• L’oligarchie s’est auto anéantie en glissant dans la voyoucratie incarnée depuis la fin du gouvernement Préval par Sweet Mickey et Jovenel. Ces clowns sinistres ont eu le privilège de piller les coffres de l’État grâce au mélange de connivence avec de la caste de compradores haïtiens qui sont, et qui étaient, des intermédiaires subalternes de l’impérialisme. Ces compradores ont sagement déplacé leurs actifs en dehors d’Haïti où ils maintiennent des activités économiques subsidiaires, pendant que leurs « vraies » affaires se font à Miami ou à Saint-Domingue.
• Parlant impérialisme, le centre névralgique de Washington se retrouve pratiquement paralysé, ce qui laisse ses alliés latino-américains et caribéens dans le plus grand désarroi. À Washington, les noyaux du pouvoir sont éparpillés entre la présidence, le Congrès et les appareils militaires (le Pentagone et la CIA), sans leadership et sans stratégie (comme on le constate au Moyen-Orient). Haïti dans ce contexte semble pour l’impérialisme une cause incertaine et marginale, si ce n’est que pour empêcher un éventuel exode de boat-people.
• Les alliés subalternes des États-Unis dans cette gestion de crise, en l’occurrence le Canada, la France, le Brésil, sont incapables dans le moment actuel de prendre des initiatives susceptibles de restructurer l’« ordre » capitaliste, si ce n’est que par des tentatives nuisibles pour créer une fausse alternative.
• Parallèlement, l’« oligarchie politique » haïtienne, incluant des factions réformistes qui se réclament de la social-démocratie, n’est jamais sortie de sa cage dorée et ONGisée, en misant sur les liens privilégiés qu’elles espèrent développer avec les diverses fractions impérialistes. Bien que coalisés, les héritiers de la social-démocratie ont une faible base populaire, hormis les capacités de cooptation et de patronage qu’ils conservent à travers les agences de « développement » du Nord.
• Enfin, Aristide, qui a eu la capacité de dévoyer le potentiel révolutionnaire des années 1980, s’est lui-même engouffré dans le trou noir de la corruption. Son organisation a été largement disloquée bien qu’elle conserve des points d’ancrage dans les bidonvilles de la capitale, gangrenés toutefois par l’omniprésence des gangs.
Tous ces processus à la fois complémentaires et contradictoires ont pratiquement détruit l’appareil d’état, y compris le dispositif répressif aux mains d’une police déglinguée et criminalisée. Des secteurs du monde rural livré à lui-même, ont mis en place des mécanismes de survie, des structures autonomes. Les quartiers urbains et les zones rurales sont les foyers incandescents d’une insurrection qui devient de plus en plus à l’ordre du jour. Une jeunesse éveillée et auto-organisée a mis en place des mécanismes de communication permettant une coordination informelle des luttes. Elle est déterminée, car elle est totalement déconnectée par la tête et par le cœur des pouvoirs en place.
On est rendus là où Lénine avait vu que le temps était venu : « quand ceux d’en haut ne peuvent plus, et quand ceux d’en-bas ne veulent plus »…
Et pourtant …
Le processus de destruction bien entamé de l’État ne peut arriver à son point terminal à moins qu’une force déterminée ne donne l’assaut final. Un nouveau projet hégémonique doit surgir, clair, simple, accessible, attractif, réaliste. Si cette étape est franchie, l’insurrection peut devenir une révolution.
Pour le moment, Haïti n’est pas rendu là. Il y a derrière cela une fragmentation des couches populaires (qui était visible dès la révolution de 1804) et qui a également été responsable de la pseudo transition des années 1990. Cette fragmentation est à la fois la cause et la conséquence de la terrible faiblesse des organisations de gauche.
• Encore là, il y a des racines historiques, dont le processus de construction du Parti communiste, qui n’a jamais pu élaborer une ligne stratégique et qui s’est toujours mis à la remorque de projets incohérents (le dernier en lice étant Lavalas). La social-démocratisation du communisme haïtien a abouti aux efforts futiles de l’OPL de se faufiler au pouvoir par la porte de derrière.
• Les diverses fractions d’extrême-gauche nées dans la tempête des années 1960 et une autre fange apparue dans les années 80-90 ont été critiques par rapport à cette évolution, mais sans élaborer un dispositif tactique et stratégique alternatif. La fausse voie « facile » de se tenir derrière un pouvoir disloqué (Aristide et plus tard Préval) a dominé et même les a affaiblies. La fausse solidarité des ONG a conduit à la prolifération de projets parfois intéressants, mais éparpillés et sans perspective à long terme. Il y a eu des efforts véritables pour construire des organisations de masse, mais sans stratégie à long terme, ce qui fait que les organisations sont généralement confinées dans les luttes locales.
• De multiples tentatives d’« unification » n’ont mené nulle part dans un univers de gauche hyper personnalisé, mal connecté de façon épisodique avec les luttes populaires dans les quartiers et les zones rurales, incapables de développer des liens organiques avec les mouvements radicalisés.
• Aujourd’hui, des groupes de gauche tout en s’exprimant sur une base autonome prennent place objectivement dans de douteuses alliances dont l’objectif est de rescaper l’État. Ces alliances, qui tentent de se faufiler au pouvoir (Alternative, Passerelle et autres), sont des lieux construits d’avance pour isoler, affaiblir et au bout de la ligne, détruire les mouvements potentiellement révolutionnaires.
Que faire ?
Le vide hallucinant du pouvoir actuel ne pourra pas durer trop longtemps. Le temps où l’insurrection peut se transformer en révolution est compté. Alors comme dirait l’autre, que faire ?
• La première condition est l’unification volontariste et immédiate des divers groupes de gauche et la constitution d’un noyau insurrectionnel unifié. Il n’y a plus le temps de tergiverser, il faut qu’une cohérence soit construite autour d’une idée simple et compliquée : l’insurrection doit prendre le pouvoir. Elle doit et elle peut s’appuyer sur les masses en lutte qu’il faut d’une manière très habile mieux coordonner
• L’insurrection doit se faire autour de quelques idées extrêmement immédiates et compréhensibles, dont la neutralisation, par la force, du pouvoir dans les mains de l’oligarchie et de la voyoucratie. Pas de gouvernement de « coalition ». Pas de « transition » interminable. En prenant l’oligarchie et l’impérialisme de vitesse, l’insurrection devient pensable. Elle met en place un processus « constituant », une assemblée populaire qui donnera naissance à la nouvelle Ayiti.
• Un programme d’urgence doit être mis en place pour nourrir, soigner et protéger le peuple. Pourquoi ne pas constituer un grand contingent de volontaires, qui font rétablir les circuits commerciaux axés sur les besoins de base, nettoyer les décombres, soigner et enseigner, et mettre en place des comités populaires unifiés pour imposer un ordre révolutionnaire ?
• Si un tel processus audacieux est pensable, il faudra être très prudent sur les signaux qui seront envoyés en Haïti même et à l’extérieur. Le programme de l’insurrection doit être présenté comme un « plan de sauvetage national », et non pas comme une « transformation socialiste » qui resterait totalement abstraite et qui serait utile pour les adversaires comme moyen de faire peur au monde.
• Des alliances temporaires et conjoncturelles pourront être développées avec ce qui reste des forces progressistes en Amérique latine et ailleurs. Il faudra à cet effet repenser totalement l’action des gauches de la diaspora.
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