L’ancien porte-parole de l’UMP a des raisons d’être vigilant. Entre les 9,13 % de François Bayrou et les 17,9 % de Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy a rapidement fait son choix. « Et dire qu’on me conseillait de faire campagne au centre », a-t-il raillé en privé, dimanche soir, à la Mutualité. Une manière de conforter la stratégie – critiquée en interne par une partie de l’UMP – de Patrick Buisson, son conseiller officieux et ancien de Minute. Et tant pis si le politologue s’est trompé dans ses prédictions (lire ici).
« Ces résultats, c’est la confirmation de la stratégie de Buisson et du fait que Sarkozy est celui qui a le plus résisté à la crise, explique à Mediapart le ministre Thierry Mariani, membre du comité stratégique de la campagne UMP. Regardez les sortants en Espagne, Grande-Bretagne, ils ont été laminés ! »
« On garde la même ligne », commente le chef de file de la Droite populaire, qui veut croire que si les électeurs centristes et frontistes n’ont « pas les mêmes préoccupations », ils ont le « même rejet de Hollande ». Officiellement, il est question de s’adresser « à tous les Français ». Mais le candidat UMP a annoncé lundi soir qu’il « devait aller plus loin au second tour pour répondre à ce que les Français ont exprimé ».
Son discours à la Mutualité, dimanche, a fixé la ligne pour l’entre-deux tours. « Les Français ont exprimé un vote de crise, témoignant de leurs souffrances, de leurs inquiétudes face à ce nouveau monde qui est en train de se dessiner. Ces angoisses, je les connais, je les comprends », a-t-il expliqué, énumérant : « le respect de nos frontières », « la lutte contre les délocalisations », « la maîtrise de l’immigration », « la valorisation du travail », « la sécurité », et « le souci de préserver les modes de vie (des Français) » comme « question centrale de cette élection ». Seul geste en direction des centristes : l’appel discret de Sarkozy, à la Mutualité, « à tous ceux qui refusent la fuite en avant des dépenses publiques sans aucun contrôle ».
Le ton est donné. Et la drague des électeurs de Marine Le Pen, menée au fil du quinquennat, est désormais affichée. « Je vous ai entendus », a lancé le candidat UMP lundi matin à son QG, expliquant qu’il fallait « respecter » et « apporter une réponse » aux électeurs du FN. Lundi, il était aux côtés d’agriculteurs – cœur de l’électorat frontiste –, en Indre-et-Loire, et s’est adressé, lors d’une réunion publique, « aux petits, aux sans-grade, aux ruraux, aux petits retraités, qui ne protestent pas mais ont le droit d’être respectés » .
Mardi, il retourne à Longjumeau (Essonne), ville de Nathalie Kosciusko-Morizet où il n’est arrivé que deuxième et où le FN a recueilli 15,35 % des voix (lire notre reportage). Le 1er mai, il célébrera, sur le Champ-de-Mars, à Paris, une « fête du travail » dédiée à « ceux qui travaillent dur », « qui souffrent, et qui ne veulent plus que quand on ne travaille pas on puisse gagner plus que quand on travaille ».
« Borloo mène ce combat seul, je ne sais pas s’il sera écouté »
Patrick Buisson a le sourire. Le conseiller élyséen n’a eu de cesse de maltraiter les centristes, qualifiant en interne l’électeur bayrouiste de « lâche » qui « se soumet à la force, et qu’on ne récupère pas en se recentrant », critiquant le choix comme porte-parole de NKM, auteur d’un livre anti-Front national, qu’il juge trop modérée et bobo. Lui aurait préféré voir son poulain Guillaume Peltier, ancien du FN et ex-bras droit de Philippe de Villiers, prendre le porte-parolat. Désormais conforté dans sa stratégie, le politologue a repris ses mises en cause de Nathalie Kosciusko-Morizet.
Dans la majorité, ce sont les voix les plus droitières qui sont audibles. Jusqu’à présent, Guillaume Peltier, porte-parole adjoint du candidat, avait été peu mis en avant. A la Concorde, sa prise de parole avait été annulée en dernière minute. Dimanche, à la Mutualité, il jubilait. « Si on n’avait pas eu ces thèmes forts, Marine Le Pen aurait été plus haut. Plus que jamais les Français veulent une France forte, une droite forte, un président fort », a-t-il expliqué, faisant l’apologie de la stratégie de son mentor. « La droite n’a jamais été aussi élevée, on va être en tête à 47 % (avec les électeurs du FN, ndlr) », a-t-il juré. Lundi, c’est d’ailleurs dans son département, et celui de Philippe Briand, que Sarkozy s’est rendu.
Laurent Wauquiez, qui s’était lui illustré l’année dernière avec ses propos sur l’« assistanat », « cancer de la société », a enfoncé le clou : « Il faut surtout ne pas cacher les choses. Rien n’exaspère plus un électeur du FN qu’on ne prenne pas en compte un message qu’il a envoyé. » Nous avons « un devoir d’écouter le message que nous adressent les classes moyennes et les classes modestes, le message d’un électorat qui souffre », a-t-il dit dimanche soir. Un boulevard également pour Christine Boutin, qui explique que « la France est plus à droite qu’on ne le croit ».
La Droite populaire, de son côté, y voit un moyen de se remettre dans le jeu après avoir « été mis(e) de côté » (dixit l’un de ses membres). Mardi, le collectif se réunit pour déjeuner à l’Assemblée nationale. Le déjeuner a été calé avant le premier tour mais sera un moyen de « voir comment nous pouvons peser dans la campagne présidentielle pour aider à la réélection de Sarkozy », explique Thierry Mariani.
Les modérés de la majorité mangent leur chapeau. Lundi, chiraquiens et centristes étaient gênés aux entournures, jonglant entre soutien à leur candidat et mise en garde contre toute radicalisation à droite. « La France forte oui, mais si elle prend en compte des valeurs humanistes », a cru bon de rappeler Jean-Louis Borloo, patron des radicaux. Jean-Pierre Raffarin, lui, veut croire que Nicolas Sarkozy prendra en compte les « valeurs qui sont celles d’une France équilibrée ». « Si l’on veut convaincre les électeurs du FN, il ne faut pas leur faire des œillades mais montrer que nous sommes intransigeants sur les valeurs qu’on défend. Il faut y aller en ligne droite. Pas un coup à droite et un coup au centre », a aussi estimé le ministre de l’agriculture, Bruno Le Maire.
Gêné aussi, Alain Juppé. Le ministre des affaires étrangères a été l’un des premiers à s’alarmer de cette droitisation excessive de la campagne. Sur RTL, lundi matin, il semblait embarrassé par les questions « à droite toute » de second tour. « Non... tout ceci n’a aucune importance, on parle aux Français », « On va s’adresser aux Français, je le répète », bredouillait-il, expliquant que l’UMP allait continuer à parler d’un « projet européen autour de cette notion d’Europe qui protège ». Il a aussi lancé un appel à François Bayrou, qui « a le choix entre deux projets de société, à lui de se décider ».
Chez les radicaux, certains s’inquiètent. « Borloo mène ce combat seul, il n’influence pas sur le contenu, je ne sais pas s’il sera écouté. Peu de gens de chez nous sont mis en avant », regrette Dominique Paillé. « Quand on ne sait pas s’il faut aller à gauche ou à droite, on va tout droit, explique à Mediapart Bertrand Pancher, député de la Meuse, qui a quitté l’UMP pour le parti radical à l’automne. L’élu a « beaucoup apprécié l’intervention de Bayrou dimanche » et explique que « le centriste qu’(il est) préfère qu’une grande attention soit portée au discours social, européen, une écoute plus importante aux territoires ».
Jouanno : la droitisation, « un douloureux mirage »
Lundi soir, l’ancienne ministre des sports, Chantal Jouanno, qui avait apporté un timide soutien à Nicolas Sarkozy, a condamné dans Le Point cette « droitisation » qualifiée de « mirage douloureux ». La sénatrice UMP de Paris « appelle de (ses) vœux un discours beaucoup plus équilibré dans le choix des thèmes de campagne et dans les mots utilisés ». « La droite doit rester elle-même et porter ses propres valeurs qui sont celles de la méritocratie, du travail, de l’autorité – et cela va de pair avec le respect – de la compétitivité, de la croissance écologique », explique-t-elle.
Patrick Devedjian, lui, a bien compris que pour exister dans le champ de vision du candidat UMP, il fallait user de sa liberté de parole : « L’extrême droite n’est forte que quand la droite est faible », a-t-il mis en garde dimanche, fustigeant la tentation de courir après les voix du FN. Gérard Larcher, l’ancien président du Sénat, n’est quant à lui pas convaincu par le rassemblement du 1er mai autour du « vrai travail » : « On ne va pas lui mettre un adjectif, c’est comme la laicité ».
Mais les voix dissidentes et centristes ont, globalement, reporté leurs critiques à l’après-second tour, pour ne pas plomber leur camp. D’autant que les déclarations de Chantal Jouanno ont été violemment condamnées, mardi, en réunion de groupe UMP : propos « lamentables et inacceptables » pour Christian Jacob, le patron des députés de la majorité, « stupides » et « contre-productifs » pour François Fillon. « Il y aura un rééquilibrage avec un pôle centriste esquissé par Borloo, mais cela ne peut pas se faire avant les législatives », explique Bertrand Pancher.
« Le problème aujourd’hui, ce n’est pas d’avoir des états d’âme existentiels, ni de savoir qui est avec qui. On est en pleine bataille, réplique Thierry Mariani. On verra ça après le 17 juin, on mettra les compteurs à zéro. En attendant, notre seule mission, c’est d’aider Nicolas Sarkozy à gagner la présidentielle et les législatives. » Et si Borloo avait des « états d’âme », il est prévenu : « Peut-il accepter le discours de François Hollande qui s’allie avec Mélenchon ? »
Mais en juin, l’UMP aura du mal à survivre. « Une éventuelle défaite de Sarkozy entraînerait une implosion », prédit Dominique Paillé. Outre la guerre de succession entre Fillon et Copé pour la tête du parti, une partie des centristes de l’UMP, représentés par Pierre Méhaignerie, pourraient être tentés par une reconstitution du centre avec François Bayrou. « Il faudrait une majorité qui repose sur plusieurs pôles et que tout ne se décide pas entre un groupe – la Droite populaire – et Nicolas Sarkozy » , estime Bertrand Pancher, qui envisage une UMP « musclée, sans donner de gages d’alliances au FN » et « un pôle centriste bien organisé ». Selon lui, « une trentaine de députés n’ont pas caché leur souhait de rejoindre le parti radical. On tait les noms pour l’instant, pour ne pas les mettre dans l’embarras ».
A l’autre bout de la majorité, que fera le pôle droitier ? La dynamique créée par Marine Le Pen change la donne. Il n’y aura « aucune discussion » avec le FN, a promis Jean-François Copé, lundi, sur Europe 1. « Il y a chez certains un instinct de conservation de leur siège », sourit Dominique Paillé, qui pense que certains députés de la Droite populaire « seront sensibles aux arguments du FN ». « Tout est possible. Et la crainte de triangulaires aux législatives titille la droite », rappelle-t-il.
Thierry Mariani s’agace : « L’histoire des alliances de la Droite populaire avec le FN, franchement... Nous, la pression du FN, on la vit depuis des années dans nos départements. Cela ne nous fera pas plier. Marine Le Pen rêve de nous faire exploser, pas de gouverner. » « Il n’y aura pas d’UMP au FN, ils se rendent bien compte que la sortie de l’euro, l’immigration zéro, ce n’est pas tenable », veut aussi croire le radical Bertrand Pancher.
« Si Nicolas Sarkozy perdait, a prévenu Juppé, qui fut à l’origine de l’UMP, nous serions un certain nombre à tout faire pour que l’UMP garde sa cohésion, parce que reconstituer, pardon de dire les choses un peu brutalement, le RPR et l’UDF, c’est dix ans d’échec pour ce qui serait alors l’opposition. » L’UMP réformera-t-elle ses statuts pour permettre une organisation en courants qu’avait supprimée Nicolas Sarkozy en 2004 ? Ils sont nombreux à le souhaiter désormais. Les réformateurs libéraux le demanderont publiquement après les législatives. Jean-François Copé, qui joue son avenir à la tête du parti, n’a pas fermé la porte à l’idée.