7 novembre 2024 | tiré du site entre les lignes entre les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/11/07/les-elites-politiques-russes-promeuvent-ouvertement-un-projet-mondial/#more-87242
Je vous remercie de m’avoir invitée et de m’avoir donnée l’occasion de m’exprimer. Tout d’abord, je voudrais être claire. Je ne travaille pas sur la question de l’impérialisme en tant que telle. Mon sujet est lié aux différentes expressions de l’imaginaire politique russo-ukrainien. Je pense que je suis ici plus en tant qu’activiste qu’en tant que chercheuse. Mon analyse n’a pas la prétention d’être exhaustive ou scientifique.
C’est désormais un lieu commun de dire que les combustibles fossiles et leur commerce sont étroitement liés à la dictature, à la corruption et au militarisme. Mais paradoxalement, c’est un sujet dont on ne parle pas systématiquement lorsqu’il s’agit de comprendre l’impérialisme russe.
Commençons par un constat. L’extraction du pétrole et du gaz ne nécessitant pas beaucoup de travail, la richesse produite ne revient pas à la population. Au contraire, elle va directement dans les mains de ceux qui possèdent les gisements. En Russie, il s’agit essentiellement d’un cercle d’amis de Poutine. Le gaz et le pétrole sont pratiquement les seules choses qui rapportent des bénéfices réels en Russie.
Ces bénéfices sont ensuite redistribués dans d’autres domaines. Une grande partie de ces bénéfices va bien sûr à quelques centaines de familles de hauts fonctionnaires qui les utilisent pour acheter les plus longs yachts du monde, les plus grands palais et les produits de luxe les plus extravagants. Une partie de ces bénéfices sert à entretenir l’industrie militaire, l’armée, la police, bref, toutes les structures qui contribuent à maintenir ce petit cercle de personnes au pouvoir. Ce qui reste est généralement utilisé pour maintenir le reste de la société dans une relation de dépendance extrême vis-à-vis de l’État.
Comme l’a dit Ilya Matveev, ce système pourrait continuer ainsi. Mais il y a une idéologie partagée par le cercle de Poutine, par lui-même, et nous supposons par quelques personnes autour de lui, une idéologie qui perçoit le monde d’une certaine manière, et où l’Ukraine occupe une place centrale.
Il ne serait pas facile de résumer les raisons pour lesquelles l’Ukraine a fini par occuper cette place centrale dans l’imaginaire politique russe. Mais si nous pouvons résumer grossièrement l’imaginaire de l’élite politique russe, nous obtenons le récit suivant. L’Ukraine fait partie de la nation russe parce que celle-ci a une conception primordialiste de la nation [1]. L’identité nationale distincte des Ukrainien·nes a été délibérément créée par les ennemis occidentaux de la Russie et par leurs agents (Vladimir Lénine était l’agent numéro un, il a créé l’Ukraine et l’a fait pour diviser la nation russe). Ce faisant, tous ces ennemis de la Russie visaient à empêcher la Russie de prendre la place qui lui revient en tant que puissance impériale de premier plan dans le monde.
L’Ukraine est considérée comme un pion dans un jeu à somme nulle. Si l’Ukraine est indépendante, la Russie ne peut pas devenir une grande puissance.
Selon cette vision du monde, seules les grandes puissances jouissent d’une véritable souveraineté politique. Il s’agit là d’un point important : la manière dont la souveraineté et la capacité d’agir sont comprises dans cette idéologie. Pour les tenants de cette vision du monde, ceux qui ont la capacité d’agir ne sont pas les communautés humaines mobilisées, comme les nations ou les classes, ni même les élites qui représentent ces communautés. Seuls les dirigeants des soi-disant grandes puissances ont une véritable capacité d’action. Ils sont les seuls véritables souverains. Selon Poutine, le monde ne compte que deux souverains : lui-même et le président américain.
Voyant le monde à travers le prisme de cette idéologie, qui est un système fermé, comme toute idéologie, Poutine est sincèrement convaincu que tout mouvement d’émancipation dans le monde est en fin de compte un complot mené par les États-Unis contre la Russie. Que ce soit en Syrie ou dans d’autres pays, il est perçu comme un acte d’agression de l’hégémon mondial contre l’hégémon en devenir.
La guerre contre l’Ukraine était un choix politique. Elle a été conçue, ne l’oublions pas, comme une guerre courte et victorieuse dans laquelle il n’y aurait pas de résistance. Gardons ce fait à l’esprit. Elle a été imaginée comme un renversement rapide de l’équilibre des forces, dans le but d’imposer un nouveau statu quo durable, un statu quo qui permettrait à ces deux grandes puissances que sont la Russie et les États-Unis d’établir des zones d’influence exclusives, c’est-à-dire de créer des colonies où elles pourraient exploiter les populations et les ressources naturelles sans limites ni respect d’aucune norme ou règle, qu’il s’agisse de la protection de l’environnement ou des droits des êtres humains.
À travers cette guerre en Ukraine, qui peut sembler locale, les élites politiques russes promeuvent ouvertement un projet global, qu’elles conçoivent en ces termes. En substance, elles affirment : « Vous voyez, le droit international ne fonctionne pas. Alors que faire ? Admettons que la seule loi qui existe vraiment est la loi du plus fort. Soyons honnêtes et officialisons la ».
Le risque d’accepter cette logique est très élevé, surtout aujourd’hui, alors que nous assistons à la destruction de Gaza par Israël et à la complicité des États-Unis, ainsi qu’à la paralysie de nombreux autres pays face à ce mépris total de tous les droits et de toutes les lois. C’est la preuve la plus évidente que le droit international ne fonctionne pas. Nous sommes témoins d’une crise énorme. La nécessité de maintenir la structure internationale actuelle semble pratiquement inutile.
Le problème est que dans un monde où ces structures disparaissent brutalement, ceux qui sont déjà en position de faiblesse – des États comme la Palestine, l’Ukraine, l’Arménie, pour ne citer que quelques exemples – et les forces politiques, comme la gauche internationale, seront parmi les premiers à perdre dans cette lutte où seules comptent la force et la puissance pures. La droite autoritaire et productiviste que représente Poutine, ainsi que de nombreux autres hommes politiques dans d’autres pays, est déterminée à éroder complètement ces structures internationales et à empêcher l’émergence de tout mécanisme alternatif qui pourrait limiter ses ambitions suprémacistes et polluantes.
En fin de compte, tout acte d’agression, même lointain, s’il est normalisé, a des implications qui devraient toutes et tous nous concerner. La victoire militaire et la montée en puissance d’un État réactionnaire et militariste comme la Russie signifient inévitablement la montée en puissance de forces réactionnaires, militaristes et fascistes dans d’autres pays, et vice versa. Lorsque les victimes d’une agression ne sont pas défendues, dans quelque partie de la planète que ce soit, cela enhardit les innombrables psychopathes au pouvoir à résoudre leurs problèmes de légitimité politique par la guerre. Et à l’heure actuelle, ils sont confrontés à de nombreux problèmes de légitimité politique, compte tenu des inégalités croissantes, entre autres.
Je voudrais dire quelques mots sur la conférence elle-même.
Je tiens à remercier les organisateurs et les organisatrices pour cette initiative et pour ce qu’elles et ils font, car tout acte de solidarité est précieux par les temps qui courent. Nous devons maintenir la pratique de la solidarité.
Je tiens également à dire que je ne connais pas Boris Kagarlitsky personnellement et que je ne partage pas la plupart des analyses que j’ai pu lire de sa part. Mais je soutiens votre initiative de solidarité parce que c’est un prisonnier politique.
En tant que personne originaire de Donetsk, comme cela a été mentionné, mes ami·es et ma famille ont beaucoup perdu – certains ont tout perdu, d’autres ont perdu la vie – à cause de l’occupation russe de notre région qui a commencé en 2014. Je dois dire que j’ai été profondément bouleversé à l’époque de voir combien d’intellectuel·les et d’activistes russes de gauche, y compris Boris, sont passé·es complètement à côté de ce qui se passait dans le Donbas.
Beaucoup ont minimisé ou n’ont pas reconnu le rôle de l’État et de l’armée russes, souvent inattentifs ou inattentives au fait que sans l’implication directe de la Russie, cette guerre au Donbas n’aurait jamais eu lieu. C’est ce qu’ont ouvertement reconnu des personnes comme Igor Strelkov, qui s’est plaint que les habitant·es du Donbas ne voulaient pas se séparer de l’Ukraine ou se battre contre l’Ukraine. L’armée russe, disait-il, devait le faire pour elles et pour eux.
En 2014, j’étais très jeune, mais même à l’époque, j’ai été surprise de voir combien de progressistes projetaient d’étranges fantasmes sur la lutte des classes sur ce qui était, en réalité, une intervention russe. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner que de nombreuses et nombreux progressistes ukrainien·nes soient réticent·es à exprimer leur solidarité.
Quant à moi, ma position est simple : personne ne mérite d’être soumis à la torture d’une prison russe, qui est l’un des pires endroits que l’on puisse imaginer. J’espère sincèrement que les prisonnier·es politiques et les prisonnier·es d’opinion seront libéré·es le plus rapidement possible, en particulier celles et ceux qui, comme Boris, se sont opposé·es à l’agression militaire de leur pays. Mais je tiens également à souligner qu’il existe des militant·es de gauche qui ont eu le courage de s’opposer à cette situation, non seulement en 2022, mais déjà en 2014. Pendant toutes ces longues années, elles et ils ont été emprisonné·es en Russie. Je parle de personnes comme Daria Poludova et Igor Kuznetsov.
La plupart des victimes de la répression en Russie aujourd’hui sont des personnes ordinaires qui n’ont pas été impliquées de manière significative dans l’activité politique. Nombre d’entre elles et d’entre eux risquent aujourd’hui de longues peines de prison pour avoir exprimé leur opposition à la guerre sur les médias sociaux, même si leurs messages n’ont atteint que dix personnes. Elles et ils sont emprisonné·es pour cela, et elles et ils n’ont pas de capital social ou d’ami·es internationaux. Parfois, nous n’apprenons leur existence et leur courage qu’après leur mort en prison.
Un grand nombre de prisonnier·es sont des citoyen·nes ukrainien·nes qui se sont rendu·es dans les territoires occupés pour des raisons personnelles, par exemple pour rendre visite à des parent·es mourant·es. Ils sont retenus en otage en Russie, accusés de terrorisme. Elles et ils sont torturé·es, humilié·es et utilisé·es à des fins de propagande. Un nombre encore plus important de prisonnier·es sont des Ukrainien·nes des territoires occupés, dont un nombre significatif de Tatars de Crimée. Depuis 2014, des dizaines de milliers de personnes ont été enlevées et la plupart d’entre elles ont disparu à jamais. Beaucoup sont tuées sans procès. Telle est la réalité dans les territoires occupés depuis des années, alors qu’en Russie, la plupart des gens vivaient une période dite « béate », pour reprendre l’expression qui a été mentionnée aujourd’hui et à laquelle Boris Kagarlitsky a fait référence dans sa lettre.
Enfin, nous ne devons pas oublier que la répression est sévère en Russie et dans les États clients de la Russie comme le Belarus. Au Belarus, c’est un véritable massacre, mais il passe le plus souvent inaperçu.
Pour conclure, soyons clair·es : les victimes de la répression en Russie et au Belarus ont besoin de soutien et de solidarité active et concrète. En Ukraine, nous voyons également des cas d’accusations totalement arbitraires, telles que les accusations de collaborationnisme. Consultez le projet « Graty » pour en savoir plus et soutenez leur travail, car elles et ils font connaître ces cas et aident les victimes. Des dons réguliers à des initiatives comme OVD-Info ou l’Association des parents de prisonnier·es politiques du Kremlin peuvent également faire la différence. Il est essentiel de soutenir les mouvements progressistes qui opèrent encore en Russie, comme la Résistance féministe contre la guerre.
Mais ce qui ferait une vraie différence, à mon avis, c’est de soutenir celles et ceux qui luttent contre la source du problème, et pas seulement contre ses conséquences. Je veux parler de l’armée ukrainienne et en particulier des soldat·es anti-autoritaires et de gauche qui ont choisi de risquer leur vie pour combattre l’impérialisme russe. Je vous invite donc à faire un don à Solidarity Collectives.
Je m’arrête ici. J’espère que nous aurons le temps de poser des questions.
Réponses aux questions
Je vous remercie. J’apprécie vraiment toutes vos questions et tous vos commentaires. Je suis désolée de ne pas avoir le temps de répondre en détail, car je veux aussi entendre les autres orateurs et oratrices qui vont suivre, et je pense que ce serait un manque de respect de ma part que de prendre leur temps.
Peut-être quelques points seulement. L’un d’entre eux concerne l’extrême droite en Ukraine, etc. Je me trouve dans une situation paradoxale. Lorsque nous nous adressons au public ukrainien en tant que progressistes, nous voulons souligner à quel point il est dangereux de normaliser le nationalisme dans un contexte de guerre. Ce qui se passe actuellement dans l’Ukraine en temps de guerre, c’est aussi la recherche d’ennemi·es intérieurs·e, les Ukrainien·nes russophones étant présenté·es comme l’une des sources du problème. Il y a ce récit : « Poutine nous a envahi·es parce que vous, les Ukrainien·nes russophones, existez ; vous lui avez donné un prétexte pour envahir notre pays ». Plus la guerre dure, plus il est difficile de naviguer dans cette situation qui devient de plus en plus dramatique.
En même temps, lorsque je m’adresse à un public international, je tiens à préciser qu’il ne faut pas confondre la cause et la conséquence. Avant l’invasion russe de 2014, ce problème n’existait pratiquement pas en Ukraine. Il s’agissait d’un discours russe visant à alimenter les conflits internes, en utilisant la population russophone comme un outil pour leurs propres objectifs politiques d’assujettissement de l’Ukraine. Les élites ukrainiennes à l’intérieur du pays ont également utilisé une stratégie de division et de domination pour s’assurer leur propre part du gâteau économique ukrainien, alimentant encore davantage cet antagonisme inexistant entre les russophones et les ukrainophones.
Vivant en Ukraine, je peux vous dire que ces problèmes sont en grande partie inventés, mais qu’ils sont devenus plus réels après le début de l’invasion russe. Quant aux prétendus cas de violence contre des « Russes » dans le Donbas avant 2014, je peux affirmer qu’ils n’ont jamais existé. Je ne sais pas d’où viennent ces informations.
Je tiens également à souligner qu’il n’est pas nécessaire de romancer ou de créer des illusions sur une société pour défendre son droit d’exister et de se défendre contre l’agression d’un État impérialiste. Nous ne devons pas nous faire d’illusions sur ce que représente la société ukrainienne. Elle a ses propres et importantes contradictions internes. Elle a sa propre extrême droite, comme toute société dans le monde aujourd’hui, y compris en Occident. En fait, par rapport à certains pays occidentaux, les Ukrainien·nes ne sont pas aussi rétrogrades qu’on pourrait le penser.
Malheureusement, nous n’avons pas assez de temps et je m’en excuse. Je voudrais conclure en disant que même si nous avons des analyses différentes de certains détails de la situation, nous pouvons aussi trouver un terrain d’entente où nous pouvons nous engager ensemble dans une solidarité pratique. En cette période, la solidarité concrète avec les victimes de l’agression et avec ceux qui risquent leur vie pour s’opposer à la guerre est cruciale. J’espère que notre collaboration se poursuivra et qu’ensemble, nous pourrons faire la différence dans ce qui semble être une situation désespérée.
Je vous remercie de votre attention.
Hanna Perekhoda
https://links.org.au/hanna-perekhoda-russian-political-elites-are-openly-promoting-global-project
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)
Note
[1] Le Primordialisme (en anglais : Primordialism) est un concept sociologique suivant lequel il existe des liens entre les membres d’une nation qui sont fondamentaux et irrationnels et qui sont basés sur la religion, la culture, la langue. Il en découle que l’identité de la nation peut être considérée comme une donnée ancienne, un phénomène naturel – Wikipédia – NdT
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