Édition du 17 décembre 2024

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Médias

L’information est une arme (1) : les horreurs de Boutcha

La Russie, comme toutes les très grandes puissances, est capable de se livrer à des crimes de guerre. On mentionne souvent à titre d’exemples ses interventions à Grozny en Tchétchénie, à Gori en Géorgie ou à Alep en Syrie.

Quoi qu’il en soit, elle a clairement commis l’irréparable en envahissant l’Ukraine. Faudrait-il donc s’étonner de la voir commettre des crimes de guerre à Marioupol, voire à Boutcha en banlieue de Kiev ? Il n’y a en tout cas pas de mots pour exprimer le sentiment d’horreur qui nous envahit à la vue d’images totalement insupportables.

En même temps, n’oublions pas que la vérité est aussi très souvent la première victime de la guerre. Très tôt au début de l’invasion russe, diverses « nouvelles » nous sont parvenues d’Ukraine qui semblent avoir été des « fake news ». On apprit que quatorze soldats ukrainiens étaient morts en héros sur l’Ile aux serpents le 24 février. On fit état du bombardement de la route qui devait pourtant, selon les Russes, permettre aux citoyens de quitter Marioupol. On souligna l’horreur d’apprendre qu’une bombe lancée sur le théâtre de cette ville aurait fait 300 morts. Or, il semble que les 14 soldats ukrainiens ne sont pas morts. Ils ont été faits prisonniers1. C’est en outre peut-être le régiment Azov qui a bombardé les autobus en partance de Marioupol, car les Russes n’avaient aucun intérêt à empêcher cette évacuation, alors que les citoyens pouvaient servir de boucliers humains au régiment Azov. Il semble aussi possible que le théâtre de Marioupol ait été détruit par une explosion survenue de l’intérieur et non par une bombe lancée de l’extérieur, et que les trois cents personnes qui s’y étaient réfugiées en sont toutes sorties indemnes2. Qu’en est-il cependant de l’hôpital de Marioupol ? Les Russes ont-ils raison d’affirmer que le régiment Azov avait évacué auparavant le personnel soignant et les patients, afin d’occuper eux-mêmes les lieux ?3

Le mensonge en perspective

Quelles que soient les réponses que l’on donne à toutes ces interrogations, la guerre est presque toujours accompagnée de ce que Michel Collon appelle des ‘médias mensonges’. Ainsi en est-il de la pouponnière de Koweit city dans laquelle des soldats irakiens seraient entrés en 1993. Ils auraient lancé les bébés sur le plancher pour les laisser mourir. Or, la prétendue infirmière témoin de cette horreur était en fait la fille de l’ambassadeur du Koweit aux États-Unis et elle aurait inventé cette histoire de toute pièce. Un autre média mensonge aura été la « stratégie du fer à cheval » supposément déployée par le serbe Slobodan Milosevic en 1999, comme moyen de cerner les Kosovars afin de procéder à un génocide. On n’a jamais pu démontrer que cette stratégie avait vraiment existé et la procureure Carla del Ponte ne l’a même pas évoquée dans son acte d’accusation contre Milosevic. On connait aussi l’histoire des armes de destruction massive qui n’existaient pas en Irak, bien que les citoyens occidentaux soient pour la plupart encore convaincus que les services de renseignement américains se sont tout simplement trompés. Ils résistent encore à l’idée qu’il s’agissait d’un mensonge éhonté, d’une fausse preuve volontairement concoctée, tout comme celle associant Saddam Hussein à l’attentat visant les deux tours du World Trade Center. On peut également émettre des doutes au sujet de l’histoire selon laquelle Mouammar Kadhafi aurait pris la décision de bombarder Benghazi. C’était un autre artifice commode pour justifier l’intervention militaire de certains pays de l’OTAN. Des doutes persistent aussi sur la responsabilité de Bachar Al Assad accusé d’avoir fait usage d’armes chimiques à Alep. De telles « nouvelles » ont parfois d’abord et avant tout comme fonction de susciter l’indignation et justifier une intervention. Pas besoin d’être un complotiste pour comprendre l’intérêt médiatique qu’une entité belligérante a de produire des « fake news » pour masquer des bavures ou pour justifier une intervention militaire. Ça vaut pour les Russes, mais aussi pour les États-Unis.

Se pourrait-il alors que les 400 morts trouvés à Boutcha n’aient pas été tués par des soldats russes ?4 J’ai plutôt eu le réflexe de croire la nouvelle telle qu’elle a, au départ, été racontée. Cela ne m’empêche pas d’être prudent et capable d’admettre que la propagande est aussi une arme de guerre et qu’elle est peut-être en cause même à Boutcha5. Cela ne m’empêche surtout pas d’apercevoir les autres horreurs que l’on préfère ne pas nous montrer, parce qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’Occident de nous les faire regarder. Et ici, je ne songe pas qu’aux horreurs ayant eu cours ailleurs dans le monde et qui sont, ou ont été, perpétrées par les États-Unis. Je songe plutôt à celles survenues sur le territoire même de l’Ukraine. Depuis 2014, des milices pro-ukrainiennes n’ont cessé d’attaquer les minorités russophones du Donbass. Cette guerre interne à l’Ukraine aurait fait plus de 14 000 morts6, dont la plupart du côté des minorités russophones. Ces milliers de morts n’ont même pas eu droit à des « caméos » dans le cinéma de propagande que nous projettent les grands médias. Je me demande aussi ce que font sur le territoire ukrainien des laboratoires d’armes chimiques dont on ne nie même pas l’existence. On craint seulement qu’elles tombent dans les mains des Russes. Cela aussi est un fait commode que nos médias préfèrent ignorer. Si ces laboratoires font des recherches inoffensives, pourquoi alors faudrait-il s’inquiéter de voir les Russes s’en emparer ?7

Pour saisir toute l’horreur du monde, il ne faut pas regarder que d’un seul côté. Sinon, on participe involontairement à l’escalade entre les superpuissances, et on trempe involontairement les mains dans le sang odieux de leurs impitoyables violences.

Notes
1.https://www.rtbf.be/article/ces-publications-sur-des-soldats-ukrainiens-decedes-en-heros-sur-lile-des-serpents-sont-trompeuses-10949616
2. https://www.youtube.com/watch?v=dZfu4sTF7mw&ab_channel=Investig%27Action
3.https://thegrayzone.com/2022/04/03/testimony-mariupol-hospital-ukrainian-deceptions-media-malpractice/
4. https://www.youtube.com/watch?v=8moZ7S4voe4
5.https://www.youtube.com/watch?v=CD-vpG9--7g&ab_channel=Investig%27Action
6.https://ukraine.un.org/sites/default/files/2022-02/Conflict-related%20civilian%20casualties%20as%20of%2031%20December%202021%20%28rev%2027%20January%202022%29%20corr%20EN_0.pdf
7. https://www.youtube.com/watch?v=Y39veTO7kF4&t=71s&ab_channel=GlennGreenwald

Michel Seymour

Profs contre la hausse

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