’il croyait qu’ils étaient bénévoles. C’était en 2008. En 2019 il les attaquait encore dans le cadre des négociations de leur convention collective avec des coupures de 20% de l’horaire de travail de plus de 200 brigadiers scolaires. Lors des discussions sur le budget, à plusieurs occasions, il a cherché à justifier les coupes de postes de brigadiers.
Toujours en 2008, le nouveau maire traîte les employés municipaux de « foureurs de systèmes ». À plusieurs reprises, dans le cadre de négociations des conditions de travail, le maire a discrédité les employé.e.s de la ville. Souvent monsieur le maire utilise un ton et un langage qui « invite » la population à se révolter contre les personnes qui rendent les services comme ce fut le cas en janvier 2011 au sujet des régimes de retraite des employé.e.s de la ville en déclarant « Il y a sûrement un sentiment de révolte dans la population quant à la capacité de vivre une retraite normale. Il y a sûrement un fossé immense entre les employés du secteur public qui vont bénéficier d’une retraite qui leur offre une qualité de vie exceptionnelle et les trois quarts de la population qui n’ont pas de fonds de retraite. » Il oubliait que lui-même bénéficiait d’un généreux régime de retraite. Il oubliait aussi que la richesse se retrouve entre les mains d’une minorité d’individus dans une proportion scandaleuse et injuste pour la grande majorité de la population. Ses propos étaient empreints de mesquinerie et de dissimulation de la réalité.
Dans sa chronique du 23 septembre 2011 dans Le Soleil, Jean-Simon Gagné écrivait : « La dernière manie de M. le maire consiste à traiter de « fous » ceux qui ont le malheur de le contredire. Même qu’à l’entendre vociférer de la sorte, on a l’impression que la région constitue un vaste asile d’aliénés. Et que c’est à lui que revient la tâche de déterminer qui se trouve du bon côté du mur d’enceinte... »2
Il est inévitable de constater que Régis Labeaume est un antisyndical dangereux, non seulement dans le cadre des relations de travail mais aussi dès qu’une organisation syndicale est présente dans un dossier touchant la ville. Ce fut le cas en 2013 lorsque le maire défendait un projet de tour commerciale et résidentielle d’un promoteur privé sur la Place Jacques-Cartier et que la CSQ refusait de donner son accord. Monsieur le maire a accusé la CSQ d’être « dans le capitalisme jusqu’aux oreilles » et que la centrale syndicale était un « mauvais citoyen corporatif ». Dans un article paru dans Le Soleil le 5 avril 2013 la journaliste Annie Morin écrivait qu’au cours des mois précédents « Régis Labeaume a reçu des mises en demeure de l’Association des pompiers professionnels de Québec, du président du syndicat des cols blancs, Jean Gagnon, et de la directrice du Squat Basse-Ville, Louise Fortin, à la suite de déclarations publiques ». Bien entendu, il s’agissait d’insultes ou de faussetés.
Bienveillance envers les gens d’affaires, les promoteurs et les commerçants
Venant lui-même du milieu des affaires on peut comprendre son penchant pour ce milieu. Son orientation affairiste a teinté constamment sa vision du développement et de l’aménagement de la ville. Ce qui l’a amené à adopter une attitude très peu critique des différents projets qui se sont présentés au fil des années et, surtout, à négliger l’importance d’imposer des critères sociaux et environnementaux à ces projets.
Tout au long de ses mandats le maire Labeaume a suscité ou appuyé des projets pouvant satisfaire les promoteurs. Rappelons-nous l’association avec Pierre Karl Péladeau de Québecor et le projet de nouvel amphithéâtre qui prendra le nom de Vidéotron appartenant à Péladeau. Ce projet était « justifié » par l’idée de faire revenir à Québec les Nordiques et, on ne reculait devant rien, d’obtenir les Jeux olympiques d’hiver. Finalement, la Ligue nationale de hockey a rejeté la candidature de Québec, donc pas de Nordiques, et les Jeux olympiques n’ont pas eu plus de succès. Que de beaux efforts perdus, que d’argent gaspillé qui aurait pu servir à des choses plus utiles pour la communauté de Québec.
Dans le secteur de l’immobilier l’idée de construire une image de ville moderne tournait et tourne encore autour de la multiplication des hautes tours - des gratte-ciel peut-être (?) – alors que ce type de développement doit être mis de côté tant pour des considérations sociales qu’environnementales.
Le plus bel exemple de bévue à cet égard est sans doute Le Phare. Lorsque le promoteur présente son projet au maire, celui-ci demande de monter la tour principale à 65 étages. Le promoteur acquiesce, mais quelques années plus tard le projet ne fonctionnant pas, un autre promoteur prend le relais avec une tour de 53 étages. Le projet n’est pas plus acceptable et la Ville, avec son maire, se fout bien des objections des citoyennes et des citoyens du secteur touché dans l’arrondissement de Sainte-Foy. Inacceptable, ce projet l’était et son successeur Humaniti également parce qu’ils sont dépassés et irrecevables dans un contexte où le développement doit répondre à des critères plus proches des considérations humaines et environnementales.
La saga du tramway
En 2007, Régis Labeaume était opposé au tramway, au printemps 2009 il change d’avis et ses voyages en Europe l’ont amené à voir le tramway comme une possibilité d’attirer les promoteurs le long du trajet qui sera choisi.
Par la suite, les tergiversations ont été fréquentes particulièrement sur le trajet que devait emprunter le tramway. Après avoir confirmé le trajet du boulevard René-Lévesque avec en prime un tunnel pour passer sous le quartier Saint-Jean-Baptiste avant d’aboutir à la rue Bourlamaque. Un peu plus tard, après des protestations de commerçants, le tunnel sera ramené devant le Grand-Théâtre.
Au début, les deux terminus du tramway rejoignent d’un côté Charlesbourg et de l’autre le secteur Chaudière là où se trouvent un boisé et une zone humide qualifiés de milieu naturel d’intérêt ce qui laissait entendre qu’il devait être protégé.
Et un autre revirement survient avec l’intervention du gouvernement Legault qui critique le projet de tramway et exige de modifier le terminus à l’est de la ligne pour l’installer du côté de D’Estimauville plutôt qu’à Charlesbourg. On peut difficilement s’empêcher d’y voir un lien avec le projet de ZILE (Zone d’innovation Littoral Est) dans le quartier Maizerets. On le sait, ce projet vise à installer des entreprises de haute technologie sans tenir compte de la population qui réside dans les quartiers qui auront à subir les impacts de ce projet.
C’est aussi à ce moment qu’on nous ajoute ce projet inacceptable du tunnel Lévis-Québec qui aggravera encore plus la circulation automobile au centre-ville de Québec sans oublier les conséquences environnementales négatives à une époque où tous les efforts doivent être consacrés à la lutte aux changements climatiques.
Dans ce dossier le maire Labeaume a changé plusieurs fois de position mais ses préoccupations environnementales et sociales ne se sont pas révélées plus grandes qu’avant. Pour lui, la ZILE, le projet Laurentia d’agrandissement du Port de Québec ou le tunnel sont bienvenus. Dans le cas du tunnel le maire a déclaré « Voilà une excellente retombée de ce grand plan, et cela est tout à fait heureux. »3 Il considérait que le projet de tunnel de la CAQ améliorait le projet de réseau structurant. Pitoyable.
Changer la ville de Québec : une nécessité à tous point de vue
Il y aurait bien d’autres choses à aborder sur l’ère Labeaume, il faudrait peut-être des centaines de pages. Mais il faut conclure cet article. Alors, j’insisterai sur l’importance de changer la ville de Québec. D’abord du point de vue de la démocratie évidemment, mais aussi en termes de vision davantage tournée vers l’égalité sociale et la lutte aux changements climatiques.
Changer la démocratie actuelle en créant les conditions pour que les citoyennes et les citoyens disposent réellement du pouvoir sur les décisions à prendre pour construire une ville nouvelle libérée des élites du pouvoir et du pouvoir du capital. Pour y arriver il faut, par exemple, donner plus de pouvoir et de moyens financiers aux conseils de quartier.
L’égalité sociale implique un ensemble de mesures favorisant l’accès à du logement pour toutes les personnes à un prix non seulement abordable mais aussi à l’abri de la spéculation foncière qui provoque une surenchère du coût du logement. De plus, il est essentiel de viser l’accessibilité à la mobilité pour tous et toutes, sans discrimination ; pour y arriver il faut étendre de plus en plus le réseau de transport en commun et le rendre gratuit à court terme. L’égalité sociale exige également un développement et des aménagements urbains à échelle humaine.
Nous avons besoin d’une ville inclusive et accueillante pour toutes les personnes qui y vivent. Une ville inclusive signifie le rejet de toutes formes de discrimination particulièrement le racisme.
Enfin, nous ne pouvons plus l’ignorer, la lutte aux changements climatiques signifie que la ville assume pleinement son rôle et ses responsabilités pour arriver à créer un environnement libéré de toute forme de pollution ; ça passe par la protection des arbres, des milieu humides, des boisés, des terres agricoles qu’il nous restent, de nos ressources en eau, mais aussi par l’élimination de toutes les sources de pollution qu’elles viennent des véhicules fonctionnant avec du pétrole, d’une consommation générale trop intense, de la production de quantités de déchets insupportables et vous pouvez sans doute en ajouter d’autres.
Serge Roy
NOTES
1.Le Soleil, Sondage Segma-Le Soleil : un maire au centre droit.
2.Jean-Simon Gagné, Le Soleil, 23 septembre 2011, Au pays de Fanfaron 1er, https://www.lesoleil.com/recherche?q=Au%20pays%20de%20Fanfaron%201er%20
3.- Le troisième lien Québec-Lévis pourrait coûter près de 10 milliards, Isabelle Porter, Le Devoir 18 mai 2021.
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