Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

États-Unis. La grève des travailleurs de l’automobile s’étend à 38 dépôts de pièces détachées

L’horloge a sonné pour deux des trois grands constructeurs automobiles. A midi le 22 septembre, 5000 membres supplémentaires du syndicat UAW (United Auto Workers) de 38 centres de distribution de pièces détachées dépendant de Stellantis et General Motors ont débrayé. Ces unités sont réparties dans 20 Etats. [Voir sur ce site les articles publiés les 15, 18 et 19 septembre 2023.]

23 septembre 2023| Alencontre
http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-la-greve-des-travailleurs-de-lautomobile-setend-a-38-depots-de-pieces-detachees.html

Ils rejoignent ainsi les 13 000 travailleurs des usines d’assemblage de l’Ohio, du Michigan et du Missouri qui sont en grève depuis une semaine. Dès lors, 18 000 travailleurs et travailleuses des trois grands de l’automobile (the Big Three) organisent les piquets de grève dans tout le pays. (Voir la carte de toutes les usines touchées ici).

Cette mobilisation ajoute un nouveau type d’établissement à la liste des départements ciblés de firmes dans lesquels la grève a été déclarée. Les centres de distribution de pièces détachées (CDP) fournissent des pièces détachées et des accessoires après-vente aux concessionnaires, une partie très rentable de l’activité des entreprises.

La plupart des unités comptent entre 50 et 150 travailleurs et travailleuses, mais certaines sont beaucoup plus grandes. Selon GM, le Davison Road Processing Center à Burton, dans le Michigan, emploie plus de 1200 personnes et traite 9,9 millions de pièces par mois, exécutant des commandes pour des clients nationaux et internationaux. GM a investi 168,5 millions de dollars dans ce site d’une superficie de 93’000 mètres carrés.

Pourquoi bloquer les centres de distribution de pièces détachées ? « Il y a plusieurs raisons », a expliqué Shawn Fain, président de l’UAW, à Labor Notes. « L’un de nos problèmes est la fin des divers niveaux de salaire. Ces centres en sont un bon exemple. Les salaires y ont été plafonnés à 25 dollars il y a quelques années, pendant la période la plus faste de l’histoire de ces entreprises. Cela doit changer. Ces travailleurs ont été exploités assez longtemps. Ce sont eux qui nous ont permis de traverser la récession. Ils travaillaient sept jours sur sept quand tous les autres se retrouvaient chez eux, licenciés. Ils méritent un juste retour. »

Avant la grève du 15 septembre, les trois grands constructeurs automobiles se sont efforcés d’élaborer des plans d’urgence en cas de grève des CDP. Ford a tenté de former 1200 salarié·e·s non syndiqués pour travailler dans les CSP. Stellantis a embauché des travailleurs non syndiqués pour stocker des pièces dans une usine de Belvidere, dans l’Illinois.

Les trois usines d’assemblage déjà en grève, où les travailleurs assemblent des véhicules lors de la dernière étape de la construction automobile, resteront en grève.

Dans un message Facebook Live diffusé aujourd’hui à 10 heures, le 22 septembre, le président de l’UAW, Shawn Fain, a annoncé les nouveaux objectifs de la grève et a invité tout le monde à rejoindre les travailleurs et travailleuses sur les piquets de grève, « depuis nos amis et nos familles jusqu’au président des Etats-Unis ». [Shawn Fain a invité Biden à venir sur un piquet de grève. Biden a déclaré qu’il serait présent dans le Michigan mardi 26 septembre, pour obtenir un « accord gagnant-gagnant ». Trump affirme qu’il sera présent le mercredi 27. L’Etat du Michigan a une place importante sur le plan électoral ! Le soutien populaire à la mobilisation de l’UAW aux Etats-Unis, selon les sondages, se situe à hauteur de 60%.]

Notant que les installations frappées sont réparties dans tout le pays, Shawn Fain a déclaré : « Nous serons présents et en grève partout. »

Il a également donné des exemples de la créativité des membres de l’UAW, comme celui des convois de solidarité où les travailleurs et travailleuses de l’usine Stellantis Jeep à Toledo (dans l’Ohio) se sont rendus à l’usine Ford Bronco à Detroit (Michigan), et vice versa.

« Nos employeurs se font la concurrence, mais les travailleurs, eux, prouvent à l’Amérique que nous sommes tous unis sur un même front », a déclaré Randy Miller, un ouvrier de Ford, sur le piquet de grève de Michigan Assembly [Ford], hier, alors que des conducteurs de Ford Bronco [SUV tout-terrain] et de Jeep [Stellantis] passaient en klaxonnant et en brandissant des drapeaux américains et des pancartes de l’UAW.

Des progrès chez Ford

L’UAW a baptisé sa stratégie d’escalade « Stand Up Strike » [« grève debout » grèves ciblées dans des départements, décidées au cours des négociations], car il est possible de demander à davantage de travailleurs de « se lever » au fur et à mesure que la grève prend de l’ampleur, tandis que d’autres continuent à travailler dans le cadre de leurs contrats arrivés à expiration. L’idée est d’intensifier la grève en fonction des progrès réalisés à la table des négociations, en infligeant des pertes financières croissantes aux constructeurs automobiles s’ils se montrent intransigeants à l’égard des revendications des membres. « Nous nous efforçons de faire bouger les directions des firmes à la table des négociations », a déclaré Shawn Fain.

Ces revendications comprennent, entre autres, la suppression des divers niveaux de rémunération, le passage des travailleurs et travailleuse temporaires au statut de permanents, le rétablissement des ajustements au coût de la vie liés à l’inflation, la récupération des régimes de retraite à prestations définies, la fourniture de soins de santé aux retraité·e·s [ce qui est inclus dans le contrat collectif aux Etats-Unis] et la garantie de la sécurité de l’emploi dans le cadre de la transition vers les véhicules électriques.

« Nous savons que les Big Three ont les moyens d’améliorer la situation », a déclaré Shawn Fain. « Nous bloquerons la distribution des pièces détachées jusqu’à ce que ces firmes reviennent à la raison. »

Shawn Fain a énuméré les progrès significatifs réalisés avec Ford à la table des négociations. L’entreprise a accepté de rétablir le mécanisme d’augmentation salariale liée au coût de la vie, ce qui avait été supprimé en 2007. Les travailleurs auront le droit de faire grève en cas de fermeture d’usine tant que le contrat sera en vigueur. Tous les travailleurs temporaires obtiendront le statut de travailleurs à temps plein au bout de 90 jours.

Ford et GM ont accepté d’éliminer un échelon salarial – celui qui comprend, chez Ford, les unités Rawsonville Components [situé à Ypsilanti, Michigan] et Sterling Axle [fabrique d’essieux située à Sterling Heights, Michigan], et chez GM, Components Holdings et Customer Care and Aftersales [Grand Blanc, Michigan].

Stellantis, cependant, insiste toujours sur le maintien d’un niveau salarial inférieur dans sa branche de distribution de pièces détachées, Mopar [toutes les pièces d’origine de Chrysler, Dodge, etc. sont vendues sous la marque Mopar, qui génère 70% de la rentabilité du groupe sur les ventes de pièces].

La grève à l’usine d’assemblage de Ford dans le Michigan, à Wayne, se poursuivra, mais aucun autre site de Ford ne se joindra à la grève actuellement.

Unifor [syndicat qui regroupe les deux grands syndicats canadiens : Travailleurs canadiens de l’automobile et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier], qui représente 18 000 travailleurs de l’automobile des Big Three au Canada, a conclu un accord de principe avec Ford mardi 19 septembre. Les détails de l’accord seront communiqués aux membres samedi matin, 23 septembre, et ils auront jusqu’à 10 heures dimanche pour voter en faveur de l’accord. Unifor a adopté une approche plus traditionnelle et moins combative pour les négociations.

Une décision activement approuvée

Au Willow Run Redistribution Center de GM, un centre de pièces détachées situé à Belleville, dans le Michigan, Terry Ward, ouvrier, travaillait dans l’usine, dans la première équipe du matin, pendant le livestream de Shawn Fain sur Facebook. Il raconte que tout le monde écoutait sur son téléphone portable et que le son résonnait dans toute l’usine. Lorsque l’annonce a été faite, tout le monde s’est félicité et a tapé du poing sur la table. « Le travail a été un peu ralenti par la suite », a-t-il déclaré.

La direction n’en revenait pas, a déclaré Nicole Fuqua, une autre travailleuse de la première équipe. Elle se réjouit de voir le syndicat s’attaquer aux centres de pièces détachées, car ils génèrent beaucoup de bénéfices pour les constructeurs automobiles : « S’il faut leur faire du mal, autant le faire là où ils gagnent le plus d’argent. »

Les travailleurs quittant l’usine ont emprunté la longue allée. Beaucoup d’entre eux ont ensuite garé leur voiture et sont sortis pour se rassembler, avec des sympathisants d’autres localités qui étaient venus se joindre à eux.

« Nous devons soutenir nos frères et sœurs de GM », a déclaré Kayla Joseph, membre de la section locale 387 et ouvrière de Ford de quatrième génération. Elle a été soulagée ce matin d’apprendre les progrès réalisés chez Ford, mais « il reste encore du chemin à parcourir ». La pension de ses grands-parents était exactement la même que celle que touchera son père lorsqu’il prendra sa retraite dans deux ans, dit-elle, ce qui montre combien de temps les retraités sont restés sans augmentation. « Nous sommes tous prêts à partir à tout moment », a-t-elle déclaré. « Nous faisons confiance aux dirigeants. Shawn Fain fait du bon travail en tenant ses promesses. Il tient tout le monde en alerte, y compris les travailleurs et travailleuses. »

Angel Muniz est venu avec son propre porte-voix, celui de la section locale 900, de l’usine Ford Bronco, actuellement en grève. « Pas de dollars, pas de camions », a-t-il crié. Hier, il a participé à un convoi de 60 véhicules jusqu’à l’usine Jeep de Toledo en signe de solidarité. Il dit qu’il a 11,5 ans d’ancienneté et qu’il a constamment des douleurs dues au travail. L’un de ses principaux problèmes concerne les soins de santé après la retraite, dont les travailleurs classés au second rang, comme lui, ne bénéficient pas à l’heure actuelle. Bien qu’il soit un ancien soldat (veteran) et qu’il bénéficie de l’assurance maladie, il souhaite que d’autres personnes puissent en bénéficier. Angel Muniz a déclaré qu’il avait voté pour l’ancien président de l’UAW Ray Curry [de 2021 à 2023 et qui se représentait], « mais en fin de compte, je suis heureux que mon homme n’ait pas remporté l’élection. Nous avons enfin une direction qui a du mordant » [Shawn Fain est président depuis mars 2023].

Tenir bon

A midi, le 22 septembre, Shawn Fain s’est rendu au Stellantis Center Line National Parts Depot, à l’extérieur de Détroit. Les travailleurs et les travailleuses y ont quitté le travail en franchissant les tourniquets et en recevant des tapes sur l’épaule et des accolades. Les membres du comité de négociation et les sympathisants en chemise rouge étaient là pour les encourager. Le dirigeant syndical régional Rich Boyer a lancé le slogan « Sauvons Mopar ! ». D’autres ont scandé « Pas de salaire, pas de pièces ».

« Nous tiendrons bon », a déclaré Lisa Webster, salariée de Stellantis depuis 27 ans. « Nous méritons qu’ils fassent ce qu’il faut pour nous. Nous avons besoin qu’ils rétablissent tout ce que nous avons abandonné en 2008 pour maintenir l’entreprise à flot lorsqu’elle a fait faillite. » Elle entrevoit de nouvelles possibilités avec Shawn Fain à la tête de l’UAW. « Je soutiens mon président à 100 %», a-t-elle déclaré. « Tant que nous aurons besoin d’être là, je serai là. Nous avons maintenu l’entreprise à flot pendant le Covid, lorsqu’ils ont fermé toutes les usines. Mopar a été la seule usine à fonctionner pendant toute la durée du confinement. »

Avec la flambée des prix des véhicules neufs, les utilisateurs dépensent davantage pour l’entretien et réparation de leurs anciens véhicules. Les travailleurs sont conscients de la valeur de leur production (pièces détachées). « Lorsque les voitures neuves ne se vendent pas, Mopar fait gagner de l’argent à l’entreprise », explique Lisa Webster.

Stellantis souhaite séparer les centres de distribution de pièces détachées de ses usines d’assemblage. L’entreprise a proposé de fermer 18 sites et de les transformer en centres de distribution de pièces détachées gigantesques, moins nombreux mais plus grands, sur le modèle d’Amazon.

Les fermetures de l’usine d’assemblage de GM dans le Missouri ont déjà entraîné une pénurie de pièces embouties à Fairfax, au Kansas, où des syndicalistes ont été licenciés. Ford a licencié 600 travailleurs des ateliers de carrosserie et d’emboutissage de l’usine d’assemblage du Michigan (seuls les services d’assemblage final et de peinture avaient fait grève). Le syndicat a déclaré qu’il leur verserait des indemnités de grève.

Pas plus de 8 heures
Que doivent faire les travailleurs et travailleuses qui ne sont pas en grève et qui travaillent dans le cadre du contrat qui est arrivé à échéance ? « Continuer à faire ce qu’ils ont à faire », a déclaré Shawn Fain. « Continuez à livrer des pièces de qualité et gardez un œil sur votre usine. Si l’entreprise tente de procéder à des changements unilatéraux, vous avez le droit de vous y opposer. Vous pouvez vous battre aussi bien dans votre usine que sur le piquet de grève. »

Le syndicat a distribué des informations à ceux qui travaillent dans le cadre d’un contrat échu, notamment sur le fait que les entreprises ne peuvent légalement pas apporter des modifications unilatérales aux salaires et aux conditions de travail. « Si vous constatez un changement, signalez-le », a déclaré Shawn Fain.

Sur Facebook Live ce matin 22 septembre, Shawn Fain a dit aux membres qui travaillent encore : « Rappelez-vous que vous avez le droit de refuser de faire des heures supplémentaires. Il y a des millions de façons de défendre les membres et de vous défendre vous-mêmes. »

Les travailleurs de plusieurs usines ont indiqué qu’ils refusaient les heures supplémentaires volontaires. A l’assemblée Mack de Stellantis à Detroit, les membres de l’UAW s’encouragent les uns les autres à faire un maximum de huit heures [donc sans heures supplémentaires, qui seraient utilisées pour affaiblir la grève].

Le courant syndical réformiste Unite All Workers for Democracy-UAWD (Unir tous les travailleurs pour la démocratie) s’est engagé à refuser les heures supplémentaires volontaires et apporte un soutien à l’organisation des travailleurs qui ont signé cet engagement. Lorsque le contrat est en vigueur, les travailleurs peuvent refuser individuellement les heures supplémentaires volontaires, mais ils ne sont pas autorisés à coordonner leur refus. Mais ils peuvent le faire maintenant que le contrat a expiré. L’UAWD organise également des « brigades volantes », renouant ainsi avec la tradition de l’UAW qui consiste à amener des groupes de travailleurs sur les piquets de grève des sections locales. (Article publié sur le site de Labor Notes, le 22 septembre 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre)

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