Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Islamophobie ambiante au Québec : amalgame et confusion

En réponse à Yolande Geadah à propos de son article intitulé : Islamophobie et islamisme : entre déni et alarmisme, publié le 12 mars 2017.

L’auteure est chargée de cours en sociologie à l’UQAM

Je commencerai par le titre même du texte d’opinion de madame Geadah. S’il y a un alarmisme à dénoncer, je crois que c’est le sien qui fait des amalgames dangereux entre islamophobie et islamisme.

Pour commencer, il ne faut pas confondre la haine à l’endroit des musulmans et le radicalisme religieux. L’islamophobie est une haine dirigée contre les musulmans. L’islamisme est une interprétation radicale de l’islam. Ce que visiblement madame Geadah ne semble pas comprendre. On peut être contre l’islamophobie et contre l’islamisme.

Dans son premier paragraphe, je cite : « le présumé auteur de la menace qui visait les lieux de rassemblement d’étudiants musulmans à Concordia serait lui-même musulman ». Curieusement, pourquoi insiste-t-elle sur le fait qu’il soit musulman ? Comme si un musulman ne pouvait pas être islamophobe... C’est vrai, j’oubliais que les « autres » doivent être irréprochables.

En parlant du mouvement de solidarité des Québécois, elle espère que cela « saura calmer ces peurs et démontrer sans équivoque l’exagération de la menace d’agressions islamophobes ». Primo où est le caractère équivoque ? Six personnes ont été tuées parce qu’elles étaient musulmanes, c’est limpide. Pour voir plus clair, voici d’autres exemples :

 La mosquée à Pointe-Saint-Charles a été vandalisée à 2 reprises, en février et en janvier 2017.

 La mosquée de Québec a aussi été vandalisée, c’est celle-là même qui a reçu une tête de cochon. Elle a subi deux actes de vandalisme en moins de 24 heures en 2015. En 2014, des messages haineux avaient été inscrits sur ses murs.

 Une mosquée de l’est de Montréal, la mosquée Tawuba, a aussi subi des actes de vandalisme en février 2017.

 En 2013, ce qui ressemble à du sang a été versé à l’entrée de la mosquée de Saguenay. Une lettre a été laissée. Voici un extrait : « Cette mosquée est baptisée avec du sang de porc frais du Québec », « intégrez-vous ou rentrez chez vous », et « non à l’islam ».

 En 2014, c’est un commerçant, la boucherie halal Tiba, qui a retrouvé deux impacts de balles dans sa vitrine.

 Encore en 2014, la vitre de façade du Centre Communautaire Islamique Assahaba sur la rue Bélanger a été fracassée par une pierre et il y a eu une tentative d’incendie avec un cocktail Molotov.

 En 2015, une attaque contre l’école musulmane de Montréal : six vitres ont été brisées.

 En 2013, c’est au tour du Hammam & Spa Andalusi d’être vandalisé.

La liste est longue ! Mais il ne faut pas s’alarmer, c’est une exagération, nous assure madame Geadah ! C’est comme avoir un cheveu dans l’œil et prétendre voir clair.

Maintenant, parlons des actes haineux, violents et méprisants à l’endroit des individus musulmans, ce qu’on appelle de l’islamophobie. Voici quelques exemples. On se souvient de l’épisode de cette femme qui est morte étranglée par son foulard islamique pris dans l’engrenage des escaliers roulants d’un métro de Montréal, en 2014. Qu’avons-nous entendu à son propos ? « Elle avait juste a pas porter de voile », et bien d’autres propos haineux selon le SPVM. Une autre victime en 2015, une femme enceinte, en chemin pour aller chercher sa fille à l’école, deux adolescents se sont approchés d’elle, ils ont agrippé sont hijab et l’on fait tomber.

Lors d’une enquête que j’ai réalisée à Montréal en 2015, auprès de 26 femmes qui portent le foulard islamique, pour la majorité d’entre elles, les insultes et les regards méprisants sont un lot quotidien quand elles mettent le pied en dehors de chez elles. Se faisant traiter de salope, de terroriste, de chienne d’arabe, se faisant cracher dessus. Dans un parc, un chien est lancé par son maitre aux trousses de l’une d’elles. Deux femmes sur les 26 se sont fait menacer de viol... Et j’en passe.

Depuis le 30 janvier 2017, la police a compté 30 crimes haineux. Si on veut parler de mesure, en voilà une réelle. Ici, on parle de cas recensés à partir des cas d’agressions avérées, imaginons ce que ça doit être dans la réalité ! Que dire de tous ces messages islamophobes sur les réseaux sociaux, on n’arrive même plus à les compter tellement il y en a.

Je ne crois pas que madame Geadah ait pris la juste mesure.

Plus loin, elle nous donne encore son opinion sur les raisons du crime à Québec : c’est la faute au wahhabisme et aux accommodements raisonnables, dit-elle. Même si l’idéologie de certains musulmans est le wahhabisme, et qu’il pourrait s’agir d’une interprétation extrême de l’islam, cela justifierait aux yeux de madame Geadah qu’on tue, qu’on vandalise, qu’on violente et qu’on hait les musulmans ? En ce qui concerne les accommodements raisonnables, madame Geadah prétend qu’ils nourrissent l’islamophobie. Il faut m’expliquer comment le fait de protéger des droits des minorités joue contre elles. C’est comme si on disait aux juifs, c’est le fait qu’on vous ait accordé des accommodements qui fait que vous êtes victimes d’antisémitisme. Ou encore aux Afro-américains, c’est depuis que des droits vous ont été accordés que vous êtes victimes de racisme ! Quelle logique absurde !

Selon elle, la solution c’est une charte de la laïcité mieux « ficelée ». Non, la solution n’est pas la Charte de la laïcité, mais justement la lutte contre le racisme, la haine, la peur et la stigmatisation des musulmans et musulmanes qu’alimente la Charte ! C’est comme si on disait, pour ne pas créer de frustration chez les pauvres petits racistes, pour ne pas les offenser par la vue d’un voile islamique, il faudrait que les musulmanes soient invisibles. Est-ce aux victimes de se cacher ou aux agresseurs d’en porter la responsabilité ? Autrement dit, ce ne sont pas les victimes qu’on doit accuser, mais les agresseurs. Si madame Geadah veut faire œuvre d’utilité sociale, qu’elle lutte donc contre le chômage chez les musulmans qui peinent à travailler.

Enfin, le propos de madame Geadah est méprisant, impérialiste et colonialiste. Il se peut que la religion soit aliénation, mais là n’est pas la question. Qu’on fiche la paix aux musulmans et aux musulmanes et qu’on les laisse donc choisir leur vie tant qu’ils ne nuisent à personne et ne commettent pas de crimes, à moins que seul le fait d’être musulman soit devenu un crime !

Mariam Hassaoui

Chargée de cours en sociologie à l’UQAM

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