2 septembre 2023
Quant à la cinquantaine de parcs éoliens existants ou en construction, qui comptent pour près de 4 GW de puissance installée (pour une consommation annuelle d’environ 12 TWh sur les environ 200 TWh consommés au Québec), ils sont tous privés dont Boralex (13 parcs), Innergex (7), Électricité de France (8) (Gouvernement du Québec, Projets éoliens au Québec, 2023). Toutefois, la moitié la plus récente est possédée en copropriété avec des municipalités régionales de comté (MRC), lesquelles englobent environ 70 municipalités, ou des conseils de bande. Dorénavant, le décret de juillet 2021 assure « une participation du milieu local et des communautés à l’actionnariat du projet à hauteur d’environ 50 % » (Gouvernement du Québec, Nouveaux approvisionnements d’énergie renouvelable - Le ministre Julien place la filière éolienne au cœur de la transition énergétique, 14/07/21).
L’irrésistible attrait des profits concocté par les soins d’Hydro-Québec sous mandat caquiste En ce moment, Hydro-Québec pèse sur l’accélérateur pour de nouveaux parcs éoliens, pénurie appréhendée oblige (Marc Bonhomme, Réduire de 50% les véhicules… mais dans le contexte du capitalisme vert, Presse-toi-à-gauche, 29/08/23). « Le défi sera énorme. L’AQPER [Association québécoise de la production d’énergie renouvelable] estime que pour atteindre cet objectif, il faudrait construire environ 200 nouvelles éoliennes chaque année. » (Véronique Duval, Québec veut quadrupler la capacité éolienne de la province d’ici 2040, Radio-Canada, 22/02/23). Pourrait en découler des évaluations environnementales expéditives (Alexandre Shields et Alexis Riopel, Hydro-Québec retient de nouveaux projets d’énergie éolienne, Le Devoir, 15/03/23).
De cette hâte résulte le bousculement des MRC (« Va falloir que pas mal toutes les régions du Québec contribuent », dit Michel Lagacé, QUB Radio, 16/08/23) par les promoteurs alléchés par des contrats fermes de trente ans rémunérés à au moins 6.1 cents le kilowattheure, plus peut- être un facteur inflationniste. Pourtant, « [e]n 2017, un appel d’offres en Alberta pour un approvisionnement d’électricité a mené au plus bas prix jamais payé pour de l’énergie éolienne au pays, soit 3,7¢/kWh. En 2018, le prix moyen des propositions d’un appel d’offres en Saskatchewan a été de 4,2¢/kWh et le prix du projet sélectionné est en deçà de 3,5¢/kWh. » (Nergica, Une nouvelle ère à l’horizon pour l’industrie éolienne québécoise, 2021 et 2023).
Un appel d’offres sera lancé sous peu par Hydro-Québec pour l’achat de 1500 mégawatts d’énergie éolienne […] En plus de répondre aux critères de localisation, les promoteurs des prochains projets éoliens devront aussi s’assurer d’une participation du milieu local et inclure une part de 60 % de contenu local. D’autres appels de propositions devraient suivre, puisque l’intention du gouvernement est de doubler à court terme la capacité de production éolienne du Québec. Cette capacité est actuellement de 4000 mégawatts. […] L’intérêt ne manque pas chez les promoteurs de projets éoliens et autres énergies renouvelables puisque le plus récent appel d’offres pour 780 mégawatts a attiré des projets totalisant 4200 mégawatts. Le prix moyen que paiera Hydro-Québec pour les projets annoncés mercredi et dont la mise en service est prévue en 2026 est de 6,1 cents le kilowattheure (Hélène Baril, Encore plus d’éoliennes pousseront au Québec, La Presse, 16/03/23).
Un potentiel éolien limité par la soif des profits d’où son imposition aux régions pris à la gorge
Le potentiel éolien québécois est immense mais celui économiquement rentable pour plaire aux développeurs beaucoup moins. « Selon l’étude de 2005, réalisée par la firme Hélimax Inc, consultants spécialisés en énergie éolienne, le potentiel technique exploitable total du Québec avoisinerait les 4 millions de mégawatts [4 000 GW]. Le potentiel total intégrable au réseau électrique, en tenant compte de l’évaluation faite par Hydro Québec TransÉnergie, qui considère actuellement qu’une limite de 10 % devrait pouvoir être atteinte sans problèmes majeurs [soit 400 GW] correspond actuellement à 3 600 mégawatts et à 4 000 mégawatts [4 GW] en 2015 » (Wikipédia, Énergie éolienne au Québec).
Les promoteurs ne sont pas en effet intéressés à saper leur marge de profits en ouvrant un réseau routier en zone non développée, avec le consentement libre et éclairé et la participation des peuples autochtones, et en construisant de longues lignes de transmission pour rejoindre le réseau d’Hydro-Québec. Par contre, les promoteurs peuvent compter sur la complicité des conseils municipaux, en particulier des maires, assoiffés de revenus nouveaux pour assumer leurs responsabilités alourdies de gouvernements de proximité face aux urgences climatiques et sociales alors qu’ils sont étouffés par les limites des iniques taxes foncières. Il ne faut pas se surprendre de les voir tordre les bras de leurs commettants récalcitrants (Thomas Gerbet, Le projet d’éoliennes géantes est suspendu à Salaberry-de-Valleyfield, Radio-Canada, 22/08/23). La machiavélique CAQ, pour faire digérer l’acceptabilité sociale des éoliennes, prend bien soin de ne pas bonifier les finances des municipalités qui dépendent constitutionnellement d’elle (Louise Boisvert, Analyse - L’urgence de trouver de nouvelles sources de revenus, Radio-Canada, 6/05/23).
Pas question de sobriété, même pas d’efficacité énergétique étouffée par la rentabilité
D’ici 2026 ou même 2030, le gouvernement québécois paraît vouloir tout miser sur l’éolien pour accroître la production d’électricité. Ensuite, selon les déclarations caquistes, ce serait le retour de l’hydroélectricité à grande échelle et même du nucléaire sous la forme sans doute de petites centrales (Commission canadienne de sûreté nucléaire, Petits réacteurs nucléaires, Gouvernement du Canada, 4/08/23). Il n’est jamais question de sobriété énergétique c’est—à- dire de la baisse radicale de la consommation d’énergie par personne en mettant fin au règne de l’étalement urbain reposant sur le duo véhicule privé, à essence ou électrique, et maisons unifamiliales et en rangée.
Même l’efficacité énergétique, c’est-à-dire la baisse de la consommation à confort égal par amélioration technologique, est en panne. « ‘’Nous ne faisons pas les efforts d’efficacité énergétique qui seraient nécessaires’’, souligne Pierre-Olivier Pineau, qui pointe des prix de l’électricité parmi les plus bas en Amérique du Nord et même au monde. ‘’Cela aide les ménages à faibles revenus, mais cela profite surtout aux ménages plus aisés qui consomment plus, et nous ne sommes pas motivés à faire mieux’’, dit-il. C’est aussi l’avis de la Fondation Rivières, selon qui le gouvernement québécois sous-estime largement le potentiel d’efficacité énergétique, qui pourrait pourtant doubler ces prochaines années » (Isabelle Delorme, Manquera-t-on d’électricité en 2027 ?, Le Devoir, 3/06/23).
Hydro-Québec semble limiter l’efficacité énergétique à la réduction de la pointe hivernale, dont la « tarification dynamique » — le lave-vaisselle mis en marche à minuit… ce qui pour être commode exige une domotique 5G énergivore — sans trop de succès. La société ne prévoit qu’une réduction de 0.3 GW de puissance dans dix ans (Hélène Baril, Hydro-Québec revoit encore à la hausse ses besoins en électricité, La Presse, 3/11/22). Rien d’étonnant quand on constate que l’efficacité énergétique est comprise dans le cadre du marché, piège dans lequel tombe aussi le professeur Pineau. Ce carcan exige des mesures dont l’amortissement annuel au taux d’escompte du marché soit moins que le bas prix de l’énergie hydroélectrique du Québec. Pourtant le danger existentiel de la terre-étuve n’en a rien à foutre du prix du marché comme borne.
L’énergie solaire a sa place comme palliatif à la plaie des banlieues tentaculaires
Reste l’énergie solaire comme solution possible à grande échelle : « le gouvernement ne prévoit pas, pour l’instant, se lancer dans le développement à grande échelle de l’énergie solaire, au Québec. La raison, a expliqué le ministre, est simple : l’énergie solaire coûte environ 10 cents le kilowattheure, alors que l’éolien, lui, flirte avec les 6 cents. » (Hugo Prévost, Filière batteries au Québec : Fitzgibbon évoque « deux annonces » prochainement, Radio-Canada, 2/06/23). Ce qui n’a pas empêché Hydro-Québec d’avoir mis en opération deux petites centrales solaires en 2021 (Régie de l’énergie du Canada, Profils énergétiques des provinces et territoires – Québec, Gouvernement du Canada, 6/03/23).
Si par sobriété énergétique il faut mettre fin immédiatement à la construction de maisons, rien n’empêche d’obliger les propriétaires du stock actuel de maisons unifamiliales et en rangées, quitte à être soutenu financièrement et techniquement par Hydro-Québec, de se doter de panneaux solaires. En mettant en plus leurs propriétés au niveau de l’efficacité énergétique la plus avancée technologiquement, comme ça devrait l’être pour tous les bâtiments suffisamment en bon état du Québec, la fourniture d’électricité pour les bâtiments anciens et nouveaux, deviendrait marginale en autant que le code du bâtiment le requiert. Il ne s’agit pas ici de transformer en petits producteurs privés les plus riches propriétaires ce qui exigerait une coûteuse modernisation bidirectionnelle du réseau de distribution électrique. Il s’agit de maximiser l’autosuffisance de chaque bâtiment.
Battre en brèche la filière batterie et le mode de consommation afférant d’étalement urbain
La suppression à terme des véhicules privés des ménages pour un transport collectif mur à mur réduirait encore plus la demande d’électricité. Ces économies potentiels ne sauraient bien sûr être un prétexte de croissance extractiviste à coups d’hydrogène dit vert dont on commence à douter (Alexis Riopel, Les Allemands perdent leurs illusions sur le train à hydrogène, Le Devoir, 9/08/23) tellement est basse son efficacité énergétique (HEC et Gouvernement du Québec, État de l’énergie au Québec, édition 2023, graphique 18) et de fermes de serveur dont l’inutile technologie 5G, sauf pour l’industrie militaire et sécuritaire, boostera les besoins d’énergie. Le piège majeur que la CAQ promeut tambour battant avec le silence approbateur des autres partis de l’Assemblée nationale est cependant l’énergivore et polluante filière batterie envahissante, mines comprises, suite à la continuelle expansion de l’étalement urbain sous l’emprise du capitalisme vert.
Battre en brèche la filière batterie et le mode de consommation afférant d’étalement urbain et d’agro-industrie carnée nécessite cependant une économie de sobriété basée sur une société de prendre soin des gens et de la terre-mère incompatible avec la croissance inhérente au capitalisme laquelle conduit à la terre-étuve (Marc Bonhomme, La nouvelle normale des extrêmes climatiques crée un appel d’air écosocialiste - Pour dompter la bête convergent grèves du secteur privé et Front commun, Presse-toi-à-gauche, 22/08/23). Les petites transnationales bien de chez nous Boralex et Innergex ont une soif sans fin d’accumulation de capital commandée non pas par une déviance psychologique mais par la loi d’airain de la compétition des capitaux menant à la concentration et à la centralisation capitalistes. Telle est la logique inhérente au capitalisme.
Le partenariat public-privé éolien démontre que l’État en soi n’est pas le remède du mal
L’État en soi n’est pas le remède du mal. On constate qu’Hydro-Québec, par sa politique de prix, et que le gouvernement du Québec, par son régime fiscal, ont manigancé une politique de gras profits garantis pour la production d’électricité par l’entreprise privée. Le mode de production capitaliste engendre un État au service du capital. On a affaire ici non pas à une pure privatisation mais à un partenariat public-privé déroulant le tapis rouge à Québec Inc. dans le contexte du marché global. La nécessaire nationalisation de l’éolien ne changera cependant pas l’orientation croissanciste sans passer par la démocratisation d’Hydro-Québec dont le mandat, le PDG et le conseil d’administration émanent du monde de la Finance, de l’administration d’entreprises et de la haute bureaucratie gouvernementale (Hydro-Québec, Le Conseil d’administration : reflet de la diversité de nos activités).
Plus profondément, le peuple-travailleur québécois se doit de révolutionner cette société en renversant le capitalisme qui mène en accéléré l’humanité droit dans le mur. Un Front commun à la mode 1972 pourrait être le prélude d’une rupture anticapitaliste. Le chemin le plus court pour y arriver ne passe pas par demeurer dans le Canada de l’axe Toronto-Calgary au fédéralisme méprisant ne reconnaissant pas la nation québécoise. Un parti qui n’a pas cette perspective, ou qui ne l’affirme pas, ne peut prétendre à vaincre la dérive climatique et celle de la biodiversité.
Marc Bonhomme, 2 septembre 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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