Les idées réactionnaires et fascistes se répandent dans de larges secteurs des classes populaires, notamment suite à la énième tragédie des milliers des réfugiés noyés dans la mer Méditerranée [1]
1]. Aux yeux d’une partie de plus en plus importante de la population, les victimes et les « morts de la mer » constituent une menace : les migrant·e·s sont l’ennemi à combattre. La crise économique est devenue désormais une crise sociale et, vu l’absence d’une alternative socialiste et démocratique, la barbarie prend de l’essor. Il ne s’agit pas seulement d’une barbarie matérielle, mais aussi idéologique qui s’installe dans les consciences de secteurs importants de la société et parmi les salarié·e·s. La prétendue miséricorde et charité d’âme chrétienne « propre au pays », mais aussi la solidarité et la fraternité du mouvement ouvrier à leur crépuscule laissent la porte ouverte à la peur, au ressentiment et à la haine vis-à-vis du plus faible [2].
La responsabilité des classes dominantes, de leurs gouvernants et des médias (vecteur d’une idéologie formatée) est énorme. Elle est l’expression d’une crise de civilisation issue de la crise du capitalisme. La mer Méditerranée, qui a toujours été un lieu de rencontre des peuples, s’est transformée en un cimetière d’hommes, de femmes et d’enfants. Aujourd’hui, ces tragédies constituent un véritable acte d’accusation contre les gouvernements européens.
La défaite face au « Jobs Act »
En Italie, des grandes manifestations ont eu lieu en octobre et en novembre 2014 avec une participation importante des secteurs de la classe laborieuse [3]. Ces mobilisations visaient à s’opposer à la loi nommée « Jobs Act » promue par le gouvernement Renzi. Cette loi avait un objectif : détruire les normes et les droits que les salarié·e·s avaient conquis à travers les luttes des années 1960 et qui s’étaient concrétisés sous la forme du Statut des travailleurs de 1970. Autrement dit, le « Jobs Act » devait libéraliser davantage ledit marché du travail. Ainsi, les entreprises peuvent bénéficier d’une liberté totale de licenciement et leur capacité de chantage – avec la peur qui peut en découler – et d’exploitation des salarié·e·s est encore renforcée.
En particulier, durant la journée de grève convoquée par la Fédération des employés et des ouvriers de la métallurgie [FIOM], le 18 novembre 2014, et pendant la grève sociale appelée par les syndicats de base et les centres sociaux, une radicalisation du conflit s’était manifestée. Cette dynamique a été confirmée lors de la journée de grève générale du 12 décembre 2014 qui était convoquée par les directions de la Confédération générale italienne du travail (CGIL) et l’Union italienne du travail (UIL) sous la pression de ses membres et des salarié·e·s. Mais pour vaincre la difficile bataille contre le Jobs Act [4], une persistance des luttes et de la radicalisation des mobilisations aurait été nécessaire. Cela dans la perspective de donner confiance, de motiver et de mettre en action des secteurs significatifs des salarié·e·s pour accumuler les éléments indispensables à une grève générale. Il aurait fallu une bataille jusqu’au bout contre le gouvernement afin de le mettre en difficulté, l’obliger à reculer et, de la sorte, ouvrir une nouvelle phase pour le mouvement des salariés dans ce pays.
Alors que la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL) s’était clairement profilée aux côtés du gouvernement, les directions bureaucratiques de la CGIL et de l’UIL ont conçu la grève du 12 décembre 2014 comme une pure démonstration de leur existence en tant qu’appareil syndical. En effet, suite à cette manifestation, ils ont tout de suite reculé en laissant le terrain libre pour le gouvernement. Les syndicats ont permis au patronat de faire le « sale boulot ». Ainsi, ils ont éliminé toute perspective aux travailleurs. La défaite s’est concrétisée le 20 février 2015 par le biais d’un décret législatif – adopté par le Conseil des ministres – concernant l’application des normes du Jobs Act. Dans les faits, le Statut des travailleurs a disparu.
Ils ont réussi à effacer les normes de protection des salarié·e·s qui constituaient le cadre légal dans lequel le mouvement syndical italien a développé ses divers combats au cours des dernières quarante années.
L’article 18, qui protégeait les travailleurs contre des licenciements illégitimes, en imposant la réintégration sur la place du travail, n’existe plus. Aujourd’hui, un travailleur ou une travailleuse licencié peut à la limite obtenir une modeste « compensation » économique. Ainsi, chaque salarié sera de plus en plus objet de chantages de la part des patrons et sa condition sera celle d’un précaire à vie. En effet, le prétendu « contratto a tutele crescenti » [nouvelle forme de contrat selon le Jobs Act] offre aux patrons des cadeaux fiscaux pour trois ans, soit 26’000 euro pour chaque engagement opéré sous cette forme. A la fin de cette période, le travailleur pourra bien sûr être renvoyé à la maison. De plus, les contrats précaires persistent. Le 78% des contrats passés lors des deux premiers mois de 2015 sont des contrats précaires, souvent abusifs. La pratique des licenciements collectifs est elle aussi libéralisée.
Le décret de Renzi détruit aussi la pratique du « cahier des charges » propre à chaque catégorie. Cela laisse la porte ouverte à des baisses salariales et va permettre un contrôle accru des patrons sur les ouvriers.
N’y a-t-il pas eu un siècle des luttes pour dépasser une telle condition et pour conquérir une certaine sécurité de travail et de vie pour les salarié·e·s ? N’y a-t-il pas eu des éloges innombrables faits quant aux progrès sociaux et humains issus des droits des travailleurs conquis grâce aux mobilisations de l’après-guerre en Europe ? Aujourd’hui, tout change. On retourne à la « modernité », à savoir au XIXe siècle. Il est vrai que les patrons ont toujours conçu les droits conquis par le mouvement des salarié·e·s comme une parenthèse « douloureuse » dans l’histoire. Elle devait être fermée le plus rapidement possible, à partir d’un changement des rapports de forces.
Deux conséquences dangereuses
La première conséquence de cette défaite est le renforcement du gouvernement et de son leader [Renzi]. Alors qu’il avait subi un déclin [en termes de popularité] lors des manifestations de l’automne, Renzi est tout de suite revenu à la charge. Il a relancé l’initiative néoconservatrice sur le plan institutionnel par le biais de la contre-réforme de la Constitution de 1948 et de la révision de la Loi électorale [5]. Parallèlement, il essaie de détruire l’école publique à travers son projet la « Bonne école » [voir ci-dessous]. De plus, dans un contexte de crise internationale et de guerres, le gouvernement accroît la mise en œuvre des politiques d’intervention militaire et prépare de nouveaux projets néocoloniaux [6].
La deuxième conséquence dramatique concerne l’initiative politique des droites réactionnaires et racistes impulsée par la Ligue du Nord de son secrétaire fédéral Matteo Salvini qui se présente comme l’alternative à Renzi. Les médias italiens, qui jouent un rôle fondamental dans la promotion médiatique de Salvini, le définissent comme la seule alternative à Renzi. Il est vrai que Salvini apparaît plusieurs fois par jour sur toutes les chaînes télévisées du pays en construisant son discours sur le racisme, la xénophobie, la haine de l’étranger et des migrant·e·s. Il met à profit et stimule le sentiment d’insécurité sociale qui affecte d’amples secteurs de la société italienne.
La Ligue du Nord s’est recyclée comme force nationale sur le modèle du FN (Front national) en France [7]. Elle multiplie les manifestations de rues et elle collabore ouvertement avec des forces de l’extrême droite. Cette force constitue aujourd’hui une menace réelle, car elle joue un rôle actif dans la division de la classe laborieuse et érode très fortement la conscience de classe des salarié·e·s étayée par une histoire. La Ligue construit des faux ennemis pour les travailleurs tout en cachant qui sont les vrais responsables de leurs difficultés quotidiennes. Il n’y a rien de nouveau à ces mécanismes, mais le retour des vieux instruments politiques de l’extrême droite doit nous alarmer.
Une réflexion sur cette défaite
Les expériences de lutte de classe aboutissent à une seule leçon : les pires défaites arrivent toujours quand il y a renonciation au combat. Il est mieux de perdre en luttant que de rester « l’arme au pied » face à l’ennemi. Ce faisant on évite de favoriser d’autres forces [comme celle de l’extrême droite] et certains éléments se constituent qui peuvent jouer un rôle important dans d’autres phases.
La CGIL a dans un premier moment accepté, avec réticence, une sorte de résistance, tout en n’intervenant pas de manière à stimuler la mobilisation. Ensuite, elle a même abandonné cette option. Vis-à-vis de cette attitude, on entend des commentaires hallucinants, y compris de la part des membres de la FIOM. On reste sidéré quand on entend dire par certains syndicalistes que les « syndicats se sont mobilisés, mais que, à la différence du passé, le gouvernement n’a jamais pris en considération la force et le nombre des manifestations ». Dans quel monde vivent-ils ? Est-ce que la volonté de Renzi et de Squinzi (président de Confidustria) de ne faire aucune concession et de mener à bout leur combat leur a-t-elle échappé ?
Or, face à ces commentaires, de deux choses l’une : ou les dirigeants syndicaux n’ont rien compris de l’ampleur de l’affrontement de classe en cours, ou ils l’ont saisi, mais ils veulent rester immobiles face au choix de la classe dominante (comme a été le cas pour ces dernières années). Dans les deux cas, cela renvoie à un type de relations sociales entretenues avec les dominants, avec leurs conséquences « subjectives ».
Après avoir renoncé à mobiliser pour empêcher l’application du Jobs Act, les directions syndicales proposent de mener le « combat » sur un terrain plus difficile : à savoir dans chaque entreprise et sur chaque place du travail. Or, pris un à un, ces lieux non seulement sont sujets à des rapports de forces plus détériorés, mais ne peuvent, en tant que tels, être le levier d’une riposte à la hauteur d’une offensive d’ensemble des dominants. Bien sûr, il faut essayer de construire des mobilisations sur les lieux de travail. Mais ces dernières ne prennent un sens que si elles s’inscrivent dans une orientation qui aboutit à rompre avec les orientations et la pratique des appareils syndicaux constitués qui sont subordonnés au patronat.
Comment imaginer que sur le terrain de chaque entreprise les directions actuelles soient susceptibles d’appuyer des luttes. Avec quels instruments ? Ce d’autant plus que le terme « défaite » est largement tabou dans la CGIL et y compris dans la FIOM ? Bien qu’il ne soit pas tout à fait nié. On y fait allusion, mais afin de dissimuler les responsabilités des groupes dirigeants qui restent encore une référence pour des secteurs sociaux significatifs. Ou encore allusion a été faite à « l’immobilisme » de la base. Tout cela dans la pire des traditions bureaucratiques.
La direction de la CGIL se retrouve ainsi dans une impasse. Elle ne peut rompre avec la politique conduite depuis tant d’années et qui l’a formatée solidement. De plus, le gouvernement ne lui offre aucun espace politique. Les dernières séances du Comité de direction de la CGIL n’ont fait que confirmer ce que nous venons d’écrire. Il y a un discours qui, tout en justifiant un immobilisme de fond, cherche à mettre la responsabilité de la non-riposte au Job Acts sur les salarié·e·s et les structures de base (qu’elle n’a cessé d’affaiblir et neutraliser !). Il y a là l’aveu du refus – et y compris de l’incapacité – d’organiser une mobilisation à l’échelle nationale. Cette situation se traduit par des tensions entre la secrétaire de la CGIL, Susanna Camusso, et le secrétaire de la FIOM, Maurizio Landini [8]. Toutefois, les deux ont accepté la ligne de fond de la CGIL et justifient les pratiques de signatures des conventions collectives de travail à la baisse. Dans le cas des employé-e-s des banques et des assurances, ces pratiques ont même été appliquées à la suite d’une grande grève avec 90% d’adhésion parmi les salariés [9].
Mais la CGIL – avec la CISL et UIL – a fait pire à Milan. Lors de Milan EXPO 2015 [du 1er mai au 31 octobre 2015], les organisations syndicales ont signé un accord par lequel les organisateurs et les entreprises peuvent bénéficier du travail gratuit de milliers des salarié·e·s qui sont présentés comme étant des « bénévoles » [une proposition reprise par le ministre de l’Intérieur Angelino Alfano à propos des migrant·e·s : « ils n’ont qu’à travailler gratuitement »]. Cela constitue un précédent dangereux pour appliquer de telles pratiques lors d’autres événements [10].
La flexibilisation du travail
Sergio Marchionne, le chef de Fiat/Chrysler – celui qu’avait imposé en 2011 aux travailleurs du secteur de l’automobile un contrat de travail national à la baisse et différent de celui des métal-mécaniciens [11] –, a proposé le énième « plan de développement » pour ses usines en Italie lors d’une séance du conseil d’administration de son entreprise. Or, des milliers des travailleurs de l’industrie automobile sont au chômage technique (cassa integrazione) en Italie. Beaucoup travaillent seulement deux ou trois jours par semaine. Dans ce cadre, il propose un nouveau modèle salarial établi par le patronat qu’il présente comme étant un « cadeau » fait aux salariés. Dans ce projet, le salaire devient définitivement la variable d’ajustement.
Il faut savoir qu’un salaire de base pour les quelque 48’000 salariés de Fiat Chrysler Automobiles reste fixé au niveau établi en 2011 ; pour la majorité cela signifie un salaire net de 1300 euros. Des possibles augmentations salariales seront liées aux résultats de l’entreprise (qualité des produits, productivité, rentabilité, etc.) et seront distribuées sous forme de bonus par rapport à des critères et au jugement de la direction de l’entreprise [12]. C’est la complète domination de Marchionne qui disposera donc du pouvoir pour fixer les salaires, les objectifs « d’efficacité » ainsi que les bonus. Le secrétaire de la FIOM, Landini, a justement souligné qu’un tel projet élimine le rôle des syndicats au sein des entreprises, « en les réduisant à un rôle de simple spectateur » et « en simulant une démarche de participation des salariés quant aux objectifs de l’entreprise sans que ceux-ci aient aucune possibilité d’intervention ». En ce qui concerne les salaires, « il serait complètement variable » et chaque variation serait décidée de manière unilatérale par la direction de l’entreprise sur la base des critères que personnes peut connaître. « En effet – conclut Landini – nous sommes au dernier acte d’un parcours qui efface le contrat national de catégorie : il y avait le contrat national et la négociation au niveau d’entreprise, avec ce système il y a un seul niveau. » [13]
Le projet de « coalition sociale » de Landini
Dans ce contexte, Landini essaie de jouer un rôle qui va au-delà de l’activité syndicale. Il a lancé la proposition de constitution d’une coalition politique et sociale. Il ne s’agit pas d’un projet nouveau. Toutefois, après la débâcle subie par le mouvement et les organisations syndicales, ce projet est présenté comme la tentative de réagir à l’offensive gouvernementale et patronale dans le but de réunir un large front social. L’idée a été lancée lors de la manifestation nationale du 28 mars 2015 à Rome. En dépit des difficultés du moment, cette manifestation a rassemblé 20’000 travailleurs et travailleuses. A l’heure actuelle, le manifeste de ce projet n’a pas encore été rendu public. Donc, il n’est pas encore bien défini. Le secrétaire de la FIOM veut, à lui seul, définir les modalités concrètes et les instruments à mettre en place pour essayer de « compter » sur le plan politique. C’est une proposition qui vise à unifier l’ensemble des travailleurs indépendants, les précaires, les différentes associations qui agissent sur le terrain social, y compris les centres sociaux, dans le but de constituer un barrage et une alternative aux politiques « libéristes » ainsi qu’à la crise sociale qui s’accentue sous le gouvernement Renzi.
Cette idée ne peut que trouver un accord chez tous ceux et toutes celles qui ne veulent pas se résigner aux idées réactionnaires, mais qui veulent construire une alternative : s’unir pour se reconnaître mutuellement, multiplier les forces, définir les buts communs afin de réaliser un instrument qui est encore aujourd’hui indispensable, à savoir l’unité des opprimé·e·s et des exploité·e·s pour changer les rapports de forces sur le plan social et battre nos adversaires de classe. Ces derniers sont le patronat, la bourgeoisie et ses administrateurs politiques, ses partis, dont le Parti démocrate (PD).
Si la proposition de Landini est acceptable, il faut néanmoins lui adresser une critique. La première chose à dire est simple : pourquoi cette proposition n’a-t-elle pas été avancée il y a quelques années, quand la FIOM avait une force syndicale et sociale plus grande et une ligne alternative à celle de la CGIL, cela afin de pouvoir aboutir à une radicalisation d’une large partie des couches laborieuses ? Pourquoi Landini n’a-t-il pas lancé cette proposition en automne 2014 dans le sillage des grandes mobilisations au lieu d’accepter une position subalterne à la CGIL et, de facto, renoncer aux mobilisations ?
Mais il y a un aspect bien plus important qu’il faut aborder. En effet, la proposition de coalition sociale a besoin d’une proposition syndicale. Et cela porte sur une négociation cohérente et de classe, construite d’en bas, en vue des prochaines échéances importantes de négociations. Il s’agit d’une épreuve pour tester la crédibilité de la FIOM qui aurait, une fois de plus, la possibilité de construire de nouvelles initiatives contre les attaques de Marchionne, en partant notamment du renouvellement du contrat national des salariés du secteur de la métallurgie. Sur ce point le parcours du groupe dirigeant de la FIOM apparaît décidément douteux.
Récemment, lors d’un Comité central en date 16 avril 2015, les propositions de la minorité de gauche de la FIOM n’ont pas été accueillies positivement. Celles-ci se basaient sur le constat suivant : la négociation en Italie a été marquée par la totale déréglementation et fragmentation des droits, la balkanisation (fragmentation) des pratiques des négociations, et la nécessité que la FIOM soit « totalement opposée à accepter n’importe quelle forme de déréglementation du Contrat national du travail… et que la définition d’une plateforme est possible seulement à travers la participation directe des travailleurs. Elle doit se baser sur deux points essentiels : une augmentation salariale importante, fondée sur le seul critère de satisfaction des besoins des salarié·e·s et du rattrapage effectif et réel du pouvoir d’achat des travailleurs, compte tenu de l’augmentation continue des profits ; la non-application du Jobs Act dans sa totalité (bouleversement du cahier des charges, vidéosurveillance, gestion des sous-traitances et des licenciements collectifs). En ce qui concerne les licenciements individuels, le but doit être le rétablissement de la réintégration sur la place de travail comme prévu par l’article 18 du Statut avant la contre-réforme Fornero » [14]. Enfin, ce document demande d’affirmer la volonté de la FIOM quant à « la réduction de l’horaire de travail à parité de salaire et… le refus de discuter des extensions des horaires et/ou de l’augmentation de la flexibilité » [15].
La négociation des Contrats nationaux de travail constitue un test pour la FIOM dans la possibilité de s’opposer aux mesures d’application du Jobs Act
La contre-réforme de l’école publique, une possible riposte
La contre-réforme de l’école publique est présentée sous le nom de « la Bonne école ». Elle constitue un autre élément essentiel du projet « libériste » de Renzi (et de la Confindustria). La philosophie dont s’inspire ce projet s’intègre au socle de ce que les gouvernements précédents ont fait, à savoir des coupes permanentes dans le secteur de l’éducation. Le point central du projet de Renzi n’est pas, comme on veut le faire croire, l’embauche des enseignants précaires (dont on ne connaît pas encore le nombre exact !), mais une réduction systématique et différenciée des salaires, ainsi que l’introduction de la figure du directeur-manager dont le travail vise à rendre l’école de plus en plus similaire à une entreprise [16].
Sciopero-generale-unitario-scuola-5-maggio-2015-2Le secteur de l’éducation est un secteur social très sensible en Italie. Les travailleurs et travailleuses de l’école ce sont mobilisés et ont engagé plusieurs luttes durant les dernières années. Aujourd’hui, on assiste à l’organisation d’une riposte large du « monde de l’école » contre le projet de Renzi. Des initiatives politiques (manifestations, débats, etc.) sont en cours et d’autres sont programmées. Toutes les organisations syndicales – les trois principales confédérations, les syndicats de base et les syndicats autonomes – participent à la journée de grève unitaire du 5 mai 2015 [un article paraîtra à ce propos sur ce site] dans un contexte de croissance des luttes dans ce secteur. La ministre de l’Education, Stefania Giannini (PD), a été déjà contestée à plusieurs reprises et le gouvernement apparaît vulnérable sur ce thème
L’importance stratégique d’une bataille pour la défense de l’école publique et de son fonctionnement se révèle fondamentale dans la phase politique actuelle. Une fois de plus, la volonté de groupes dirigeants des confédérations syndicales et la force comme la détermination des militant·e·s de base de s’engager dans une épreuve de force vis-à-vis du gouvernement sont décisives pour infliger une première défaite au gouvernement Renzi : à savoir le retrait de son projet et pas l’intégration de quelques « corrections » comme il semble vouloir le faire sous la pression des enseignant·e·s, des parents d’élèves, en un mot du « monde de l’école ».
L’affrontement de classe
En guise de conclusion, le contexte socio-politique italien se présente ainsi. D’un côté, nous avons une bourgeoisie et son gouvernement qui, en ayant une vision lucide de la portée de l’affrontement de classe actuel, poursuivent une politique de réduction de la valeur d’ensemble de la force travail. Cela est possible à travers le chômage de masse, la précarité croissante, l’absence de revenu, la division, mais aussi les tensions entre les divers secteurs du monde du travail (par exemple entre travailleurs italiens et immigrés). L’intériorisation de cette précarité sociale engendre un sentiment de frustration, de démoralisation, de peur parmi les travailleurs et travailleuses qui considèrent cet « état des choses » comme étant impossible à changer. Ainsi, un nombre croissant, difficile à évaluer, sympathise pour des formations réactionnaires comme la Ligue du Nord.
D’un autre côté, des secteurs de la classe laborieuse dans ce pays maintiennent une certaine combativité. Ils sont capables de mener des luttes dans certaines régions, dans un contexte où l’action syndicale « traditionnelle » est de plus en plus difficile. Mais à l’heure actuelle la classe laborieuse se trouve sans l’expression, un peu constituée, d’un sujet politique. Les tentatives de mobilisations de l’automne 2014 ont débouché sur une « détérioration »… Mais la disponibilité à la mobilisation reste et est confirmée par plusieurs épisodes. Il y a une partie de la société qui voudrait « s’insurger », mais les canaux organisationnels ne sont pas disponibles ou pas à la hauteur de l’affrontement. Par exemple, la participation à la manifestation du 25 avril – 70e anniversaire de la Libération du nazisme et du fascisme – a été très importante. Près de 100’000 personnes sont descendues dans les rues à Milan. Toutefois, la conscience politique était très générale et limitée. Sur le plan politique, le gouvernement Renzi, celui qui plus que tous les gouvernements précédents a su représenter et gérer les intérêts des patrons, agit en concertation avec la Confindustria et maintient une certaine hégémonie dans la société. La vieille droite autour de Berlusconi est aujourd’hui profondément divisée et incapable de représenter une réelle opposition à Renzi. Au contraire, une partie des militants de Foza Italia (FI) est attirée par Renzi, car il a réussi à réaliser ce que les récents gouvernements Berlusconi n’ont pas été capables de faire [17].
C’est pour cette raison que l’action populiste et fasciste de Salvini arrive à se profiler en tant qu’opposition crédible et comme une alternative de leadership à droite.
Même si un secteur notable de la société est disponible à une « alternative sociale », pour le moment n’existe aucun projet crédible à gauche. La prétendue « gauche » du PD, dont ses membres les plus connus ont participé aux gouvernements de large coalition et géré les politiques d’austérité jusqu’à janvier 2014, a été définitivement marginalisée par l’arrivé au gouvernement de Renzi [22 février 2014]. Ces personnes sont à la recherche désespérée de quelques places politiques leur permettant d’avoir une marge de manœuvre vis-à-vis de l’autoritarisme du leader. Dans la pratique, ces « opposants » disposent de postes au Parlement suffisants pour déranger, quelque peu, l’action de Renzi. Mais sur chaque vote qui compte, ils s’alignent sur les positions du président du Conseil qui ne cesse de les menacer en jouant la carte des élections anticipées, ce qui signifierait la fin de la carrière politique de ces personnages [18].
Le Mouvement 5 étoiles de Grillo n’arrive pas à utiliser sa force parlementaire pour construire une action réelle d’opposition dans la société. Il n’arrive pas à le faire parce que ce mouvement est par sa nature interclassiste et maintient des positions fort ambiguës sur plusieurs thèmes. De plus sa structure politique et organisationnelle ne permet pas une construction et un enracinement réels du parti. Grillo est aujourd’hui boycotté par les grands médias. Toutefois, il garde une importance politique en termes d’intentions de vote, mais il n’a pas les capacités pour agir dans un contexte d’affrontement politique et social.
Les forces de la gauche radicale
En ce qui concerne la gauche, les projections en Italie de la dynamique espagnole et grecque ne se sont pas confirmées. La coalition « l’Autre Europe » (avec Tsipras), qui s’est présentée aux élections européennes et a obtenu 4% des votes (3 élus au Parlement européen), a tenu en avril 2015 sa première assemblée nationale avec la présence des délégués élus par la base. Les résultats de ce projet restent modestes et son action politique n’a pas beaucoup d’impact. Pour le moment, l’« Autre Europe » est surtout une coalition de diverses individualités visant à participer aux prochaines échéances électorales. La Gauche écologie et liberté (SEL) participe, sur le plan politique plutôt que sur le plan organisationnel, à ce projet. C’est une organisation qui bénéficie encore d’une certaine force électorale, mais qui pour cette raison ne s’engage pas dans des projets concrets. Lors des prochaines élections régionales en Italie – dans les régions de Vénétie, Ligurie, Marches, Toscane, Ombrie, Campanie et Pouilles – SEL va maintenir son alliance avec le PD dans beaucoup de ces régions.
Le parti de la Refondation communiste (PRC) est le deuxième acteur de l’« Autre Europe ». Il est celui qui dispose de la majeure partie des forces militantes engagée à animer toutes les listes alternatives présentes dans chaque élection. Cette ligne « électoraliste » a produit des ruptures au sein du PRC. Certains intellectuels et dirigeants politiques font aussi partie de cette coalition politique [19].
L’« Autre Europe » est gérée par ces sujets politiques avec des modalités de gestion verticale qui entrent en opposition avec la dynamique démocratique et de participation militante et active dans les régions. Ainsi se produisent déjà des ruptures politiques significatives ainsi que la marginalisation de quelques militants parmi les fondateurs de ce projet. Mais tous vivent dans la mythologie de la dynamique politique en Grèce et en Espagne, sans avoir la capacité de comprendre vraiment les raisons du succès spécifique – des difficultés nombreuses – de Syriza et de Podemos. Cela est aussi le résultat d’un fait : dans cette coalition le rôle et l’action concrète de la classe laborieuse, dans les divers pays, ne sont quasiment pas un sujet de discussion. De plus, il n’existe pas une discussion ouverte autour des politiques syndicales car une partie des dirigeants de l’« Autre Europe » entretient des rapports étroits avec des secteurs de la bureaucratie syndicale.
Le fait de ne pas avoir une vision d’ensemble des défaites subies, du rôle des appareils syndicaux dans ce processus rend difficile, sinon impossible, de trouver une initiative sociale cohérente et d’établir un lien avec une dimension politique alternative. Il s’agit d’un handicap qui limite la dynamique de cette coalition au seul plan électoral. Le chemin pour reconstruire des organisations syndicales de classe et une organisation anticapitaliste unitaire reste un parcours difficile et imprévisible. Il faut néanmoins essayer de l’entreprendre à partir des situations concrètes liées à des actions possibles. Il s’agit de reconstituer un bloc social et un mouvement de classe qui refuse les politiques destructrices de l’austérité et qui soit capable de remettre en discussion ce système économique basé sur l’exploitation, l’injustice et l’oppression.
(Traduction A l’Encontre)