Tiré du blogue de l’auteur.
Criminel – Quand la pérennité des conditions de vie décentes sur la planète est en jeu, on attend des Etats qu’ils se partagent les efforts supplémentaires nécessaires pour garantir aux populations que tout est mis en œuvre pour rester en-deçà de 1,5°C de réchauffement climatique, garantie sine qua non de survie pour une part significative d’entre elles. Une fois de plus, ce n’est pas ce qu’il s’est passé à Glasgow. Les 15 jours de négociations n’ont pas été utilisés pour obtenir un renforcement immédiat des politiques climatiques nationales (NDC) qui conduisent, à supposer que ces engagements soient réellement respectés, à un réchauffement climatique de 2,7°C ou plus. La prophétie de Paris, qu’on nous avait promise « autoréalisatrice », ne se réalise pas : les politiques climatiques nationales sont à des années-lumière du nécessaire, et les moins mauvais élèves ne sont que les meilleurs des cancres d’une classe de cancres. Le texte de décisions de la COP26 en témoigne, appelant les Etats à donner plus d’ambition à leur politique climatique dès 2022. Alors que les données de cette équation sont connues depuis 2015, va-t-on encore perdre une année ? Et combien d’autres ensuite ? Alors qu’il faudrait réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45% d’ici à 2030, les Etats nous promettent de battre un record d’émissions chaque année, oui CHAQUE ANNEE, d’ici à 2030 (+14% sur la période). La différence entre -45% et +14% est un crime climatique. Un crime commis en toute connaissance de cause.
Indécent – Les Etats des pays riches, dont l’Union européenne et la France, nous font honte. Incapables de tenir les engagements financiers qu’ils ont pris il y a douze ans à Copenhague (COP 15), à savoir mobiliser 100 milliards d’euros annuels pour aider les populations des pays pauvres à faire face au réchauffement climatique, les gouvernements de nos pays multiplient les obstacles pour refuser de se placer à la hauteur de la responsabilité historique qui est la leur : une fois encore, ils se sont arrangés pour ne pas débloquer un euro de plus en vue de financer un mécanisme digne et juste de réparations des pertes et dommages irréversibles occasionnés par le changement climatique dans les pays pauvres. Ces derniers, qui ne sont pas responsables du changement climatique, en paient le prix fort et sont presque totalement abandonnés à leur propre sort par nos Etats qui refusent d’assurer leurs responsabilités. C’est indécent. Ils nous font honte.
Dilatoire – La mention des énergies fossiles dans les décisions de la COP26, première du genre, ne saurait être l’arbre qui cache la forêt. D’abord parce que cette mention a été totalement édulcorée et vidée de sa substance, n’engageant finalement aucun Etat de la planète à changer ses priorités en la matière. Le seul principe inviolable des négociations climatiques que les Etats appliquent consciencieusement depuis presque 30 ans persiste : « notre mix énergétique national est non négociable ». Ils continueront, directement ou indirectement, à forer toujours plus loin, plus profond et avec plus d’impacts écologiques et humains. Si les Etats voulaient vraiment éviter d’aller au-delà de 1,5°C de réchauffement, ils s’engageraient à organiser et planifier une baisse de la production mondiale de gaz et de pétrole de 3 % par an jusqu’en 2050 et de 7% pour le charbon, comme le recommandent les scientifiques. Plutôt que des politiques climatiques ambitieuses à court-terme, ils multiplient de nouvelles promesses sans consistance pour 2050 qui s’articulent autour de la notion confuse et dangereuse de « neutralité carbone ». Comme si l’on pouvait attendre le dernier moment pour transformer les soubassements énergétiques de l’économie mondiale, qui fonctionne comme une machine à réchauffer la planète totalement hors de contrôle.
Le clou du spectacle réside dans la finalisation des règles de mise en œuvre des marchés carbone internationaux : là où l’article 6 de l’accord de Paris laissait ouverte la possibilité de mécanismes de coopération internationale non fondés sur les marchés, les Etats l’ont finalement doté de marchés carbone dangereux, inefficaces et injustes. Étendre ces mécanismes douteux à l’échelon mondial, en autorisant les Etats à utiliser les crédits carbone accumulés sans raison sous le protocole de Kyoto, revient à saper l’ambition des maigres politiques climatiques nationales déjà prises et à vider de leur substance celles que la société civile pourrait obtenir dans les années à venir. Voilà la porte ouverte à toutes sortes de marchés volontaires et autres mécanismes de compensation carbone qui vont permettre aux entreprises multinationales les plus nocives, de la production d’hydrocarbures au secteur aérien en passant par les industries lourdes, de ne surtout pas transformer en profondeur leurs systèmes productifs. La généralisation des marchés carbone et de la neutralité carbone instaure à l’échelle internationale un greenwashing institutionnalité dans lequel tous les pollueurs vont se complaire avec allégresse. A Glasgow, les Etats ont collectivement déserté le terrain de l’ambition climatique. Les populations les plus pauvres en paieront le prix le plus fort.
En ne comportant aucun dispositif contraignant pouvant être actionné pour soumettre les États ou les industriels récalcitrants à l’impératif climatique, l’accord de Paris avant confié à la société civile (ONG, syndicats, collectivités territoriales, etc) la responsabilité consistant à faire respecter l’article 2 de l’Accord de Paris prévoyant de maintenir le réchauffement climatique global sous la barre des 1,5°C. Le bilan de cette COP26 le montre encore avec plus de force : il est plus qu’urgent qu’un ouragan citoyen renverse la table des négociations et oblige Etats, institutions internationales et entreprises multinationales à se soumettre à l’impératif climatique.
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil)
@maximcombes sur twitter
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