Édition du 5 novembre 2024

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COP 26

COP26 : les peuples autochtones victimes du marché carbone

À Glasgow, des femmes représentantes des peuples autochtones brésiliens arpentent les couloirs des négociations climatiques comme les manifestations. Mediapart est allé à leur rencontre alors que se discute à la COP26 la régulation des marchés du carbone, un mécanisme d’échange de droits d’émissions de CO2 qui impacte tout particulièrement les territoires autochtones.

11 NOVEMBRE 2021 | tiré de mediapart.fr-20211111&M_BT=733272004833]

C’est un des points de discussion les plus tendus de la table des négociations climatiques de cette COP26. Le complexe et technique article 6 de l’accord de Paris de 2015 vise à mettre en place un marché international du carbone, c’est-à-dire des mécanismes d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre entre des pays ou des entreprises qui en émettent trop, et des pays ou des firmes qui en émettent moins.

Pour l’instant, cette marchandisation du CO2 manque terriblement de régulation et a surtout servi à maintenir le business as usual des plus gros émetteurs. Une des principales dérives de ce marché carbone est que des multinationales climaticides ou des États riches en abusent en finançant des projets de compensation de leurs émissions via des actions de reforestation.
« Le problème, c’est que ce sont des milliers d’arbres qui sont plantés à chaque projet. Total envisage par exemple de planter en monoculture plus de 40 millions d’acacias en République du Congo. Ce sont des milliers d’hectares de terres d’où vont être expulsées des communautés autochtones ou paysannes », précise à Mediapart Myrto Tilianaki de CCFD-Terre Solidaire.

En août dernier, Oxfam a estimé que si l’on prenait en compte tous les engagements de neutralité carbone des États et des entreprises, l’ensemble des terres cultivées de la planète serait occupé par des projets de compensation carbone. « C’est bien en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre à la source et non en les compensant par des projets dans les pays du Sud qu’on lutte contre les dérèglements climatiques », insiste Myrto Tilianaki.

Les droits humains sacrifiés sur l’autel du marché carbone

Le Brésil est en première ligne des velléités de compensation carbone des grandes entreprises. La valeur financière attribuée au carbone stocké par la forêt amazonienne est énorme. Et les mécanismes de marché permettent aux groupes industriels de compenser leurs émissions en finançant des projets qui sanctuarisent les forêts brésiliennes au détriment des peuples amérindiens autochtones qui vivent sur ces territoires.

« Depuis la naissance de ce marché carbone, de nombreuses violations des droits humains ont été observées, résume Myrto Tilianaki. Dans le cadre de l’article 6 de l’accord de Paris, nous militons pour que les droits des peuples autochtones soient inscrits dans cette régulation du marché carbone, ainsi qu’un mécanisme indépendant de plainte pour les victimes des dérives des projets de compensation. Les négociations sont en cours à la COP26 mais nous craignons que, dans la recherche d’un consensus diplomatique, l’inscription des droits humains dans les accords climatiques soit sacrifiée. »

Le 10 novembre 2021, dans une arrière-salle du Centre for Contemporary Arts de Glasgow, un rassemblement intitulé Cura da Terra– « Soin de la Terre », en portugais – était organisé par et pour les femmes autochtones présentes à la COP26.

Au sein de cette assemblée militante étaient présentes Sonia Guajajara et Telma Taurepang, deux représentantes des peuples autochtones brésiliens. Elles sont venues spécialement à Glasgow avec une vingtaine d’autres déléguées de l’APIB (Articulação dos Povos Indígenas do Brasil), la coordination du mouvement indigène brésilien. Ce réseau rassemble plus de deux cents collectifs et organisations locales à travers le pays et se revendique le porte-voix de plus de 305 peuples autochtones.
Entre une session de chant fémininiste et une conférence de presse, elles ont accordé à Mediapart un bref entretien.

Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre venue à la COP26 ?

Sonia Guajajara  : À Glasgow se discutent les mécanismes de lutte contre les dérèglements climatiques. C’est un espace de décision qui inclut la question des droits humains mais qui, paradoxalement, ne prend pas en considération les revendications des peuples qui vivent au sein des territoires autochtones.
Nous sommes donc venues faire entendre les voix des peuples indigènes au sein de ces négociations internationales.
Nous faisons partie de la solution climatique puisque plus de 80 % de la biodiversité mondiale est sous la responsabilité directe des populations autochtones. Protéger les terres et les droits indigènes signifie donc protéger les forêts qui représentent des puits de carbone indispensables à l’équilibre climatique. On estime que les stocks de carbone en réserve dans les territoires indigènes brésiliens représentent un tiers de tout le carbone séquestré par la forêt amazonienne du pays et l’équivalent de deux ans d’émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Mais au Brésil, les droits indigènes sont méthodiquement démantelés depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro pour faciliter l’exploitation des ressources pétrolières, des forêts, des minerais et des corps des femmes autochtones.

Telma Taurepang : Je suis ici en tant que représentante de l’Anmiga (Articulação Nacional das Mulheres Indígenas Guerreiras da Ancestralidad), un réseau national des femmes autochtones brésiliennes – une organisation membre de l’APIB.
Nous sommes dans un moment d’union inédit des différents mouvements de luttes autochtones face à un Jair Bolsonaro qui a eu un impact néfaste sur la vie des peuples autochtones, et, en conséquence, sur le climat. Il a donné un blanc-seing aux entreprises extractivistes, ce qui accélère la destruction de nos territoires comme le réchauffement planétaire.

Quel est l’impact, sur votre quotidien, des activités extractivistes des groupes industriels ?

Sonia Guajajara : Sur mes terres, le territoire autochtone Araribóia (dans l’État du Maranhão, situé dans le nord-est du pays), le problème principal est l’exploitation illégale du bois. Entre 2019 et 2020, cinq personnes de mon peuple ont été assassinées par des exploitants forestiers.

Un peu plus loin, l’extractivisme minier fait également des ravages : les élus distribuent de larges concessions foncières, source de nombreux conflits d’usages et de pollution au mercure des eaux. Régulièrement, les locaux des organisations autochtones ou les maisons des chefs communautaires sont incendiées. Enfin, à cela s’ajoute le drame des pesticides, répandus pour la monoculture intensive de soja, qui causent chez les femmes autochtones enceintes de nombreux avortements.

Il est plus que temps d’écouter d’autres voix que celles du capitalisme.

Telma Taurepang, représentante des peuples autochtones de l’État du Roraima, Brésil.

Telma Taurepang : Nous avons à faire face aux mêmes violences et aux mêmes industriels forestiers, agricoles et miniers dans les territoires autochtones Taurepang (État du Roraima, à l’extrême nord du Brésil). Ce qui est important à retenir, c’est que pour faire toujours plus de profits sur le dos de la Terre, ces violences dont font l’objet depuis cinq cents ans les peuples autochtones brésiliens sont en passe d’être légalisées et inscrites dans la Constitution du pays.

Quel est votre regard sur la COP26 après dix jours de négociations ?

Telma Taurepang : Ma préoccupation est très grande : quelques représentants de près de deux cents pays n’ont pas prendre qu’entre eux des décisions aussi importantes que l’avenir des générations futures. Il est plus que temps d’écouter d’autres voix que celles du capitalisme.

Sonia Guajajara : Les hommes blancs ont longtemps assumé seuls les responsabilités politiques. Ce temps est révolu. Désormais, les femmes autochtones ont établi un rapport de force avec ces hommes. Nous sommes les premières à subir le racisme, les violences politiques, sexuelles et climatiques. Toutes ces violences systémiques excluent les femmes des espaces décisionnels politiques et empêchent toute réelle transformation sociale.

La table des négociations mondiales sur le climat demeure extrêmement ségréguée. Les COP ne peuvent plus nous invisibiliser perpétuellement, il faut que la communauté internationale construise d’autres espaces de dialogue avec la société civile.

Les marchés carbone sont actuellement au centre des négociations à la COP26, un mécanisme qui affecte tout particulièrement les peuples autochtones.

Sonia Guajajara : Les projets de compensation carbone marchandisent la Terre, et les entreprises l’accaparent au détriment des peuples autochtones. Les gouvernements ne parlent que d’innovations technologiques, de capture de CO2, ou de marché carbone face au réchauffement global, mais une solution sociale existe déjà : protéger les territoires autochtones.

Les terres indigènes représentent plus de 13 % de la surface totale du Brésil, des terres qui sont les plus protégées du pays grâce aux autochtones puisque seulement 1 % de la déforestation y a eu cours durant les trente-cinq dernières années. Défendre nos droits, c’est, par conséquent, défendre le climat.

Telma Taurepang : Au Brésil, le mécanisme REDD [Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts – ndlr] lié aux marchés du carbone consiste à ce que des entreprises achètent des crédits carbone en donnant de l’argent aux peuples autochtones en échange de leur préservation des forêts.
Mais dans l’État de Rondônia par exemple, cela a créé beaucoup de conflits et de divisions entre les communautés car dans notre culture, notre rapport à la terre n’est pas une relation de propriété, mais une relation de soin, d’attention commune pour le bien de toute la communauté.

Les marchés carbone ne servent qu’à une seule chose : permettre aux États et aux entreprises de payer pour pouvoir continuer à polluer.

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