Un projet de loi qui met à risque les personnes victimes de violence conjugale
Le projet de loi 91 s’annonce particulièrement problématique pour les femmes et les enfants victimes de violence conjugale, alors même que le Ministre vise à les protéger.
La médiation obligatoire, malgré les exceptions prévues pour les victimes de violence familiale, mettra une pression indue sur les femmes qui en sont victimes, puisqu’il s’agira de la voie "par défaut" privilégiée par les professionnel.le.s du droit. Plusieurs seront poussées vers cette voie, tantôt par manque de moyens ou par manque d’accès à un.e avocat.e, tantôt par volonté d’en finir au plus vite avec les pressions de leur ex-conjoint ou de montrer leur bonne foi. L’obligation de participation deviendra ainsi un puissant outil de contrôle pour les auteurs de violence, en plus de mettre en danger les femmes et leurs enfants durant le processus et une fois l’entente conclue.
Pour celles qui demanderont l’exemption, le processus risque :
– d’être revictimisant, puisque que le conjoint pourrait questionner la nature du motif sérieux.
– d’augmenter les risques pour leur sécurité et celle de leurs enfants lorsque l’ex-partenaire comprendra que la femme a dévoilé sa violence
– de susciter de l’insécurité de la part des victimes en raison du risque de sanctions pour « fausse déclaration ».
Face aux mythes et stéréotypes persistants entourant la violence conjugale, les victimes devront une fois de plus démontrer le sérieux de leur situation pour être crues et exemptées de la médiation.
« La médiation obligatoire donne des armes supplémentaires aux auteurs de violence pour utiliser le système de justice à leur avantage. Aucune mesure de sécurité n’est prévue pour les femmes et les enfants victimes qui se retrouveront en médiation face à leur agresseur » souligne Sabrina Lemeltier, de l’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape.
Le Regroupement et l’Alliance demandent le retrait de la médiation obligatoire, pour éviter des conséquences dramatiques en contexte de violence conjugale.
Un Tribunal unifié à la portée limitée
Selon les deux associations, le PL91 ne permettra pas de remplir l’objectif mis de l’avant par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, soit de « simplifier le parcours judiciaire des familles ». D’une part, seule une poignée de familles québécoises pourront bénéficier de l’unification des services judiciaires, écartant les couples mariés et les conjoints de fait sans enfants ou dont les enfants sont nés avant le 30 juin 2025. D’autre part, pour ceux qui seront couverts, ils et elles feront face à des professionnel.le.s du droit qui ne sont ni formé.e.s ni expérimenté.e.s dans les différents domaines de droit requis par le TUF.
« Le projet de loi 91 a pour effet d’augmenter la complexité du parcours judiciaire pour les personnes victimes, alors que plusieurs belles avancées étaient à noter sur ce plan dans les dernières années. Le PL91 occulte les spécificités des litiges en présence de violence conjugale et omet d’assurer la sécurité des femmes et des enfants qui en sont victimes » déclare Justine Fortin, co-responsable des dossiers politiques au Regroupement.
Recommandations pour une réforme complète du droit de la famille
Le Tribunal unifié de la famille n’est qu’un des maillons de la réforme du droit de la famille, chère au ministre de la Justice. Il ne pourra être bénéfique pour les personnes victimes que si les conditions sont réellement réunies. En plus de proposer des modifications au PL91, le mémoire du Regroupement et de l’Alliance propose des recommandations plus larges, notamment :
– Rendre obligatoire le dépistage de la violence conjugale par les professionnel.le.s qui pratiquent la médiation familiale, avant et tout au long du processus.
– Former adéquatement les acteurs du système judiciaire en matière de violence conjugale, notamment les juges, les médiateurs familiaux et les expert.e.s psychosociaux.
– Offrir de la représentation spécialisée pour les personnes victimes afin de lever les barrières d’accès à la justice qu’elles rencontrent.
– Donner une voix aux enfants, notamment par l’encadrement du droit d’être entendu de l’enfant.
Sur le papier, le TUF et les objectifs qu’il poursuit sont assurément intéressants. Or, le Regroupement et l’Alliance sont inquiets quant à sa mise en œuvre, tel que proposée dans le PL91. « En l’absence de modifications conséquentes, les survivantes de violence risquent de devoir encore naviguer à travers une multitude de tribunaux, de lois et de façons de faire, sans filet de sécurité » conclut Louise Riendeau, coresponsable des dossiers politiques au Regroupement.
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