Édition du 12 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

L’« alter » nation

On aurait pu penser que le pseudo débat sur les identités allait être été mis de côté après la débâcle du PQ de l’an passé. Mais depuis les évènements de Paris, il y a une nouvelle déferlante « identitariste », souvent pleine de haine, sur le « eux » et le « nous ». Le « eux », évidemment, ce sont les Musulmans, pour ne pas dire les Arabes et les Africains, incapables de comprendre et d’accepter notre « civilisation » et ses « valeurs ». Les médias poubelles avec les mercenaires habituels s’en donnent à cœur joie. La « civilisation occidentale », il faut la défendre. L’« autre » civilisation occidentale, celle de l’esclavage, de la colonisation et des massacres, du racisme et de la discrimination contre les immigrants, on l’oublie.

Ceux et celles qui pensent que cette « civilisation occidentale » est problématique, sont, selon Louis Fournier (Le Devoir 11 janvier), des « idiots utiles » ou pire encore, des « complices » des terroristes. Le problème, selon Fournier, ce n’est pas le colonialisme, le racisme, l’exclusion. Le problème dit-il, c’est que les Musulmans ne veulent pas parler des « dérives de l’islam » et combattre le « terrorisme. Les colonialistes français et les impérialistes américains disaient la même chose, plus ou moins dans les mêmes mots, il y a 50 ans en Algérie et au Vietnam.

Ce discours de haine, malheureusement, a des racines profondes ici au Québec et ailleurs dans les pays dits « occidentaux ». Les défenseurs de cette « civilisation », aussi bien les radicaux que les modérés, n’aiment pas ce mot dont on entend vaguement parler dans les écoles, l’histoire. Ils racontent des balivernes comme si les sociétés humaines avaient été depuis le début définies, fermées, immuables. On aboutit alors à catégoriser les gens, le « nous » et les « autres ». Dans le cas présent, il y a une « civilisation », en l’occurrence la nôtre, qui est supérieure aux autres. Les dominés, les colonisés, les exclus, malheureusement pour eux, ont été vaincus parce qu’ils sont ce qu’ils sont. Mais heureusement pour eux, ils ont l’option de rejoindre les « civilisés », en s’assimilant ou en acceptant des règles définies d’avance. Tout cela est articulé depuis quelques années par un politologue américain qui agissait à titre de « conseiller » du Pentagone, Samuel Huntingdon. Pour lui, le monde est le théâtre d’une « guerre des civilisations », dans laquelle il n’y a pas de négociation, pas de compromis. On gagne ou on perd.

Aujourd’hui, le monde se re-polarise. Dans un contexte où la prédation, la violence et le mépris rebondissent, on constate un nouveau dispositif normatif. Face à la polarisation, il faut se défendre contre les barbares. Pour justifier le massacre qui en découle, il faut déshumaniser ces sauvages, les transformer en sous-humains, voire en non-humains. Des peuples deviennent des « ethnies », des néo-tribus enfermées sur elles-mêmes, des vestiges de traditions archaïques et de religions non-occidentales, qu’il faut éradiquer.

Le « Nous » devient alors une « race » figée, mandatée par l’histoire (on disait avant la révolution tranquille mandatée par Dieu), entourée d’un océan de « eux » hostiles et menaçants. L’affirmation nationale risque alors de glisser dans un vulgaire pathos, un nationalisme frileux et défensif. Comme on l’a vu au Québec de la grande noirceur.

Pour autant, il ne faut pas se décourager. Les mobilisations des dernières années, ici et ailleurs, valorisent une « autre » nation, une « alter » nation, plurielle, démocratique, inclusive qui se définit autrement que par l’individualisme possessif, le patriarcat et le racisme.

Dans cette effervescence apparaissent les ferments d’une nouvelle citoyenneté. Cette transformation n’a rien à voir avec les discours faussement « multiculturel » (comme celui de de l’État canadien, inventé pour isoler le nationalisme québécois). La nouvelle nation se forge dans la lutte pour l’égalité et la liberté, pas autrement. Des peuples naissent de plusieurs nationalités et de plusieurs cultures, c’est un métissage permanent. La nation devient en fin de compte une « pluri-nation », définie autour de la résistance, de la solidarité et de la coopération. Les peuples décident d’exister, parce qu’au départ, ils veulent exister. Et alors ils luttent. Et parfois, ils gagnent.

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