tiré de : Revue Relations
20 octobre 2021
Alexandra Pierre et Stéphanie Mayer
Les auteures sont respectivement présidente et deuxième vice-présidente de la Ligue des droits et libertés
Manifestation à Montréal contre le couvre-feu, 18 avril 2021. Photo : André Querry
Cela fait presque 19 mois que le gouvernement du Québec a déclaré l’état d’urgence sanitaire, en utilisant une disposition de la Loi sur la santé publique. D’abord mis en place pour faire face à une situation sans précédent qui se transformait rapidement, l’état d’urgence est maintenant devenu un véritable moyen de gouvernance, même si cette mesure exceptionnelle n’est plus justifiée. En effet, les connaissances scientifiques et les attitudes sociales face à la COVID-19 ont largement évolué depuis un an et demi et permettent maintenant de mieux anticiper les difficultés. Or, la gouvernance par décrets qui caractérise l’état d’urgence néglige un aspect fondamental des droits humains et de la démocratie : la participation citoyenne. La pandémie a en effet été marquée par la mise en veilleuse des mécanismes démocratiques : pensons, par exemple, au manque de consultation de la population ou à la suspension des travaux parlementaires concernant les décisions liées à la COVID-19.
Gouverner seul
De nombreuses décisions prises dans le cadre de cette crise sanitaire montrent à quel point le gouvernement caquiste dirige seul, avec peu ou pas de soucis de consulter. Par exemple[1], lors de la première vague, l’avis des personnes aînées et de leur famille n’a pas été sollicité avant l’application de mesures coercitives dites zéro risque, comme l’interdiction de sorties et de visites. Le couvre-feu a pour sa part été imposé de janvier à mai 2021, sans égard aux femmes victimes de violence conjugale ou aux personnes en situation d’itinérance et alors même que les groupes communautaires ont maintes fois réclamé un dialogue afin de trouver d’autres solutions moins dommageables. Dans un contexte où les situations de détresse psychologique étaient nombreuses, sans oublier la crise de surdoses aux opioïdes qui sévit partout au Québec, cette décision nécessitait la tenue de discussions avec les personnes concernées et les groupes qui les défendent. Plus récemment, l’instauration d’un passeport vaccinal s’est faite sans débat public et sans considération pour, par exemple, les personnes ne pouvant pas se faire vacciner pour des raisons médicales ou qui ne souhaitent pas le faire pour une raison quelconque. Ainsi, le gouvernement n’a pas eu à faire la preuve de l’utilité de cette mesure, ni de sa justesse. De même, il n’a même pas entendu les demandes d’aménagements qui lui étaient soumises alors que des solutions de rechange existent dans certaines situations, par exemple fournir la preuve d’un test négatif ou attestant du rétablissement de la COVID-19.
L’adoption, en une journée et sans commission parlementaire, de la Loi établissant un périmètre aux abords de certains lieux afin d’encadrer les manifestations en lien avec la pandémie de la COVID-19 porte quant à elle atteinte de manière injustifiée à la liberté d’expression et de réunion pacifique. On peut certes être irrité par les manifestations de militants anti-vaccins devant les écoles, mais il est possible de les contrecarrer autrement que par une telle loi, notamment avec les dispositifs législatifs existants contre la violence et l’intimidation. Il faut voir que lorsque, à l’Assemblée nationale, au début octobre 2021, la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault parle « de messages inappropriés et de manifestations inappropriées » organisés par des gens « contre le gouvernement » pour justifier l’adoption de la loi, elle ouvre ainsi la porte à la répression arbitraire de certaines opinions politiques.
L’état d’urgence sanitaire justifie donc une intense concentration des pouvoirs aux yeux du gouvernement. Les décisions sont prises en vase clos, d’une manière unilatérale et opaque témoignant d’ailleurs des biais et des préjugés du gouvernement caquiste. Pourtant, le contexte voudrait que le gouvernement soit garant des droits de tous et toutes et qu’il prête une attention particulière aux populations les plus vulnérables qui encourent des risques accrus face à la COVID-19. Dans ce sens, l’analyse des conséquences des différentes mesures sur les droits humains doit faire partie intégrante du processus décisionnel du gouvernement.
La participation : au coeur des droits humains
Dans les instruments internationaux relatifs aux droits humains, chaque droit reconnu comporte deux dimensions : le contenu du droit ou ce qu’il annonce, et les mécanismes appropriés pour le mettre en œuvre et s’assurer que les États s’acquittent de leurs responsabilités. La participation des titulaires des droits y est centrale et on parle bien d’une participation effective, qui va au‑delà des consultations formelles ou symboliques : la participation doit avoir un effet significatif sur les décisions, surtout en ce qui concerne les populations les plus marginalisées. La participation, ou ce qu’on désigne souvent comme le « droit » à la participation, suppose donc que ces populations prennent part aux processus de prises de décisions publiques et, conséquemment, qu’elles aient l’assurance d’être prises en compte au moment de la conception, de la planification et de l’implantation des politiques ou services devant garantir le respect de leurs droits.
De ce fait, pour faire face à leurs obligations en matière de droits humains, les États doivent s’enquérir des réalités vécues par les différentes populations présentes sur leur territoire et en tenir compte dans l’élaboration de leurs politiques. La logique est la suivante : il est impossible de prendre de bonnes décisions sans l’apport significatif des premières personnes concernées. C’est d’ailleurs, selon les spécialistes en santé publique, l’une des principales leçons tirées de la pandémie du VIH-SIDA ou de l’épidémie d’Ebola. Autrement dit, des politiques indifférenciées, parfois qualifiées de « mur à mur », ont assurément des angles morts et un risque élevé d’entraîner des atteintes aux droits, notamment en reconduisant des inégalités existantes, voire en en produisant de nouvelles. D’où l’importance d’en débattre collectivement pour que soit entendue une pluralité d’acteurs.
Évidemment, le déficit de participation a des racines qui précèdent la crise actuelle. Il se nourrit de la propension du pouvoir exécutif à prendre toute la place dans nos démocraties représentatives. Ainsi, il faut rappeler que le droit à la participation requiert des gouvernements transparents et imputables, des institutions démocratiques solides, des partis d’opposition engagés, mais aussi des organismes communautaires, des syndicats, des associations et d’autres organisations citoyennes réellement libres, indépendantes et disposant de véritables moyens d’agir.
Déconfiner notre démocratie
Aujourd’hui, au Québec, l’urgence d’agir n’est plus la même que lors des premières éclosions de COVID-19, en mars 2020. Afin d’élaborer des politiques plus inclusives, plus adaptées à la pluralité des réalités du territoire et prenant réellement en compte les personnes les plus marginalisées, il est temps que les débats démocratiques reprennent et que les citoyens et les citoyennes soient entendus au sujet de la gestion de la crise sanitaire, entre autres. La première étape doit être de déconfiner notre démocratie en mettant fin à l’état d’urgence sanitaire et, du même coup, aux pouvoirs discrétionnaires et étendus du gouvernement[2].
Crise ou pas, lorsqu’il s’agit de droits humains, la participation citoyenne est incontournable. À cet égard, le rétrécissement de l’espace démocratique que nous vivons depuis le début de cette pandémie constitue une réelle menace, actuelle et future, notamment lorsqu’on pense à l’immense défi que posent les changements climatiques.
Notes
[1] Pour en savoir plus, consultez le cahier « Droits humains et COVID-19 au fil de la pandémie. Un recueil des carnets des droits humains par les militant-e-s. Mars à novembre 2020 ».
[2] Le 26 mai dernier, la Ligue des droits et libertés lançait une déclaration demandant au gouvernement du Québec de mettre fin à l’état d’urgence. À ce jour, 65 organisations de la société civile ont exprimé leur appui à cette déclaration, incluant le Centre justice et foi.
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