Tiré du blogue de l’auteur.
Des supporters d’un club de foot israélien (le Maccabi Tel-Aviv) ont été agressés à Amsterdam. Selon RFI, « les réseaux sociaux regorgent d’images de supporters israéliens pris à partie par des "jeunes pro-palestiniens", certains poursuivis en voiture ou en scooter et roués de coups, un autre forcé de crier "Palestine libre". Au total cinq personnes ont été hospitalisées et on compte 30 blessés légers ».
Un Israélien brutalisé aurait crié qu’il n’était pas juif. Si ces actes sont insupportables et évidemment condamnables, sur plusieurs médias on a eu aussitôt droit à l’accusation de “pogrom” et d’”antisémitisme”. Sur CNews, Yoann Usaï, comme à l’ordinaire, vitupère contre l’extrême gauche. Sur C8 (TPMP), Hanouna éructe et décrète qu’il s’agit d’un “pogrom prémédité”. Alors que les supporters israéliens (dont les hooligans du Maccabi Tel-aviv, les Fanatics) ont brûlé au préalable un drapeau palestinien et des panneaux "Free Palestine", ont refusé, dans le stade, de rendre hommage aux Espagnols victimes des inondations (parce que le gouvernement espagnol condamne les massacres d’Israël à Gaza), alors qu’ils ont chanté des chants anti-Arabes et anti-Palestiniens (« Va te faire foutre Palestine ») et qu’un chauffeur de taxi d’origine arabe a été attaqué à coups de pied de biche. Hanouna n’en dit rien, comme il ne dit rien sur le fait que des ultras de l’Ajax, qui ne sont en rien des pro-Palestiniens (d’ordinaire même plutôt des pro-Israël, affichant des insignes favorables à l’Etat hébreu) se sont alpagués avec les supporters du Maccabi Tel-Aviv. Hanouna montre seulement une image totalement floutée (et incompréhensible) de ces supporters grimpant sur une façade d’immeuble pour arracher un drapeau palestinien. Et d’accuser LFI et Mélenchon d’être extrêmement dangereux : selon lui, « ces abrutis sont galvanisés par certains hommes politiques » !
Thomas Guénolé (ex-LFI), qui a plongé dans cette galère en participant régulièrement à l’émission TPMP, se fait copieusement insulter et engueuler pour avoir dit qu’il ne faut pas confondre ces agresseurs avec l’ensemble des pro-Palestiniens (sans avoir exprimer au préalable de la compassion pour les victimes). Toute l’équipe d’Hanouna (une douzaine de personnes) lui tombe sur le paletot, il calme le jeu en allant s’excuser à la pause auprès d’Hanouna qui voudrait bien le virer mais a besoin de lui (pour sa petite voix dissonante). Hanouna considère que ce « pogrom » est d’autant plus insupportable qu’il se déroule à Amsterdam, ville d’Anne Frank ! Il répète ce qu’il a lu ailleurs mais on ne voit pas en quoi, si c’est un pogrom, il serait plus tolérable hors d’Amsterdam. Il aurait pu aussi invoquer Etty Hillesum (juive d’Amsterdam, dévouée aux Juifs du camp de Westerbork, déportée et morte à Auschwitz, mais peu probable qu’il connaisse son existence (lire Les écrits d’Etty Hillesum : journaux et lettres, 1941-1943, Le Seuil, 1080 pages, fascinant et bouleversant).
Hanouna cherche à se mettre en avant dans le débat actuel totalement vicié : Hanouna (dont la vulgarité et l’inculture n’ont pas d’égal) et son équipe d’Europe 1 ont déblatéré sur France Inter, Hanouna excédé par la radio de service public. Hanouna semblait « au bord du gaz », a tweeté Jean-Michel Aphatie. Aussitôt, Gauthier Le Bret (chroniqueur Europe 1, CNews et Valeurs actuelles,voit dans cette expression « un sous-entendu antisémite ». Ainsi que Valérie Benaïm (Europe 1, TPMP), rapprochant ces mots avec ceux disant que Yaël Braun-Pivet allait « camper » à Tel-Aviv (qui serait, selon un bon nombre de commentateurs délirants une allusion aux… camps de concentration, la présidente de l’Assemblée Nationale se disant issue de « l’immigration slave, juive polonaise et juive allemande »). Il n’en faut pas davantage pour que Cyril Hanouna saute sur l’occasion de se dire lui aussi victime, ou plutôt pousse ses affidés à dire qu’il est l’objet d’une attaque antisémite (plusieurs, sur le plateau de C8, confirment que Aphatie a utilisé cette expression en connaissance de cause).
Sur cette même affaire d’Amsterdam, sur France Info, Georges-Marc Benamou, qu’on avait connu plus mesuré, reproche à Manuel Bompard (LFI) d’avoir dit qu’il attendait de voir les images pour condamner. Comme les images existent, Benamou accuse carrément Bompard d’être Faurisson (qui niait l’existence des chambres à gaz sous prétexte qu’il n’y avait pas d’images pour le prouver). Dérapage insupportable.
Comme est insupportable la sentence de Bruno Retailleau qui parle de « fascisme »le fait qu’une manifestation pro-palestinienne ait protesté contre la venue de Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale, à Lyon. Le ministre pouvait condamner cette manifestation sans venir parler de fascisme. Evidemment tous ces gens-là se gardent bien de rappeler qu’Israël lamine Gaza (43000 morts, des dizaines de milliers de blessés parfois très graves, des corps sous les gravats, des hôpitaux, des écoles, des églises, des mosquées bombardés, de la famine, des épidémies incontrôlables, des employés de l’ONU et des journalistes tués par Tsahal, et aussi des poètes, dont Refaat Alareer vraisemblablement ciblé par un bombardement et toute sa famille décimée, des Palestiniens abattus comme des lapins en Cisjordanie, leurs habitations détruites). Nombreux Juifs et Israéliens condamnent ces massacres mais d’autres militent ouvertement pour le Grand Israël (sans Gaza ni la Cisjordanie). Des ministres de Nétanyahou participent à cette infamie mais, pourtant, ici on ne craint pas de nous présenter comme un scandale incommensurable le fait que, sur le tifo déroulé au Parc des Princes, la petite carte d’Israël et de Palestine était un keffieh (ce qui signifierait la disparition d’Israël).
Il importe de comprendre que l’utilisation abusive de mots tels que pogrom, antisémitisme, Shoah, fascisme, ont pour effet d’amoindrir le sens qu’ils recouvrent. Parfois par maladresse, souvent intentionnellement, tant il est vrai que la perversion conduit des racistes notoires à se permettre aujourd’hui d’accuser leur contradicteurs d’être... racistes !
La gauche est confrontée à un problème d’envergure : le phénomène fake news, la dérive trumpiste, poutinienne ou orbanesque (et chez nous lepéniste ou zemmourienne), c’est-à-dire la perte du sens des mots et l’inversion des conceptions, font leur chemin. Une droite extrême et l’extrême droite se complaisent dans l’insulte, qualifiant d’antisémite, de fasciste, la gauche et l’extrême gauche. Cela prend des proportions phénoménales. J’ai comme l’impression qu’en face la riposte n’est pas à la hauteur de la dérive.
Ne pas avoir peur
Ce matin [mercredi 6 novembre], j’avais la gueule de bois : je ne sais si c’est parce que Donald Trump a été réélu ou si c’est parce que j’ai veillé jusqu’à 3h30 du matin. J’ai ensuite cherché à dormir mais j’ouvrais un œil sur ma télé toutes les demi-heures. On a entendu mille explications pour cette victoire, je ne vais pas rajouter mon grain de sel. Si on a sans doute raison de penser qu’ils sont fous ces Américains (ceux et celles qui approuvent et élisent un homme si vulgaire, si violent en paroles, si incohérent au point qu’il instille le doute sur ses facultés mentales), on a eu déjà l’occasion de ne pas croire aux valeurs morales des Etats-Unis. Sans revenir aux bombes d’Hiroshima et de Nagazaki (à ce jour seul pays à avoir utilisé le feu nucléaire, pour économiser des GI’s mais surtout pour impressionner les Soviétiques), aux bombardements sur la France (certes pour viser les Allemands qui l’occupent mais ratant le plus souvent leurs cibles et tuant plus de 70 000 Français) ou le Vietnam (bombardement intensif de Hanoï pendant des pourparlers de paix), plus récemment, la guerre en Irak aurait totalement justifié que George W. Bush soit traduit devant un tribunal international. Si pour ma part j’approuve que l’Ukraine soit fortement aidée pour repousser l’agression de Poutine (elle ne l’est même pas assez, aidée), en revanche le soutien à Netanyahou qui vise ouvertement à rayer les Palestiniens de la carte est une faute politique gravissime.
Longtemps, je repoussais l’idée de voyager aux USA, ne pardonnant pas aux pouvoirs en place successifs leurs crimes, déjà cités mais aussi leurs exactions en Amérique latine, en soutien aux dictatures et y provoquant des coups d’Etat. De même, je n’ai foulé la terre ibérique qu’après la mort de Franco (idem pour le Portugal, refusant de m’y rendre au temps de Salazar). Je n’étais cependant pas à une contradiction près, car, bien que condamnant sans réserve le stalinisme (ses crimes en Pologne, Budapest, Prague), j’avais pourtant bien visité les Pays de l’Est (dont Pologne, Roumanie, URSS, Arménie soviétique, Azerbaïdjan). Et aussi la Turquie d’Erdogan et la République dite populaire de Chine. Ce n’était pas très cohérent. Craignant de ne jamais mettre le pied sur le continent américain, je m’y suis rendu en septembre 2018... alors même que le président était Donald Trump ! Finalement, si je veux encore découvrir le monde, il me reste pas mal de pays despotiques à visiter !
A quelques mètres de Wall Street, la statue en bronze d’un taureau (Charging Bull) représente la puissance et le pouvoir. Puis un autre sculpteur a installé une statue d’une fillette, mains sur les hanches, faisant face à la bête, lui signifiant qu’elle n’avait pas peur (Fearless Girl). Finalement le sculpteur de Charging Bull et la mairie de New York ont exigé que Fearless Girl soit déplacée, à quelques centaines de mètres. J’ai pris les photos un mois avant ce déplacement. Cette scène est tout un symbole.
Philadelphie et la recherche du bonheur
L’Etat de Pennsylvanie fait la une des médias, car c’est le plus important des swings states, les 7 Etats qui font l’élection présidentielle (le candidat qui l’emporte dans cet État a de forte chance de gagner l’élection). Sa capitale : Philadelphie, "amitié fraternelle et sororelle", adelphie étant un mot qui fusionne frères et sœurs. C’est dans cette ville que fut signée le 4 juillet 1776 la Déclaration d’indépendance (face à la monarchie britannique) créant les Etats-Unis d’Amérique. Les Américains sont fiers de montrer les lieux où cet acte fondateur fut consacré, ainsi que la Cloche de la liberté qui concrétisa cet événement.
Cette Déclaration décrète que tous les hommes sont créés égaux. Ils disposent de droits : la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Mais elle veille à ne rien dire sur la traite des Africains (qui allait encore durer deux siècles) ni sur l’esclavage pour ne pas mécontenter les Etats du sud. Dans ce document de trois pages, la moitié vise la « tyrannie absolue » du roi de Grande-Bretagne et ignore ostensiblement qu’il existait des peuples autochtones en Amérique. On ne sait même pas si les Américains s’entretuèrent durant la Guerre de Sécession pour vraiment accorder la liberté aux esclaves.
A noter que la Conférence générale de l’Organisation internationale du travail (OIT), réunie à Philadelphie, aux États-Unis, a adopté, le 10 mai 1944, un autre texte, la Déclaration de Philadelphie, qui a une importance considérable car elle redéfinit les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail dont un article dit : « tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ».
Recherche du bonheur, de la liberté, de la dignité ? Est-ce que cela était à l’ordre du jour de l’élection présidentielle américaine ?
Le consentement à l’écrasement de Gaza
Le 19 octobre, plusieurs bombardements sur Gaza par l’armée israélienne ont fait des dizaines de morts (sur des camps de réfugiés et sur une école, 87 morts aux dernières nouvelles qui ne font qu’un entrefilet dans les médias). Déjà, le dimanche 13 octobre, 15 morts dans une école et 50 blessés. Une nouvelle étonnante, un scoop, serait d’annoncer qu’au cours d’une journée il n’y a eu aucun mort à Gaza.
Pour faire prendre la mesure du drame qu’a représenté pour les Israéliens le 7-octobre, certains ont cru nécessaire de rapporter le chiffre des 1180 morts [766 civils dont 71 ressortissants étrangers et 373 policiers et militaires, sans compter les otages morts] à la population de la France, serait l’équivalent de 10.000 morts. Or, si l’on poursuit sur l’idée du comparatif, le massacre en règle à Gaza, délibéré (au moins 42.000 morts), de l’armée israélienne sur l’ordre du premier ministre Netanyahou correspondrait en France à plus d’un million de morts !
Pour tenter de minimiser cette volonté de l’Etat israélien de détruire le peuple palestinien, de bonnes âmes (donc pas seulement Meyer Habib) ont cru pouvoir s’étonner qu’on ne s’apitoie pas sur le Soudan ou le Congo meurtris, tant d’autres lieux oubliés. Or il est faux de dire que les humanitaires ne se préoccupent que de la Palestine, par ailleurs en nombre de morts comparé à la population et à la durée d’exécution, l’opération en cours est la pire que l’on connaisse.
Il y a quelques années, quand j’ai eu l’occasion de me rendre à des conférences ou rassemblements en faveur des Palestiniens, je redoutais qu’y soient tenus des propos antisémites. Cela n’a jamais été le cas (sinon je l’aurais écrit et n’y serais jamais retourné). Après le 7-octobre, j’ai entendu une responsable nationale du NPA, à Auch, qualifier cette attaque de « violence aveugle contre des centaines de civils », d’« actes monstrueux » », d’« idéologie d’obscurantisme et d’intégrisme religieux », tout en considérant qu’il s’agissait d’une réplique (d’un miroir) de ce qu’est le gouvernement d’Israël, d’extrême droite, religieux, qui n’hésite pas à parler d’"animaux" pour désigner les Palestiniens.
Les accusations d’antisémitisme portées à l’encontre de quiconque critique cette guerre d’anéantissement faite aux Palestiniens est insupportable : cette instrumentalisation est, selon moi, une forme d’antisémitisme parce qu’elle court le risque de l’alimenter. De même qualifier de Shoah les massacres du Hamas c’est aussi instrumentaliser la Shoah et alimenter le révisionnisme. Enfin, la politique cruelle de l’Etat d’Israël non seulement attise une haine exacerbée contre lui dans les territoires palestiniens mais aussi développe un discrédit grandissant dans le monde à son encontre.
Dans un livre magistral, documenté bien qu’écrit dans l’urgence, Didier Fassin, professeur au Collège de France, médecin, anthropologue, démontre l’ampleur non seulement de l’écrasement de Gaza mais aussi du silence et de l’inaction qu’il provoque. Sur l’événement du 7 octobre, il décrypte et, tout en condamnant un crime odieux s’en prenant à des civils, tués, violentés, blessés, pris en otage, il déroule les faits mais montre aussi les mensonges des autorités israéliennes, copieusement repris y compris après qu’ils aient été démentis [CNews continue à colporter la fake news selon laquelle des enfants auraient été décapités et mis dans un four]. Je recommande ce livre dans lequel Didier Fassin démontre avec brio comment les mots sont détournés et les valeurs inversées. Ce livre remarquable, au lieu d’être commenté par un auteur qui traite du Moyen-Orient et connait le sujet, a été sévèrement critiqué dans les pages littéraires du Monde (Le Monde des livres) par Florent Georgesco, adjoint de Jean Birnbaum (à la différence du Monde, son supplément littéraire a peu couvert la tragédie de Gaza).
[20 octobre]
– voir Les médias de l’extrême droite se déchaînent [25 octobre] où il est question des Dupondt du PAF, Olivier Truchot et Alain Marshall (BFM-RMC)
– voir aussi : Le règne du deux poids deux mesures, [23 mai] où il est question, entre autres, de France Info et d’une interview de Rima Hassan (franco-palestinienne, candidate sur la liste LFI aux Européennes) menée de façon indigne par Gilles Bornstein et Barbara Klein (ex-CNews) : ils l’ont harcelée, n’écoutant pas ses explications, Gilles Bornstein se comportant comme un véritable militant.
Billet n° 827
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d’écrire et de faire lien (n° 800).
Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup
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