3 avril 2024 |tiré de pivot.quebec
Face au projet du gouvernement Legault de doubler la production d’électricité, Charles-Félix Ross, le directeur général de l’Union des producteurs agricoles, appelle à la vigilance et la mobilisation citoyennes. L’UPA s’oppose notamment à l’implantation des éoliennes sur des terres agricoles. M. Ross appelle à une mobilisation aussi efficace que celle qui a eu raison des projets d’exploitation de gaz de schiste et de transport de gaz naturel liquéfié.
Dans son plan d’action déposé cet hiver, Hydro-Québec vise une production de 400 térawatts-heures (TWh) à l’horizon 2050, contre environ 200 TWh aujourd’hui.
La hausse est déjà en cours. En mars 2023, Hydro-Québec a lancé un appel d’offres pour l’acquisition de 1500 mégawatts (MW) d’énergie éolienne additionnelle, entièrement privée.
Les promoteurs font le tour des campagnes. L’Union des producteurs agricoles (UPA) a un message pour eux : « allez ailleurs ! »
Pourquoi l’UPA s’oppose-t-elle à l’implantation d’éoliennes sur les terres agricoles ?
Charles-Félix Ross : Les terres agricoles sont une ressource rare et non renouvelable. Elles servent à nourrir les populations. Elles doivent être protégées et conservées pour les prochaines générations. C’est une responsabilité collective.
Au Québec, la superficie des terres en culture est de 0,24 hectare par habitant. C’est le taux le plus bas au sein de l’OCDE [l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe 38 pays développés]. Aux États-Unis, ce taux est de 1,52 hectare par habitant.
La zone agricole est constamment grugée et grignotée par des développements de toutes sortes. En plus des superficies exclues de la zone agricole, des milliers d’hectares ont été sacrifiés pour des « utilisations non agricoles » (UNA) en zone verte. Depuis 25 ans, la perte réelle représente 57 000 hectares [570 km2, soit plus que l’île de Montréal].
Les UNA sont une approche sournoise. Les terres visées par leur implantation demeurent comptabilisées en zone verte. Or, elles perdent leur vocation agricole et, plus souvent qu’autrement, de manière irrémédiable.
L’implantation de parcs éoliens en zone agricole est un exemple type d’UNA.
Imaginez 3000 à 5000 éoliennes sur le territoire agricole du Québec, soit le nombre nécessaire pour répondre à la demande d’Hydro-Québec. Imaginez tous les ennuis et inconvénients de ces installations pour la pratique de l’agriculture. Imaginez la perte de territoire. Imaginez le réseau souterrain, l’immense toile d’araignée de chemins pour raccorder toutes ces éoliennes au réseau d’Hydro-Québec. Imaginez, enfin, l’appétit de promoteurs de toutes sortes qui voudront s’installer en marge de ces parcs pour bénéficier de cette énergie.
Lors d’un colloque sur l’avenir de l’énergie tenu à Montréal le 28 mars, vous avez parlé de « Far West ». Que voulez-vous dire ?
Charles-Félix Ross : Le principe de base de l’aménagement du territoire, c’est la planification. Le gouvernement du Québec devrait dire où sont les meilleurs gisements de vent. Mais ce n’est pas ce qui se passe.
Hydro-Québec dit « j’ai besoin de 1500 mégawatts » et lance des appels d’offres. Les offres sont retenues selon divers critères. L’un d’eux, auquel la grille d’analyse accorde beaucoup de points, c’est la proximité du réseau, soit la facilité de connecter les éoliennes au réseau de transport. Autrement dit, ce qui prime, ce sont les coûts, pas la protection des ressources ou le potentiel des gisements de vent.
« Les représentants des compagnies font le démarchage selon leurs critères de rentabilité. »
Le gouvernement se dégage de toute planification. L’implantation des éoliennes se fait de façon anarchique. C’est effectivement le Far West. Hydro dit aux compagnies privées : « faites vos démarches, on va prendre votre production ». C’est un peu n’importe quoi. Les représentants des compagnies font le démarchage auprès des producteurs agricoles et des municipalités selon leurs critères de rentabilité.
Hydro-Québec entrevoit la construction de 5000 kilomètres de ligne de transport pour raccorder la production privée d’électricité éolienne et solaire. Les coûts de raccordement seront aux frais de la société d’État.
Lors de ce même colloque, vous avez évoqué les tensions que provoquent les projets d’éoliennes parmi les producteurs agricoles…
Charles-Félix Ross : L’une des pires nuisances du développement éolien est la division qu’il provoque au sein des communautés. Aujourd’hui, il y a des citoyens, des agriculteurs, amis jadis, qui ne se parlent plus, qui se détestent. Des citoyens en colère, en guerre, avec des voisins qui ont pris la décision de participer à un projet éolien, à l’encontre de leur volonté et souvent de celle de la majorité.
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Dans ces cas, cette décision individuelle, souvent motivée par des intérêts financiers, est imposée aux autres qui en subissent les conséquences visuelles, sonores et autres, allant de la perte de territoire à la restriction de certaines activités, en passant par des impacts environnementaux insoupçonnés.
Hydro-Québec peut exproprier un producteur agricole pour passer une ligne de transport qui va se brancher à l’éolienne sur la terre du voisin. Des gens vont subir le choix des autres.
Mais au bout du compte, est-ce que l’intérêt collectif n’est pas bien servi ?
Charles-Félix Ross : C’est le contraire. D’un point de vue collectif, le plan d’action d’Hydro-Québec et du gouvernement n’est pas rentable pour la société.
Leur prémisse de base, c’est qu’on va décarboner l’économie et électrifier les transports. On a de cinq à six millions de véhicules au Québec : va-t-on les remplacer par des Tesla fabriquées en Chine avec du charbon ? Si on électrifie tous ces véhicules, oui, on va manquer d’électricité. Mais pourrait-on plutôt viser une diminution du parc automobile, une densification de l’habitat, le développement et l’électrification du transport en commun ?
Dire qu’on va décarboner le Québec en doublant la capacité de production d’énergie, c’est un non-sens. C’est un objectif démesuré.
« Si les gens se mobilisent contre ces plans démesurés de doubler la production d’électricité, le gouvernement devra reculer. »
En ce qui concerne les éoliennes, il faut voir qui en profitera le plus. Une éolienne de cinq mégawatts peut rapporter 35 000 $ par année à un producteur agricole, 30 000 $ à une municipalité… et 1,2 million $ au promoteur, soit 36 millions $ sur 30 ans. Avec près de 3000 éoliennes de cinq mégawatts installées pour atteindre les objectifs de demande […], c’est près de 100 milliards $ qui seront versés aux promoteurs éoliens au cours de cette période. Tout dépendamment de leurs marges bénéficiaires, ce sont des centaines de millions de dollars de profits que nous nous apprêtons à leur accorder chaque année.
Qui paiera pour démanteler ou renouveler tout cet attirail aérien et souterrain dans 20 à 30 ans, lorsque ces parcs éoliens seront tous désuets en même temps ?
Pourquoi ne serions-nous pas propriétaires de ces parcs comme nous sommes propriétaires de nos barrages ? Engrangeons les profits de cette opération, pas seulement les dépenses, et redistribuons-les pour financer nos projets collectifs, en santé, en éducation, en agriculture et pour financer nos municipalités.
Vous croyez que la population pourrait forcer le gouvernement à reculer ?
Charles-Félix Ross : Oui. La meilleure chose, c’est la mobilisation citoyenne.
Les citoyens ont réussi à faire reculer le gouvernement libéral avec ses projets de gaz de schiste. Ça n’avait pas de bon sens, ils voulaient développer ça dans nos cours. C’est vraiment la mobilisation citoyenne, les comités de citoyens, les groupes environnementaux qui ont forcé le gouvernement à reculer. Le peuple a dit : on n’en veut pas, de gaz de schiste.
Cette fois encore, si les gens se mobilisent contre ces plans démesurés de doubler la production d’électricité, le gouvernement devra reculer.
AUTEUR:L
André Noël a été journaliste à La Presse pendant près de 30 ans. Ses nombreuses enquêtes lui ont permis de remporter de nombreux prix de journalisme, dont le prix Judith-Jasmin, le Concours canadien de journalisme, le prix Michener du Gouverneur général et le prix du Centre canadien pour le journalisme d’enquête. Il a aussi été enquêteur et rédacteur à la Commission Charbonneau.
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