Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections fédérales

Entrevue avec Alexandra Pierre

Femmes du Canada, mobilisons-nous !

Dans le contexte électoral actuel, Alexandra Pierre, organisatrice communautaire, responsable des dossiers de lutte contre le racisme et les discriminations pour la Fédération des Femmes du Québec (FFQ), nous parle du chemin qu’il reste à parcourir afin d’atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes au pays, et des mesures à privilégier pour y arriver.

Quels sont, selon vous, les plus grands défis auxquels font face les femmes québécoises et canadiennes d’aujourd’hui ?

En ce moment, les femmes font face à la montée des droites politiques et religieuses qui s’attaquent à leurs droits sur plusieurs plans. Ces forces politiques remettent en questions les services publiques qui ont permis de prendre en charge des responsabilités qui pesaient particulièrement pour les femmes. Pensons aussi à la question du libre choix en matière d’avortement, au financement fédéral des groupes de femmes, etc. Nous considérons qu’il y a urgence pour empêcher les reculs sur les droits des femmes.

En même temps, nous constatons que les femmes continuent de faire face à la violence et à la pauvreté. Je vous donne deux exemples concrets.

Les femmes immigrantes vivent une double discrimination liée au genre, à leur origine, à leur religion ou à leur couleur. Elles ont de la difficulté à s’insérer dans des emplois de qualité, se retrouvant souvent dans des domaines difficiles, comme ceux de l’industrie manufacturière et hôtelière. Elles font souvent l’objet de perceptions négatives ou très stéréotypées et cela mine leur capacité à atteindre l’autonomie économique.

Les femmes autochtones vivent également une double discrimination parce qu’elles sont femmes et autochtones et subissent de la violence systémique. Par exemple, de nombreuses discriminations sont engendrées par la Loi sur les Indiens, qui stipule entre autres qu’une femme autochtone, si elle se marie à un non autochtone, perd son statut et ne peut pas le transmettre à ses enfants. À cet effet, la Coalition spéciale pour l’égalité des femmes et les droits de la personne, dont la FFQ fait partie, exige la signature par le Canada de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît cette double discrimination.

Ce ne sont que deux exemples qui illustrent les situations d’inégalités que subissent encore les femmes aujourd’hui. C’est sans parler de la violence envers les femmes, les écarts salariaux, le partage inégal des taches domestiques, les difficultés à atteindre l’autonomie économique, etc.

Au Québec et au Canada, la population a souvent l’impression que l’égalité des sexes a été atteinte. Le gouvernement conservateur a lui-même annoncé l’atteinte de cette égalité. Quelles sont les conséquences de cette façon de penser ?

Une conséquence importante de cette vision est que les gouvernements ont tendance à se désengager des questions qui touchent les femmes. En 2009, le gouvernement fédéral a fermé 12 des 16 bureaux de Condition Féminine Canada, sous prétexte des compressions budgétaires majeures. De plus, la mission de ces bureaux a changé pour exclure la défense des droits des femmes, essentielle pour changer les lois et changer les mentalités de façon structurelle et durable.

Dans le contexte électoral fédéral qui s’annonce, comment la FFQ compte-t-elle pousser les divers partis à prendre en compte la cause des femmes ?

Les groupes de femmes au Québec et au Canada se mobilisent. Nous allons effectuer des sorties publiques afin de démontrer que les femmes au Canada ont le système démocratique et parlementaire à cœur et, plus largement, que les gouvernements doivent prendre en compte les attentes de la société civile. Nous faisons partie de la coalition Pas de démocratie sans voix !, qui mène des actions autour du thème de la démocratie au Canada et de la façon dont le gouvernement conservateur met en péril cette démocratie d’une manière qui touche directement le droit des femmes.

Les prochaines élections sont une occasion d’encourager tous les partis politiques à intégrer la défense des droits des femmes dans leurs plateformes, ainsi que la défense de la démocratie et de la liberté d’expression. Nous voulons montrer de façon non partisane que les femmes aussi votent, que leurs votes comptent et qu’elles ne voteront pas contre leurs intérêts

La FFQ a participé à des discussions le 25 février dernier, à l’occasion de la 55e session de la Commission de la condition de la femme de l’ONU. Quelles actions concrètes la FFQ a-t-elle proposé à cette occasion ?

Lors de cette rencontre, la FFQ a engagé une discussion sur les engagements du Québec en matière d’égalité, particulièrement en ce qui a trait aux choix budgétaires, dans le contexte actuel de crise économique. Pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes, nous proposons l’adoption de budgets genrés. Concrètement, cela veut dire que les budgets adoptés devraient toujours prendre en compte l’impact différencié des choix budgétaires sur les hommes et les femmes.

Par exemple, les femmes, pour toutes sortes de raisons liées à leur biologie et à leurs rôles sociaux, visitent plus souvent un médecin. De plus, les femmes ont des revenus généralement inférieurs à ceux des hommes. On doit se rendre compte que des mesures comme la « taxe santé » ou le « ticket modérateur » ont des effets plus grands sur les femmes, entre autres parce qu’elles sont globalement plus pauvres que les hommes. Une analyse différenciée selon les sexes devrait être instaurée pour prendre systématiquement en compte cette donnée dans l’évaluation de politiques budgétaires.

Parlons justement de budget du Québec : la FFQ a participé à la manifestation pour un budget équitable le 12 mars dernier. Comment auriez-vous souhaité que la prise en compte des besoins des femmes soit reflétée dans le budget du gouvernement Charest ?

Un budget équitable, c’est une question de choix. Taxer les personnes les plus économiquement vulnérables de la société, empêcher des jeunes femmes d’accéder à l’éducation en augmentant les frais de scolarité, c’est un choix. Se préoccuper du sort des femmes, faire en sorte que les personnes les mieux nanties soient mises à contribution plutôt que les classes moyennes et basses, entre autres par la fin de la tarification des services publiques et par des impôts plus justes, c’est un autre choix. Les femmes sont particulièrement touchées par la pauvreté et ne peuvent pas porter le poids des augmentations de tarifs. Le gouvernement n’a pas considéré ces réalités.

C’est depuis très longtemps une revendication féministe d’avoir un système de santé universel qui refuse la logique de l’utilisateur payeur. Dans ce sens, la construction d’un système de santé et des services sociaux publique a été un grand pas pour les femmes au Québec, parce que ce sont toujours elles qui se sont occupées des enfants et des personnes malades. Ce système a déchargé les femmes d’un certain nombre de ses tâches qui sont maintenant prises en charge collectivement. On ne veut pas d’un système privé qui fait reculer les femmes de 50 ou 60 ans en arrière, qui fait reculer l’égalité.

On peut avoir l’impression que les hommes de notre pays considèrent que les femmes ont acquis suffisamment de droits, et remettent en cause l’utilité du féminisme. Comment rallier les hommes au féminisme ?

Pour nous, il n’y a pas de guerre des sexes. On veut une pleine égalité pour tous et toutes. Les hommes sont nos alliés dans cette quête-là, entre autres parce que viser l’égalité c’est aussi combattre l’ensemble des inégalités sociales liées au sexe, à l’origine ethnique, à la présence d’un handicap, etc.. Dans une société, l’inégalité entre les hommes et les femmes symbolise aussi un contexte où les inégalités sont criantes entre tous les types de citoyens. Quand les femmes se sont battues pour les congés parentaux, cela a aussi ouvert la porte à des congés de paternité. Cela a bénéficié aux hommes et à construire une nouvelle perspective sur la famille et la parentalité. C’est la même chose lorsque les femmes luttent pour une vraie autonomie économique et obtiennent des gains. La recherche d’égalité bénéficie à tout le monde.

De 2011 à 2013, auront lieux les États Généraux de l’action et de l’analyse féministes. À l’appel de la Fédération des femmes du Québec, les États Généraux de l’action et de l’analyse féministes veulent mobiliser des milliers de féministes de toutes origines, de tous les milieux, régions, capacités, âges et orientations sexuelles pour créer des espaces de discussion et de réflexion sur les enjeux qui interpellent les féministes à l’heure actuelle. Ces États généraux, moment historique dans l’histoire féministe du Québec, seront un grand remue-méninge étalé sur plus de deux ans, avec un lancement en mai 2011, « Regards sur 20 ans d’actions féministes ». Pour plus d’informations et pour vous inscrire : www.ffq.ca ou etatsgeneraux@ffq.qc.ca

Propos recueillis par Roxane Léouzon

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