Édition du 17 décembre 2024

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Canada

Comment les médias canadiens augmentent le capital de sympathie de la classe des propriétaires immobiliers

Ces histoires sur le thème « pitié pour le propriétaire » inversent les rôles. Les propriétaires et les locataires ne sont pas interchangeables. Ils s’opposent dans un conflit où les propriétaires siphonnent les revenus des familles de la classe ouvrière pour les verser dans les poches d’une classe de propriétaires.

Mercredi 15 mai 2024 / DE : The Breach
Traduction Johan Wallengren

Martin Lukacs : À en croire les médias canadiens, on peut avoir l’impression que les propriétaires immobiliers – ceux qui possèdent et louent des logements – ont une vie terriblement difficile.

Présentatrice : Nous commençons par une histoire qui est vraiment le pire cauchemar d’un propriétaire immobilier.

Commentateur : Shafiq fait partie d’un nombre croissant de petits propriétaires ontariens qui protestent contre le système qui, selon eux, favorise injustement les locataires.

Journaliste : Est-ce que vous diriez à quelqu’un que vous connaissez ou aimez d’être propriétaire immobilier ?

Propriétaire 1 : Jamais. Jamais.

Propriétaire 2 : Je me suis littéralement effondrée sur le palier, devant le logement, et tout ce que je pouvais faire, c’était pleurer.
J’ai littéralement sangloté et sangloté et sangloté.

Lukacs : Ce qu’on voit là n’est pas un travail de reportage sérieux. C’est de la poudre aux yeux. [gaslighting, en anglais].

Amplifiées par les médias de l’establishment, ces histoires à arracher des pleurs servent à masquer l’exploitation du marché du logement et à saper la lutte pour le renforcement des droits des locataires.

Le but visé ?

Faire en sorte que vous ayez pitié de la classe des propriétaires immobiliers, plutôt que d’être en colère contre eux.

Titre affiché : COMMENT LES MÉDIAS NOUS CONDITIONNENT À PLAINDRE LES PROPRIÉTAIRES

Début de chanson :

Ayez pitié du propriétaire qui n’a pas la belle vie, qui marche courbé sous le poids des soucis.

Ses cheveux gris méritent votre compréhension, ne demandez pas de réparations.
Et évitez les retards de loyer.

Lukacs : Il y a un schéma récurrent dans ces histoires qui incitent à prendre les propriétaires en pitié.

Elles commencent généralement ainsi :

Titre affiché : 1. LES PROPRIÉTAIRES ÉPROUVÉS

Commentatrice : Avec son salaire d’enseignante, Norma DeSilva a économisé pour investir dans deux propriétés.

Lukacs : Les propriétaires sont dépeints comme des personnes modestes, qui travaillent dur et qui ont du mal à joindre les deux bouts.

Leurs locataires, en revanche, sont dépeints comme des délinquants.

Titre affiché : 2. LES LOCATAIRES DE L’ENFER

Propriétaire : Il y avait définitivement des cailles à l’intérieur. Définitivement des lapins. Il y avait des poulets. Il y avait définitivement une chèvre.

Lukacs : Reste que des études menées par des groupes de propriétaires ont révélé que près de 100 % des loyers sont perçus à l’échéance, donc c’est un secteur d’une extrême stabilité.

Et pourtant, quand les loyers ne sont pas tous encaissés à l’heure dite, les médias en parlent comme si c’était le jour le plus triste de l’histoire.

Titre affiché : 3. PRÉSENTER LE RISQUE D’INVESTISSEMENT COMME UNE TRAGÉDIE

Présentatrice : Natalie Clancy vous propose ce reportage exclusif.

Commentatrice : Madame Gouws a une créance de plus de 5 000 dollars.

Propriétaire : C’est choquant et ça ne devrait pas arriver.

Lukacs : Quand vous possédez un bien locatif, vous n’êtes pas un travailleur qui gagne un revenu, vous êtes un investisseur qui cherche à faire un très gros profit – ce qui comporte toujours un certain risque.

Ces derniers temps, pour faire monter encore la cote de la classe des propriétaires, les médias ont introduit un nouvel élément dans leur schéma : les propriétaires racisés sont surreprésentés.

Titre affiché : 4. LA JUSTICE RACIALE INSTRUMENTALISÉE

Mais les propriétaires ressemblent le plus souvent à moi, pas à ça : [la vidéo montre des personnes racisées]

On a là une stratégie cynique promue par les groupes de pression du secteur immobilier : instrumentaliser la justice raciale pour promouvoir des politiques qui enrichiront davantage les propriétaires.

Vous vous opposez à ce que les propriétaires aient plus de pouvoir pour expulser les locataires ? Il est clair que vous devez être raciste.

Enfin, les médias escamotent souvent le point de vue le plus important sur le logement locatif : celui des locataires et de leurs défenseurs.

Titre affiché : 5. DES LOCATAIRES DE MOINS EN MOINS ENTENDUS

Organisateur : Quand je dis grève, vous dites loyers ! Grève des loyers !
Locataires : Grève... Loyers...

Lukacs : Cela leur permet de présenter les propriétaires comme les vraies victimes – et de les plaindre parce que des lois prétendument radicales sur la protection des locataires sont proches de les acculer à la faillite.

Ces histoires sur le thème « pitié pour le propriétaire » inversent les rôles.
Les propriétaires et les locataires ne sont pas interchangeables. Ils s’opposent dans un conflit où les propriétaires siphonnent les revenus des familles de la classe ouvrière pour les verser dans les poches d’une classe de propriétaires.

En réalité, les propriétaires au Canada ne sont même pas des particuliers.

Si on fait abstraction du petit nombre de logements publics et hors marché, les propriétaires sont des familles riches possédant plus d’un logement, des petites entreprises exploitant des dizaines de logements, des sociétés détenant des centaines d’immeubles et des dizaines de milliers d’appartements et de puissants investisseurs financiers achetant des centaines de milliers de logements.

La classe des propriétaires réalise des profits mirobolants en augmentant les loyers pour les porter à des niveaux record.

Ils rédigent des lois à mettre en œuvre par des gouvernements provinciaux complaisants.
Et ils utilisent leur pouvoir pour expulser les locataires et augmenter les loyers de manière à garnir encore plus leur portefeuille.

Les organisations de défense des locataires estiment que plus de 40 000 personnes sont expulsées frauduleusement chaque année, rien qu’en Ontario.

En d’autres termes, pour chaque locataire aimant les chèvres, il y a infiniment plus de propriétaires prédateurs.

Mais bonne chance si vous voulez que les médias canadiens en parlent.

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