Édition du 12 novembre 2024

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Environnement

Montréal (Canada), reportage

Les Soulèvements du fleuve : ces cousins québécois des luttes françaises

Au Québec, le fleuve Saint-Laurent et ses berges sont artificialisés. Les collectifs de défense se regroupent au sein des Soulèvements du fleuve, inspirés des Soulèvements français.

3 septembre 2024 | tiré du site reporterre.net

Du haut de ce talus en plein cœur de Montréal, nous sommes en équilibre entre deux mondes. D’un côté, le quartier de Maisonneuve, avec des enfants qui jouent, des gens qui se baladent dans la forêt, ce poumon vert qui accueille des chauves-souris, et la migration du papillon monarque, une espèce protégée. De l’autre, du béton, du macadam et des centaines de conteneurs de toutes les couleurs empilés sur des dizaines de mètres de hauteur.

« Ici, c’étaient des bois auparavant. C’est là que nos enfants ont appris à marcher. On faisait des pique-niques tous les week-ends. Aujourd’hui, il n’y a plus rien, tout est asphalté », dit Anaïs Houde, militante de Mobilisation 6600, un regroupement citoyen qui s’oppose à la réindustrialisation des berges du fleuve Saint-Laurent.

Agrandissement de ports, nouvelles autoroutes ou zones industrielles... Dans la province du Québec, les projets portés par le lobby de la logistique fleurissent — tout en bétonnant et privatisant les berges du fleuve. Depuis l’été, tous les collectifs en lutte contre cette Silicon Valley québécoise ont décidé de se regrouper à travers Les Soulèvements du fleuve, un mouvement inspiré des Soulèvements de la Terre en France. L’idée ? « Montrer que nous ne sommes pas des luttes locales isolées, mais que l’on se bat pour un enjeu global. Et au passage, fournir un discours théorique et politique sur ce que ce monde-là nous prépare », explique Joris Maillochon, lui aussi membre de Mobilisation 6600.

D’ici, on ne voit même pas le fleuve Saint-Laurent, pourtant tout près, caché par d’immenses grues. « Oh, un renard qui se balade au milieu des conteneurs  », s’amuse Joris Maillochon. C’est une partie du boisé Steinberg, au sud de Montréal, que la compagnie privée Ray-Mont Logistics veut raser pour y implanter la plus grande plateforme de transbordement d’Amérique du Nord. Cette installation permettrait à l’entreprise de multiplier son activité par quinze.

Balance ton mégaport

Plus au nord de Montréal, le port de Contrecœur devrait, lui, doubler sa capacité actuelle, dans le but d’accueillir 1 million de conteneurs par an. « Pour cela, ils vont couper 22 000 arbres, c’est énorme, explique Gilles Dubois, militant d’une vigie citoyenne qui s’oppose à ce mégaprojet. Sans compter les milliers de camions qui vont venir ici chaque jour pour décharger des marchandises. »

À Lévis, petite ville en face de Québec, le Collectif Sauvetage veut sauvegarder 272 hectares de terres agricoles, de forêts et d’érablières vouées à disparaître pour un « complexe industriel et portuaire ». « Nous sommes près de superbes falaises, où je me balade souvent en kayak. C’est une bordure sauvage, sans aucun habitant, avec beaucoup d’arbres, de fleurs et d’animaux rares. Ce sont les terres de mes grands-parents. Rien à faire, ils veulent détruire encore et encore  », souffle Michel Bégin-Lamy, militant du collectif.

Alors, les militants s’organisent. Le 16 juin dernier, après le camp climat organisé au boisé Steinberg, Les Soulèvements du fleuve sont entrés par effraction sur le terrain de la plateforme Ray-Mont Logistics pour « désarmer » le lieu. Ils ont, entre autres, couvert des engins de peinture, crevé des pneus et ouvert des conteneurs à la meuleuse.

À travers Les Soulèvements du fleuve, ces militants masqués veulent ouvrir la porte à une radicalité plus assumée. « L’action directe, pourquoi pas, ça permet de rendre les contradictions plus visibles. Mais la lutte ne peut pas être totalitaire, elle ne doit pas oublier le reste », analyse Gilles Dubois. « D’un côté, on organise des manifestations familiales et pacifistes, des barbecues, des ateliers, une foire paysanne, des jeux pour les enfants... Et de l’autre, des personnes masquées construisent un mur de briques sur un boulevard ou taguent des machines. C’est le fun de travailler ensemble », sourit Anaïs Houde.

« Quand j’ai vu ce que Les Soulèvements de la Terre ont fait cet été en bloquant le port de La Rochelle, j’étais vraiment impressionné, dit Joris Maillochon. Les militants sont allés jusqu’au bout de la chaîne pour montrer jusqu’où vont les dangers de l’agro-industrie. C’est cohérent et ça permet de peser dans les médias. On a compris qu’il fallait que l’on sorte de notre quartier pour gagner !

Sur le talus du boisé Steinberg, la présence des militants n’est pas la bienvenue. Une compagnie de sécurité privée surveille l’endroit 7j/7. Ils redescendent. En contrebas, les habitants des résidences voisines ont installé des pancartes sur des grilles : « Le port nous envahit », « Canopée en phase terminale » ou encore « Résister et fleurir ». Si le projet de plateforme logistique voit le jour, des dizaines de rails ferroviaires vont être construits ici. Au-dessus de nos têtes, un échangeur d’autoroute sortira de terre pour « fluidifier » le trafic. Les riverains s’inquiètent de l’augmentation de la circulation qui affecterait grandement la qualité de l’air.

Dans le bas Saint-Laurent, des militants s’opposent au prolongement de l’autoroute 20 entre Rimouski et Trois-Pistoles, un projet directement lié à l’explosion de l’activité économique en bord de fleuve. « C’est une question de santé mentale, explique Sébastien Rioux, du collectif Non à la 20. L’autoroute va passer juste à côté du village, là où les gens se baignent tous les jours. Ils se vantent de vouloir construire le plus haut pont du Québec. Quelle fierté, waouh ! »

Le silence complice du gouvernement

« À chaque fois, ce sont les pouvoirs publics qui construisent avec notre argent des infrastructures qui servent uniquement aux intérêts des grandes compagnies privées », se désole Joris Maillochon.

Pour l’agrandissement du port de Contrecœur, les gouvernements du Canada et du Québec vont, par exemple, investir plus de 1,4 milliard de dollars dans le cadre du plan de stratégie maritime « Avantage Saint-Laurent ». « On investit des milliards pour seulement créer un millier d’emplois, ce n’est rien du tout », argue Gilles Dubois.

Au boisé Steinberg, ancienne friche industrielle, le ministère de l’Environnement a même soutenu que raser la forêt et mettre de l’asphalte était la meilleure solution pour sauvegarder la faune et la flore. « Évidemment, quand il n’y a plus de nature, tout est protégé », ironise Anaïs Houde. Contacté, le ministère des Transports et de la mobilité durable du Québec n’a toujours pas répondu à notre demande d’interview.

Ces projets de bétonisation des berges du fleuve datent tous de plusieurs décennies. « On croirait que nos politiques sont encore dans les années 1950, où l’on pensait que la croissance économique allait sortir les gens de la pauvreté. Avec les enjeux écologiques actuels, cette logique-là ne tient plus la route », poursuit Gilles Dubois. « On veut réussir ici ce qui se passe en France, bien que la situation soit différente du point de vue colonial et historique, conclut Joris Maillochon. Créer des cortèges comprenant un large spectre qui va des élus et familles aux groupes anarchistes autonomes. C’est vraiment inspirant. »

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