La face méconnue du mouvement républicain
Même sur cette question des résistances, on parfois tendance à tourner les coins ronds. Je trouve cela un peu désolant, par exemple, que notre mémoire de la grande rébellion républicaine de 1837-38, reste partielle. On oublie, notamment qu’une grande partie des militants et mêmes des leaders patriotes étaient irlandais, qui voyaient dans le projet d’indépendance la constitution d’une démocratie où tout le monde, y compris les autochtones, auraient les mêmes droits. Une autre histoire dans l’histoire encore plus méconnue est celle des républicains qui ont participé à la lutte de 1837 à Toronto, London, et d’autres villes de ce qu’on appelait le « Haut-Canada ». Sous la gouverne du bouillant écossais William Lyon Mackenzie, des militants ont pris les armes avant d’être refoulés vers les États-Unis. Pour sûr, ces patriotes hors Québec n’avaient pas la même base d’appui qui existait au Québec, mais pour autant, le projet d’une nouvelle alliance était évoqué pour mettre fin au joug colonial.
L’ethnicisation du Canada
Par la suite et jusqu’à la mise en place du « Dominion du Canada », les élites se sont empressées de transformer une lutte républicaine et démocratique en une chicane à saveur ethnique et religieuse. Les politiciens et les médias Anglos appelaient à une lutte « sacrée » contre les français et les « papistes » (Église catholique). Cela s’est transformé plus tard en une vague explicitement raciste contre les Métis de l’Ouest qui avaient eu la mauvaise idée de devenir francophones. John A. MacDonald, le voyou réactionnaire qui est devenu le premier premier ministre, voulait voir ces « chiens » anéantis. Il faut dire cependant que cette ethnicisation a été facilitée par les collabos québécois à qui on a donné une parcelle de pouvoir pour « pacifier » le peuple révolté. Jusqu’à la remontée d’un nationalisme québécois revendicateur dans les années 1960, le dispositif du pouvoir canadien est demeuré dans le cadre d’un projet et d’un discours méprisants, faisant de la nation qui réémergeait au Québec une bande de bons-à-rien, refusant de s’intégrer dans la « grande civilisation » britannique. On leur disait simplement, « Speak White ».
Réformer le Canada ou réimaginer un projet républicain ?
Plus tard, ce dispositif post-colonial a été mis à mal au Québec. Parallèlement, quelques segments de la population canadienne, surtout à gauche, ont réalisé qu’il fallait lutter contre la discrimination, si ce n’est qu’en « réformant » le Canada. En pratique cependant, le relookage ne pouvait pas aller plus loin qu’une bilinguisation partielle de l’État fédéral, alors que la tendance centralisatrice niait les droits du peuple québécois. Une partie de la gauche canadienne, sous l’influence notamment du militant communiste Stanley Ryerson, a accepté d’intégrer dans le projet socialiste les revendications du Québec à l’autodétermination. Plusieurs de la génération des années 1960-70, dont une fraction importante du NPD, est allée encore plus loin en appuyant carrément la lutte pour l’indépendance et le socialisme alors en montée au Québec. En fin de compte, des Canadiens, surtout de gauche, acceptaient le fait que l’émergence d’un projet progressiste québécois à la fois social et national aurait des effets bénéfiques sur leurs propres luttes.
La stratégie d’Ottawa
On connaît ce qui est arrivé après l’élection du PQ en 1976 et la tenue des deux référendums. Les élites canadiennes ont surmonté leurs différences pour faire une lutte sans merci contre le projet québécois. Ils ont ressorti leurs vieilles rengaines en niant le droit à l’autodétermination. Les médias ont suivi la ligne en relançant des formes extrêmes de Quebec-bashing. Mêmes des secteurs de gauche ont embarqué dans l’opération de manipulation. On utilisait entre autres l’argument que l’indépendance du Québec allait affaiblir le Canada devant les États-Unis. Ils se trompaient lourdement car pendant que la « défense du Canada » était invoquée contre le Québec, les gouvernements tant libéraux que conservateurs négociaient en catimini la « capitulation tranquille » autour des accords dits de libre-échange. De leur côté, les mouvements populaires québécois et canadiens, à part le front commun contre la politique de gel des salaires en 1975, se sont repliés sur leur territoire. Tout cela s’est étiolé avec le temps jusqu’à la défaite stratégique du PQ en 1995.
Des fissures
Sous l’égide des Conservateurs de 2006 à 2018, le Canada s’est recomposé dans le cadre d’une économie politique autour du néolibéralisme financiarisé, avec Toronto comme tête de file, et l’ouest canadien comme territoire privilégié. Pendant presque 10 ans, l’État canadien a été gouverné sans pratiquement d’appui au Québec. Cela a été facilité par le retour au pouvoir des collabos québécois du Parti Libéral qui ont pratiquement aligné leurs politiques austéritaires sur celles d’Ottawa. C’est allé un peu trop loin et ici et là, des fissures sont apparues, expliquant la défaite de Harper en 2018. Plus tard, l’effondrement du PQ au profit de la CAQ a permis de préserver le statu quo avec une touche légère de nationalisme identitarisme. Le dispositif semble stable, mais l’est-il vraiment ? En effet, on assiste à un regain des luttes sociales et environnementales un peu partout.
La lutte des enseignants
Plus de 125 000 enseignants ontariens sont depuis plusieurs semaines dans un mouvement de grèves rotatives, mobilisant pour la première fois les 4 gros syndicats du secteur, dont l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO) (12 000 membres). Fait à noter, leurs revendications sont d’abord et avant tout qualitatives, portant sur les conditions de travail, les ratios enseignants/élèves, la précarité, etc. Sondages après sondages ces dernières semaines révèlent l’appui majoritaire des Ontariens aux syndicats, contre le gouvernement très à droite de Doug Ford. Comme l’éducation est un domaine provincial, la question apparaît abstraite au Québec. On pourrait penser cependant que la confrontation qui s’en vient dans le secteur public québécois ne sera pas détachée de cette bataille. Cela ne prend pas Einstein pour comprendre qu’une victoire des profs ontariens serait à l’avantage des Québécois. Je suis surpris de n’avoir rien entendu à ce sujet des organisations syndicales québécoises.
La grande bataille environnementale
On pourrait dire la même chose dans plusieurs autres domaines. Sur les questions environnementales, les convergences sont probablement plus urgentes puisque les grandes politiques mises de l’avant par l’État pour protéger le pétro-Canada viennent d’un adversaire commun, c’est-à-dire Ottawa. On ne pourra pas gagner cela tous seuls au Québec, même si notre mouvement écolo est très puissant. Est-ce que les étudiants et les étudiantes du Québec qui préparent les prochaines mobilisations pourront se concerter avec les mouvements canadiens ? On ne peut que l’espérer.
Questions de stratégie
Un mouvement vers l’émancipation nationale et sociale du Québec est un élément clé de la lutte anticapitaliste, et pas seulement ici. Aucun changement progressiste n’est pensable au Canada si l’édifice du pouvoir n’est pas rudement secoué, et pour toutes sortes de raisons actuelles et historiques, le centre de la contestation va rester au Québec. Mais cela ne veut pas dire qu’on peut rester dans notre bulle. Ce ne sont pas les Canadiens qui vont décider de l’avenir du Québec. Et réciproquement. Mais d’un côté comme de l’autre, des changements sont nécessaires. Les Canadiens progressistes seraient avisés de déclarer explicitement leurs solidarités avec notre lutte d’émancipation. C’est une question de principe, mais aussi une cause incontournable, pour leurs propres intérêts, du moins, s’ils espèrent changer le rapport de forces. D’autre part, la gauche et les mouvements populaires au Québec doivent comprendre qu’on n’ira nulle part si on ne se solidarise pas avec les luttes canadiennes. Éventuellement, il faudra placer les morceaux du puzzle et établir une stratégie commune.
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