Ces deux meurtres étaient de toute évidence des règlements de comptes, les victimes étant toutes deux liées au crime organisé. Ils constituaient, si je ne m’abuse, les vingtième et vingt-et-unième meurtres de l’année à Montréal. DE L’ANNÉE ! Dans une ville de deux millions d’habitants. Et nous sommes à la fin d’août. Cette statistique se compare très avantageusement à celles de n’importe quelle ville de taille semblable à travers le monde, y compris Toronto. La vérité, c’est que Montréal est l’une des villes les plus sûres et pacifiques de la planète.
Rien qu’à l’échelle du Canada, Montréal se classe, pour les années 2019 à 2021, au trentième rang sur les 38 zones urbaines recensées par Statistiques Canada, avec un meurtre par 100 000 habitants, comparativement à 6,1 meurtres pour Thunder Bay et 5,2 pour Winnipeg. La moyenne nationale en zone urbaine est de deux meurtres par 100 000 habitants : Montréal n’en déplore donc que la moitié.
Depuis les années 1970, j’ai vécu à Montréal deux guerres de motards et autant de guerres de succession à la tête de la mafia montréalaise. Les cadavres tombaient comme des mouches. La confrontation entre le clan Dubois et le clan Cotroni, notamment, avait fait couler des fleuves de sang. On se souviendra aussi de la guerre particulièrement violente que se sont livré les Hells Angels et les Rock Machines au tournant des années 2000.
Par comparaison, le 21e siècle se révèle, jusqu’à présent, infiniment plus paisible et pacifique. Jusqu’au prochain affrontement entre groupes criminels, sans doute.
La droite réactionnaire raffole des thèses complotistes, et l’on n’a pas tardé à pointer du doigt la mairesse de Montréal qu’on accuse, malgré ses protestations indignées, de vouloir « définancer » la police et de détourner des fonds qui lui sont destinés. Dans leur narration, non seulement Montréal est devenue un enfer où règne la violence, mais la faute en est entièrement imputable à la première magistrate de la ville. On ne s’embarrasse pas de nuances chez les complotistes de droite, et encore moins de la véracité des faits.
Valérie Plante, qui fait montre d’un pragmatisme étonnant à la mairie de Montréal, n’en incarne pas moins, aux yeux des réactionnaires, tout ce qu’ils détestent : premièrement, c’est une femme, la première mairesse de l’histoire de la métropole, mais surtout, elle tient un discours plutôt social et inclusif (même si les paroles ne sont pas toujours suivies d’actions concrètes) qui la range automatiquement dans le camp des « wokes ». C’est l’étiquette magique qui discrédite par avance tout commentaire, toute réflexion, toute proposition. Si vous êtes « woke », il est inutile d’entendre ce que vous avez à dire, on sait bien mieux que vous qui vous êtes, ce que vous voulez et quelles sont les idées que vous défendez.
Bien sûr, on ne saurait nier que l’accroissement des tirs d’armes à feu représentent un phénomène inquiétant dont il faut s’occuper. Mais s’interroge-t-on assez sur les causes véritables du phénomène ? Se demande-t-on, par exemple, si ce n’est pas la peur, justement, qui pousse tant de jeunes gens à s’armer, particulièrement dans les quartiers les plus défavorisés ? Qui, parmi nos décideurs, s’efforce de comprendre le désarroi d’atteindre l’âge adulte dans un monde qui ne procure aucun rêve, aucun horizon, aucune espérance à ces jeunes ? Notre société a-t-elle autre chose à leur offrir que la violence de leur condition ?
Les femmes autochtones représentent 40 % de la population carcérale féminine au Canada. S’interroge-t-on seulement, « en haut lieu », sur les raisons de cette disproportion ahurissante ? Au lieu de réclamer toujours plus de police, de répression, de prisons qui ne réhabilitent personne parce qu’elles ne sont pas conçues pour ça, pourquoi ne demande-t-on pas où sont les ressources en santé mentale, en intervention sociale, en éducation ? Pourquoi ne met-on pas tout en œuvre pour assurer une vie décente aux plus pauvres de la société ? Pourquoi refuse-t-on obstinément d’admettre l’existence de la discrimination systémique et du profilage racial, et par conséquent de s’attaquer à ces fléaux ? Pourquoi laisse-t-on tant de membres des Premiers Peuples croupir dans une misère abjecte, au lieu de leur donner les moyens de leur autonomisation et de leur émancipation ?
Toujours plus de répression, de police et de prisons, c’est une logique brutale, archaïque, qui ne peut produire qu’une spirale de violence : il suffit de tourner nos regards vers nos voisins du sud, le pays du monde où l’on emprisonne le plus (surtout les pauvres et les membres de minorités, comme partout) et où les crimes violents et les meurtres par armes à feu sont les plus nombreux. S’il suffisait d’accroître la répression pour que le crime diminue, plusieurs États des « US of A » devraient être totalement exempts de crimes, alors que ce sont les États où la criminalité est la plus forte. Ce n’est pas une coïncidence.
La devise du SPVM est « protéger et servir ». Elle résume parfaitement la raison d’être de toutes les polices du monde : protéger l’ordre établi et servir les classes dominantes. La seule vraie fonction de la répression policière, dans n’importe quel pays, c’est de faire la guerre aux pauvres, aux minorités et aux révolutionnaires, pour que chacun·e reste bien à sa place et ne vienne pas perturber les affaires courantes.
Ceux qui réclament toujours plus de police en montant en épingle le moindre incident violent (comme si un regroupement de plusieurs millions d’êtres humains pouvait être totalement exempt de violence) montrent surtout à quelle enseigne ils logent. Et ce n’est pas celle de la justice ni de l’équité sociale. Malheureusement, certains sont incapables d’envisager une société autrement que comme un rapport de force, et se rangent toujours, par lâcheté, du côté du plus fort.
– Pascale Cormier, 29 août 2022
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