Les catastrophes liées aux changements climatiques se multiplient : feux de forêt, sécheresses s’attaquant à la production des aliments, inondations destructrices, montée des eaux des océans, et ce dans toutes les régions de la planète. Cela ne suffit pas à convaincre d’agir. Les intérêts en jeu sont considérables. Les entreprises fossiles refusent de laisser les hydrocarbures (pétrole et gaz) dans le sol et elles continuent d’investir pour augmenter leur production. Elles investissements mêmes dans les énergies renouvelables pour en prendre le contrôle et pour limiter leur déploiement. Les banques les soutiennent et placent dans ces secteurs des capitaux considérables. Les grands secteurs de l’économie (automobile, armement, pétrochimie, agrobusiness...) continuent d’utiliser massivement ces énergies fossiles. Plus, à quelques jours de la COP26, un immense lobbying est mené par l’Arabie saoudite, le Brésil, l’Argentine, l’Australie, la Norvège, en autres, contre la fin des énergies fossiles, contre la réduction de consommation de viande et contre l’augmentation de l’aide aux pays les plus pauvres.
Les pays riches et les grandes entreprises du capital fossiles sont donc responsables de la vaste majorité des émissions des GES. Si, la majorité des acteurs économiques et politiques ont abandonné leur rhétorique climatosceptique, le verdissement des discours ne débouche aucunement sur un plan de lutte radical visant la diminution des émissions de GES et la protection des ressources. On se contente de grandes promesses. Les États-Unis promettent de doubler leur aide aux pays pauvres. La Chine d’arrêter de subventionner la construction de centrales au charbon.
Les secteurs les plus touchés par des catastrophiques climatiques sont les pays pauvres et les populations les plus démunies. Cela signifie l’augmentation des victimes de la faim sur la terre. Des mouvements importants de population sont à prévoir, car des régions entières verront leur habitabilité de plus en plus remise en question. Les financements promis par le Nord [2] aux pays du Sud qui devaient atteindre 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, n’atteignaient en 2019 que 79,6 milliards.
Les gouvernements subventionnent le capital fossile à la hauteur de plusieurs milliards de dollars pour leur permettre de continuer leurs activités. Ils ont rejeté la perspective d’engagements contraignants modulés pour tous les pays de la terre, engagements modulés qui reconnaîtraient la responsabilité historique des pays capitalistes riches dans le basculement climatique. Les principaux responsables des émissions de GES, les pays capitalistes avancés, les grands pays émergents et les grandes entreprises ont imposé la logique des contributions nationalement déterminées.
Le capitalisme, que les élites économiques et politiques soutiennent, est aux fondements de la crise climatique. Le slogan « Changer le système, pas le climat » est plus que jamais une perspective incontournable.
Comment expliquer une telle procrastination ?
Les négociations climatiques dans le cadre des COP restent subordonnées aux impératifs de la croissance capitaliste et des rivalités stratégiques entre les différents pays dominants. Les échecs de Copenhague, celui de la COP 24 de Katowice en Pologne et celui de la COP 25 à Madrid en 2019 reflètent l’impasse dans lequel les tenants du capitalisme vert ont embourbé les négociations sur le climat. Il est donc essentiel de compter d’abord sur la mobilisation populaire pour parvenir à trouver une solution réelle à ce défi historique auquel fait face l’humanité.
À la COP 26, les dirigeants politiques et les multinationales veulent imposer les mécanismes du marché comme moyens essentiels pour contrer la catastrophe climatique et mettent de l’avant des mesures de compensation carbone qui sont une immense arnaque « parce que le taux de la taxe est indépendant du niveau de revenu, ce qui est injuste par principe. Ensuite parce que la taxe fait abstraction du fait que les couches privilégiées ont accès beaucoup plus facilement que les autres aux technologies bas carbone – à la fois sur le plan financier et sur le plan de l’information nécessaire. » [3] Cette volonté de tout soumettre aux régulations du marché révèle leur objectif de garder le contrôle sur les orientations du mouvement climatique et le refus de soumettre l’entreprise privée à une régulation plus directe par l’État.
Le gouvernement canadien, le verdissement dans son expression la plus mensongère
Le gouvernement canadien fait semblant de lutter contre les changements climatiques. Le premier ministre Justin Trudeau promet que le Canada parviendra à zéro émission nette d’ici 2050. Pourtant, son gouvernement persiste à subventionner les industries fossiles et à leur permettre de poursuivre leur expansion. Le gouvernement fédéral est même allé jusqu’à investir des milliards dans l’achat du pipeline Transmoutain pour renforcer les capacités d’exportation du pétrole sur le marché asiatique.
Le Canada n’a jamais réussi à atteindre un seul des objectifs pourtant fort modestes qu’il s’était fixés dans les accords signés lors des différentes COP. Au printemps 2021, il s’est fixé une cible de réduction des GES de 40 à 45% pour 2030 sous le niveau de 2005. Il présente comme une avancée majeure la fixation d’un prix du carbone et la croissance annuelle de ce prix pour atteindre 170$ la tonne pour 2030. Mais, il s’agit plus ou moins de refiler l’essentiel de la facture à la classe laborieuse, malgré des compensations promises, cela sans remettre en question l’extractivisme et un mode de production et de consommation porteurs de dépenses d’énergies et de ressources considérables. Présenter le passage aux voitures électriques comme une solution, alors que cela signifiera la poursuite d’une économie extractiviste, n’offre en fait aucune solution sérieuse aux problèmes climatiques vécus par la population canadienne comme celle du reste de la planète. Que le premier ministre cherche à se présenter comme un leader de la lutte aux changements climatiques montre à quelle extrémité les élites politiques peuvent pousser l’hypocrisie et le mensonge.
Le gouvernement Legault, lui aussi, cherche à exhiber son côté vert
Le gouvernement Legault vient d’annoncer l’adoption d’une loi sur l’interdiction de toute exploration pétrolière et gazière sur le territoire du Québec. Les environnementalistes peuvent s’en réjouir, mais il ne faut pas oublier que c’est ce même gouvernement qui entérine et soutient la collaboration entre Hydro-Québec et le fournisseur de gaz naturel, cette énergie fossile, comme « énergie de transition ». Son Plan pour une économie verte (PEV) vise essentiellement à accompagner et aider financièrement les entreprises qui se voient attribuer l’initiative pour mettre en place un capitalisme vert. Ce plan n’impose aucune mesure contraignante aux entreprises. C’est ce même gouvernement qui met de l’avant la construction d’un tunnel sous le fleuve Saint-Laurent (le 3e lien) qui renforcera l’étalement urbain et l’usage de la voiture comme principal moyen de transport à Québec et sa rive sud. Ce projet d’infrastructure qui risque de coûter plus de 10 milliards de dollars est une dépense qui soustrait des montants importants qui pourraient aller au financement d’une véritable transition énergétique.
François Legault va se présenter à Glasgow avec son ministre de l’Environnement, Benoit Charette, en cherchant pour l’essentiel à mousser le potentiel du Québec en matière d’énergies vertes. En vendant l’énergie hydroélectrique à l’État de New York, le Québec prétend devenir la « pile de l’Amérique du Nord » et permettre aux États de l’est des États-Unis de fermer leurs centrales électriques au charbon. Mais rien n’est moins sûr, car l’expérience passée nous a démontré que l’augmentation d’un type énergie ne tend pas éliminer les autres types, mais plutôt à s’empiler et à amplifier la consommation globale d’énergies.
Le premier ministre maintient à 37,5% son objectif de réduction de GES au niveau de 1990. Il accorde sa confiance à la bourse du carbone comme moyen de diminuer les GES. Un rapide bilan montre pourtant que cette réduction est restée jusqu’ici marginale. Mais la posture de verdissement est, pour lui, plus importante, que les réductions réelles de GES. Alors, il défend le même modèle production extractiviste, centré sur l’exploitation du lithium et d’autres métaux rares. Son ambition est de faire du Québec un fleuron de l’économie verte sur la scène internationale aveugle à toute sobriété dans l’utilisation des ressources. Et cette orientation est bien illustrée par les initiatives de son ministre de l’Économie et de l’innovation, Pierre Fitzgibbon, en faveur de la révolution numérique, la 5G et les objets connectés, comme voie royale d’une nouvelle industrialisation du Québec. Les perspectives d’une économie d’énergie et des ressources naturelles ne sont vraiment pas à l’agenda de ce gouvernement.
Si on se fie à ce genre d’acteurs, canadiens ou québécois, la COP 26, risque d’être le lieu d’une démarche où le spectacle tendra à s’imposer aux dépens des débats essentiels aux mouvements sociaux du monde entier.
La stratégie de la croissance verte (ou du capitalisme vert) mène à l’impasse
Pour les organisations défendant la croissance verte, il y aurait un « momentum mondial pour une relance solidaire, prospère et verte ». C’est ce que soutient le G15+ [4]
Les postulats qui fondent leur action peuvent être résumés ainsi : la crise climatique est une occasion économique à saisir. Il faut mobiliser les capitaux pour investir dans les énergies renouvelables. L’économie québécoise doit prendre le tournant vert qui lui permettra de répondre aux besoins mondiaux de décarbonisation. Les gouvernements doivent aider les entreprises à prendre ce tournant.
Les revendications de la coalition G15+ sont complètement en phase avec le Plan pour une Économie verte : a) faire de la croissance verte une priorité et multiplier pour ce faire les occasions d’investissements rentables ; b) utiliser les impôts ou les taxes de la population pour aider les entreprises à passer à des technologies vertes et développer leurs capacités concurrentielles sur le marché mondial ; c) définir une énergie fossile comme le gaz naturel comme une énergie de transition et accepter la perspective du mixte énergétique ; d) inscrire l’action gouvernementale dans une logique de croissance verte combinant réindustrialisation pour certains biens stratégiques et expansion des exportations sur le marché international ; e) viser une souveraineté alimentaire, mais sans remettre en question une industrie agro-exportatrice centrée sur la production carnée et utilisant des entrants (comme les pesticides) dévastateurs sur le plan écologique.
Les directions syndicales qui sont parties prenantes du G15, et hormis leurs demandes concernant la « transition juste », elles s’inscrivent dans cette mouvance. Si le document des centrales [5] demande des contreparties environnementales, la relance passe par le soutien gouvernemental aux entreprises québécoises. Les fondements de la crise climatique dans le fonctionnement même du capitalisme sont tout bonnement ignorés. Aucune leçon n’est tirée de la propension du capitalisme à gaspiller les ressources de la terre et à exploiter la main d’oeuvre et à la logique de produire pour vendre indépendamment des besoins concrets établis démocratiquement par la délibération collective.
Les plans de la transition écologique produits par des acteurs de la société civile refusent de remettre en question le capitalisme pour embrasser le projet d’une société où l’économie est gérée démocratiquement par et pour le peuple.
Au lieu de poser dans le cadre de la lutte et des affrontements prévisibles avec les forces du capitalisme et de ses alliés politiques et de hiérarchiser les objectifs pour parvenir à mobiliser le plus largement possible la majorité populaire, les plans de transition proposés [6] invitent à une concertation sociale au niveau national comme au niveau régional : représentant-e-s des citoyens, des entrepreneurs, des employeurs, des syndicats, des acteurs de l’économie sociale et des groupes communautaires. C’est comme si un intérêt collectif pouvait s’imposer largement au-dessus et au-delà des intérêts de la classe dominante et que la transition pouvait se produire sans conflit social pour le bien commun. Le moment des luttes, des affrontements et des ruptures est escamoté de la réflexion tout comme le moment de la lutte politique pour que la majorité populaire puisse assurer sa souveraineté politique sur les grandes décisions économiques et environnementales.
Cependant, un secteur du mouvement écologiste tente de dépasser cette orientation et prépare la création d’une organisation démocratique intersyndicale, Travailleuses et Travailleurs pour la Justice Climatique (TJC) et ce, dans la perspective de « réfléchir à des stratégies syndicales permettant d’augmenter notre rapport de force avec l’État (incluant, mais ne se limitant pas, à de futures grèves climatiques) ». [7]
Les grands axes d’une stratégie et d’un programme écosocialistes
Les faits parlent. Nous ne pouvons pas nous fier au patronat et aux gouvernements néolibéraux pour diriger la lutte contre les bouleversements climatiques et l’effondrement de la biodiversité. Nous avons besoin que des millions de personnes descendent dans la rue et qui perturbent la descente tranquille vers la destruction de la planète pour forcer l’adoption de mesures réelles en faveur du climat. Les solutions réelles sortiront de la mobilisation des nombreux mouvements sociaux qui sont appelés à converger : mouvement anti-extractivistes, mouvements des féministes contre le patriarcat, mouvements autochtones pour la défense de la Terre-mère, mouvements anticolonialistes contre la prédation des multinationales, mouvements de la jeunesse pour la sauvegarde de la planète, mouvement contre l’agrobusiness et pour une agriculture écologique, mouvement national québécois contre les politiques extractivistes du gouvernement Trudeau … Tous ces mouvements peuvent et doivent converger pour forcer l’adoption de mesures pour diminuer les émissions de GES et pour construire un autre rapport à la nature.
Cela nous amène aussi à préconiser un projet de société axé sur le vivre ensemble et le prendre soin plutôt que celui centré sur les profits. En ce sens, il faut avancer la nécessité de reconnaître le travail gratuit fait par les femmes et dénoncer la situation de dégradation et d’exploitation des travailleuses dans les services sociaux. Les anges gardiennes de la Covid ont mis en évidence l’importance de prendre soin de nos communautés mais le gouvernement Legault tarde à reconnaître et payer à sa juste valeur tout ce travail. L’écoféminisme doit faire partie de notre compréhension de la question écologique.
Mais tous ces mouvements doivent dépasser la nécessaire manifestation de leur indignation face aux irresponsabilités des élites économiques et politiques. Ils doivent s’organiser pour bloquer l’extraction et le transport des hydrocarbures, utiliser la désobéissance civile, les actions perturbatrices et des grèves climatiques pour bloquer les productions nuisibles, dangereuses et inutiles. Pour ce faire, la classe des travailleurs et des travailleuses par la place qu’elle occupe tant au niveau de la production que du travail de soin doit absolument être gagnée à ce combat historique pour l’avenir de civilisation humaine.
Ce ralliement doit se faire autour d’un programme de ruptures concrètes basées sur les principes de justice sociale et de l’égalité des droits :
• Sortie réelle des hydrocarbures et interdiction de toute exploration et exploitation de carburants fossiles
• Mettre fin aux subventions directes et indirectes au capital fossile, expropriation sans indemnisation de ces entreprises pour mieux les démanteler et planifier leur reconversion
• Appropriation publique des entreprises produisant des énergies renouvelables et planifications démocratiques de développement
• Démantèlement des industries d’armements et conversions vers des productions purement civiles et pacifiques
• Contrôle public d’un système collectif et gratuit de transport avec réduction rapide de l’utilisation des automobiles et élimination des lignes aériennes qui peuvent être remplacées par des lignes ferroviaires
• Socialisation du travail de soin dans les domaines de la santé, du logement et de l’éducation
• Interdiction de l’obsolescence planifiée et de la publicité débouchant sur l’hyperconsommation
• Développement d’une agriculture écologique visant la souveraineté alimentaire et réappropriation par les producteurs et productrices agricoles des intrants nécessaires à la production.
• Socialisation du capital financier et son remplacement par un service bancaire public géré démocratiquement pour l’investissement dans des plans d’urgence et des projets écologiques durables et justes.
• Annulation des dettes du Sud global, appui financier et transfert de technologies vers les pays pauvres, responsables d’une partie infime des émissions de GES et qui sont les plus frappés par la crise climatique.
• Ouverture des frontières et adoption d’un droit d’établissement afin de faire face aux vastes mouvements migratoires qui seront provoqués par le réchauffement de la planète.
La COP 26 peut être une occasion de construire des mobilisations pour mettre au défi les élites économiques et politiques d’agir pour renverser la situation et pour proposer des revendications et des pistes d’action et de convergence des mouvements sociaux antisystémiques. Car l’issue ne peut être que dans la lutte.
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