c’est comment on force de plus en plus les chercheurs à orienter leurs recherches au service des besoins immédiats de l’industrie, voire résoudre leurs problèmes spécifiques. Auparavant, en dépit de pressions générales en ce sens, les chercheurs pouvaient toujours naviguer tant bien que mal dans le développement de nouvelles idées, de nouveaux domaines de recherche, pas nécessairement en lien direct avec l’industrie. Maintenant, le gouvernement Harper a placé ses « pions » tels que John McDougall, un ingénieur et homme d’affaire de Calgary nommé en avril 2010, [1] et les pressions se font plus fortes, les demandes plus directes, plus spécifiques. On oblige carrément les scientifiques à présenter sur un plateau d’argent les fruits de leurs recherches aux entreprises et ce pour un prix dérisoire. Comme toujours, et plus que jamais, les fonds publics pour le profit privé.
Tout récemment, un chercheur éminent, de renommée internationale a démissionné de son poste au Centre national de recherche du Canada (CNRC). Tout laisse croire que c’est pour divergence de vues sur les orientations de plus en plus serviles de la recherche ordonnées par le "yes man" de Harper.
De plus, présentement au CNRC beaucoup d’employés sous contrat à durée déterminée sont remerciés ce qui fragilise grandement les équipes de recherche -sans parler de leur moral- et plusieurs craignent pour leur emploi s’ils osent s’opposer aux orientations affairistes de leur institution de recherche.
Déjà, depuis Harper, les services de la Bibliothèque scientifique nationale ont été transférés à l’entreprise privée aux dépens des employés de la fonction publique.
Évidemment cette idéologie néolibérale qui oriente les politiques tant fédérales que provinciales depuis une trentaine d’années ne s’impose pas uniquement au Centre national de recherche ; elle prévaut aussi dans les universités. Dans l’article d’Alec Castonguay La part belle à la recherche appliquée [2] il est écrit : "Max Roy*, dénonce le fait que les subventions ciblent encore une fois des recherches dont les résultats sont commercialisables : Pour les professeurs, cette vision ciblée de la recherche vers la productivité économique est une façon de détourner le sens même de la recherche, qui doit être à caractère plus fondamental et libre."
Finalement, c’est toute la population qui risque de payer pour ces politiques néolibérales que Harper pousse avec fanatisme à l’extrême. En plus des fonds publics, c’est tout le savoir qui est détourné par ces orientations à courte vue ce qui ne peut que nuire au développement scientifique, à l’investissement dans les connaissances d’avenir. Combien de découvertes ont été faites grâce à la recherche fondamentale ? Comme il est dit dans l’article de Tom Spears [3] : « Qui aurait pu prédire le World Wide Web ? Pourtant cela est entièrement le fruit de la recherche fondamentale. » En axant la recherche en vue de profits immédiats, la science risque ainsi de passer à côté de potentialités immenses pour le bien de l’humanité.
Récemment, face aux conséquences tragiques du néolibéralisme pour nos sociétés, 630 économistes européens ont signé le Manifeste d’économistes atterrés. Pour sonner l’alerte sur les conséquences également très graves de ce détournement du savoir et des fonds publics, cela prendrait bien un Manifeste de chercheurs indignés ou autre action concertée afin d’éveiller les citoyens gardés dans l’ignorance de ces enjeux.
Là comme ailleurs, seule la solidarité pourra faire la différence.
*Président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQFFU)