Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Racisme

L’islamophobie et l’impérialisme dans l’Amérique d’Obama

Quelque part à Manhattan, le 24 août en fin de soirée, un jeune homme en état d’ébriété est entré dans un taxi. Après une brève conversation lui ayant permis de confirmer que le chauffeur, Ahmed Sharif, était de religion musulmane, l’étudiant de 21 ans, Michael Enright, s’est mis à le poignarder en lui disant de considérer qu’il était à un « check point ». Le chauffeur a subi des blessures graves aux bras, à la tête et à la poitrine. Selon les experts de la police, il s’en est fallu de peu pour que l’attaque soit fatale. L’agresseur, qui revenait d’une opération civile en Afghanistan ou il avait filmé les opérations de soldats étasuniens, est accusé de tentative de meurtre et de crime haineux.

Le 10 mai, un homme a déposé une bombe artisanale à l’entrée d’une mosquée à Jacksonville, en Floride. Malgré la diffusion d’une video tirée d’une caméra de surveillance, aucun suspect n’a été appréhendé à ce jour. La bombe a explosé durant la prière du vendredi soir. Seuls des dommages matériels ont été causés. Si elle avait été placée plus près du lieu de prière, elle aurait sans doute tué plusieurs personnes.

Dans la nuit du 28 août, un incendie criminel a détruit une partie du chantier de construction d’un nouveau centre culturel islamique en banlieue de Nashville, au Tennessee. Des manifestations avaient été organisées par des groupes chrétiens de droite locaux contre le projet.

Vers la fin du mois de juillet, une petite congrégation protestante fondamentaliste de Gainesville, en Floride, a annoncé son invitation à brûler le Coran le 11 septembre, pour protester contre ce qu’ils considèrent comme « une religion du diable » en général, et en particulier contre la prétendue « Mosquée de Ground Zero ». Après avoir subi de multiples pressions (notamment de la part du procureur général des États-Unis et de plusieurs organisations chrétiennes) pour abandonner cette action, le prédicateur, Terry Jones, s’est finalement désisté. Il continue toutefois à diffuser une brochure affirmant que l’Islam est une religion démoniaque. La même secte avait fait campagne contre le maire de la ville à cause de son homosexualité.

Un climat d’islamophobie généralisée

On pourrait croire que les faits relatés ci-dessus sont des incidents isolés attribuable à l’ignorance et au fanatisme de quelques individus. Mais c’est beaucoup plus que cela. Neuf ans après les attentats du 11 septembre, les États-Unis sont en proie à une vague de mobilisations et d’actions islamophobes. Le projet de centre culturel musulman à quelques pâtés de maison des ruines du World Trade Center sert de prétexte et de point de ralliement pour cette opération coïncidant avec la campagne en vue des élections au Congrès au début novembre.

Le fait est que le projet baptisé « 41 Park Place », qui comprendra un gymnase, une école de cuisine et un espace de prière, ne sera pas une mosquée et ne sera pas visible à partir de la zone entourant le futur World Trade Centre. Il s’agit en fait d’une sorte de YMCA musulman. Mais les faits sont ignorés systématiquement par les bigots, les personnalités médiatiques de droite et les politiciens opportunistes. Par exemple, le fait qu’un des appuis financiers pour le projet, le prince saoudien Al-Waleed bin Talal, est le deuxième actionnaire en importance du poste de nouvelles continues de la droite américaine, FOX NEWS !

L’enjeu de la prétendue « Mosquée de Ground Zero » (une appellation conçue pour évoquer le maximum d’hostilité islamophobe en associant les attentats du 11 septembre avec l’Islam en général) est utilisée à plein par le parti républicain pour créer une diversion et apparaître comme le parti le plus patriotiques et le plus nationaliste, pendant que les « libéraux » démocrates sont présentés comme « mous » face à la menace islamique. Déjà, le leader démocrate au Sénat, Harry Reid, s’est prononcé contre le projet du 41 Park Place, même si son élection est au Nevada !

Cette diversion xénophobe est bien utile aux Républicains qui ont du mal à axer leur campagne sur le maintien des réductions d’impôt adoptées sous George Bush pour les Américains les plus riches. L’arrivée à échéance de cette baisse d’impôt temporaire constitue un enjeu de taille alors que le gouvernement fédéral fait face à un déficit record équivalent à environ 10% du PIB. Les Républicains peuvent aussi difficilement faire campagne contre la réforme de la santé ou contre la régulation du secteur financier, deux réformes clés de l’administration Obama. Miser sur la peur et les préjugés, entre autre contre l’immigration dite illégale, est une stratégie obligée et consolide la dérive de ce parti vers l’extrême-droite. Le mouvement Tea Party, animé par des démagogues comme Glenn Beck et Sarah Palin accroît constamment son influence sur le parti de Lincoln et marginalise de plus en plus les modérés favorables au droit à l’avortement ou aux droits des gais, par exemple. Les candidats associés à ce mouvement d’extrême-droite populiste ont déjà délogé plusieurs politiciens traditionnels dans les courses à la nomination en prévision des élections de novembre.

La campagne autour de la « Mosquée » s’appuie sur neuf ans de propagande haineuse de la part des media de droite étasuniens, au premier chef FOX-NEWS et les animateurs de radio-poubelles comme Rush Limbaugh, Glenn Beck ou Ann Coulter. La droite chrétienne fondamentaliste y est aussi pour beaucoup. Par exemple, l’American Families Association (AFA), qui affiche 2 millions de supporteurs sur son site Internet rempli de propos racistes contre les Musulmans, fait campagne pour qu’on cesse toute construction de nouvelles mosquées aux États-Unis.

Certains media et plusieurs chefs politiques répètent ad nauseam depuis des années que le terrorisme est propre à l’Islam. Comme s’il pouvait y avoir un rapport quelconque entre une tactique aussi vieille que la guerre elle-même et employée par toutes sortes de mouvements politiques contemporains (des nationalistes catholiques d’Irlande du Nord, des séparatistes Basques, des Tamouls du Sri Lanka, des sionistes d’avant la fondation d’Israël, des groupes Palestiniens laïques et de gauche… et cetains membres de l’extrème-droite étasunienne elle-même) pourrait appartenir en propre à une religion ayant un milliard et demi d’adhérents. L’irrationalité de cette notion ne l’a pas empêchée de se répandre dans la culture populaire.

Au-delà de la droite fanatique, des personnalités politiques et médiatiques respectables on répété depuis neuf ans que les ennemis de l’Amérique sont les « Musulmans radicaux ». Comme si la différence entre les auteurs d’attentats et les autres Musulmans était une question de degré, certains étant « plus radicalement musulmans » que les autres. Il faut comprendre que l’adéquation Islam=extrémisme=terrorisme est essentielle à l’idéologie de la « guerre contre le terrorisme » qui justifie les opérations meurtrières en cours en Irak, en Afghanistan, en Palestine et ailleurs, par les puissances impérialistes et leurs alliés. Un des commandants de la guerre en Irak avait fait une tournée de quelques églises en disant que les États-Unis gagneraient cette guerre à cause de la supériorité du Christianisme. Le boycott du gouvernement Palestinien - élu le plus démocratiquement du monde au début de 2006 - par toutes les puissances occidentales, se justifie par le caractère islamiste du principal parti de la coalition ayant remporté les élections, le Hamas, autant sinon plus, que pas son refus de reconnaître Israël tant que Israël n’aura pas reconnu la Palestine.

Comment blâmer quelques individus qui considèrent acceptable de tuer des Musulmans sur le sol américain quand leur État tue des Musulmans pratiquement à chaque jour par ses guerres d’occupation et que celles-ci sont justifiées au nom d’une prétendue menace musulmane ? Le terrorisme d’État est toujours le plus meurtrier. Une bombe à la fine pointe de la technologie larguée par un avion tue des civils (les dommages collatéraux) avec encore plus de force qu’une bombe artisanale disposée sur un trottoir. Depuis neuf ans que les États-Unis ont décidé d’envahir l’Afghanistan, les estimations quant aux morts civiles causées par les opérations des forces étrangères vont de 9000 à 28 500, soit entre 3 et 9 fois et demi les attentats du 11 septembre. Environ un million d’Iraquiennes et d’Iraquiens sont morts à cause des deux guerres imnpérialistes et des 12 ans de sanctions. Devrions-nous condamner le christianisme (religion commune à la grande majorité des dirigeants politiques étasuniens) en bloc pour cette raison ?

L’islamophobie, avant-garde du racisme

En plus d’être un outil précieux pour l’impérialisme, l’islamophobie sert de fer de lance à tout ce qu’il peut y avoir de racisme dans le monde occidental. À travers l’Europe, l’extrême-droite n’a plus besoin de faire campagne contre les Arabes, les Pakistanais ou les Turques. Ce sont les Musulmans qui posent problème et devraient être déportés, privés de droits, stigmatisés, etc. Aux États-Unis, l’Islam est associée aux Noirs depuis des décennies, en plus des personnes originaires du Moyen-Orient et d’Asie du Sud. Historiquement, l’Islam étasunien a été identifié à des personnalités afro-américaines comme Mohamed Ali ou Malcolm X. Dans un pays où la lutte contre le racisme rallie la grande majorité de la population, il est en effet plus acceptable d’attaquer Obama en le traitant de communiste ou en l’accusant d’être un méchant Musulman d’origine étrangère.

D’ailleurs, un sondage de l’institut PEW mené à la fin juillet auprès de 3000 répondants indique que 18% des Américains croient que le président Obama est Musulman. Cette fausseté répandue par des conspirationistes et des racistes divers est associée à une autre croyance soit que le président actuel ne serait pas né à Hawaii mais au Kenya, pays d’origine de son père. Les deux tiers des personnes qui croient que Obama est Musulman (malgré toute la controverse entourant son ancien pasteur baptiste…) désapprouvent son administration, tandis que la majorité de ceux qui le croient chrétien approuvent sa performance. Un autre sondage, mené par Angus Reid l’automne dernier, révélait que 30% des Américains croient que le Président d’est pas né aux États-Unis. Cette proportion tombe à 15% chez les électeurs démocrates mais monte à 50% du côté des républicains.

Ce court article ne fait qu’effleurer la surface d’un phénomène idéologique d’une grande importance et dont les conséquences politiques pourraient s’avérer désastreuses. La contagion islamophobe a déjà désarmé une partie de la gauche et légitimé des attaques contre les droits fondamentaux dans de nombreux pays. Toute la gauche occidentale devrait faire de la lutte contre l’islamophobie une priorité. L’efficacité de notre combat contre l’impérialisme, le racisme et la guerre en dépend. L’Islam n’est pas la cause de nos problèmes. La guerre, l’intolérance et la discrimination ne sont jamais des solutions.

Benoit Renaud

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