Édition du 17 décembre 2024

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Arts culture et société

Hollywood : clap de fin sur la grève des scénaristes mais la lutte se poursuit

Malgré l’accord avec celles et ceux qui écrivent films et séries, les productions américaines resteront à l’arrêt. Car les négociations menées en parallèle avec le syndicat des acteurs et actrices restent au point mort. Un tournant dans l’histoire du militantisme aux États-Unis.

Tiré de Médiapart.

New York (États-Unis).– Aucune explosion de joie ne s’échappe, mardi 26 septembre, dans la voix de Zayd Dohrn. En grève depuis près de cent cinquante jours, ce scénariste de 45 ans basé à Chicago (Illinois) a travaillé ces quinze dernières années aussi bien pour les grands studios américains, HBO notamment, que pour la plateforme de streaming Netflix.

Le conseil d’administration du groupe syndical auquel il appartient, la Writers Guild of America (WGA), a pourtant formellement voté, dans la soirée de mardi, la fin du mouvement social et recommandé à ses 11 000 adhérent·es de ratifier l’accord « exceptionnel » arraché deux jours plus tôt à l’industrie, aussi bien aux nouveaux venus de la tech, Netflix, Apple ou encore Amazon, qu’aux grands studios hollywoodiens (Disney, NBCUniversal, Paramount Global ou encore Warner Bros).

Dans les grandes lignes, les scénaristes qui alimentent la machine américaine de la télévision et du cinéma, un secteur estimé à plus de 130 milliards de dollars, ont obtenu gain de cause au regard de leurs principales revendications. En particulier sur la question de la revalorisation des salaires provenant du streaming.

Les plateformes ont en effet accepté d’augmenter, durant les trois prochaines années, le montant des royalties accordées aux scénaristes, via le versement de bonus pouvant être corrélés au succès des séries. Sur l’un des points les plus sensibles des négociations, l’utilisation de l’intelligence artificielle, de premières garanties ont également été négociées avec succès.

Le matériel source, les scripts, ne pourra être réécrit par des robots, bien que les scripts puissent être utilisés par l’industrie pour affiner les outils de l’IA. Avant le début de la grève, commencée en avril, les studios refusaient catégoriquement d’aborder le sujet.

Les productions américaines en suspens

« Exceptionnel », donc, l’ensemble des concessions faites aux scénaristes après cinq mois d’une grève dont le coût pourrait atteindre, selon certaines estimations, cinq milliards de dollars. Plus du double du coût des précédentes grèves de 2007. Et pourtant, à Hollywood et ailleurs dans le pays, dans des villes comme New York où le secteur emploie presque 200 000 personnes, le combat continue.

Car les négociations menées en parallèle avec le SAG-Aftra, le syndicat qui représente 160 000 acteurs et actrices travaillant dans le milieu du cinéma, à la télévision et la radio, apparaissent au point mort malgré des revendications similaires, y compris sur l’utilisation des nouvelles technologies.

« Vous savez, avant de se mettre eux aussi en grève [en juillet – ndlr], les acteurs étaient avec nous sur nos piquets de grève. Maintenant que notre action se termine, mais que la grève des acteurs se poursuit, nous allons être sur les piquets avec eux », explique Zayd Dohrn à Mediapart. À Hollywood, la dernière grève simultanée des scénaristes et des acteurs et actrices date des années 1960, à une époque où l’on regardait encore en France la télévision en noir et blanc.

Ainsi, malgré l’accord obtenu par les scénaristes, qui doivent reprendre le travail dans les prochaines heures, les productions américaines resteront à l’arrêt. Seules celles n’ayant aucun acteur ni actrice, à l’instar des talk-shows ou encore des programmes de téléréalité ou des late-night shows, comme celui des célèbres animateurs Jimmy Fallon ou Stephen Colbert, pourront reprendre.

Plus de 100 000 petites mains du secteur, des technicien·nes, des maquilleurs et maquilleuses, décorateurs et décoratrices, etc., resteront par conséquent sans travail. Plus de 150 programmes télévisés ou films demeurent à l’heure actuelle paralysés, soit dix milliards de dollars de productions.

  • Même si vous avez un certain succès, subvenir aux besoins de votre famille sur 20 ou 30 ans est devenu très difficile.
  • - Zayd Dohrn, scénariste

Pour l’historien Jason Resnikoff, spécialiste des mouvements sociaux, « cette solidarité » entre scénaristes et acteurs et actrices illustre quelque chose de « nouveau » aux États-Unis. Elle s’inscrit, explique-t-il à Mediapart, à un tournant, dans une « histoire plus vaste du militantisme syndical croissant outre-Atlantique », qui a récemment surgi à Hollywood et dans d’autres piliers de l’économie américaine comme l’hôtellerie, la restauration ou encore le secteur automobile.

« La tendance générale dans ces postes, conclut Jason Resnikoff, est à la dégradation du travail. L’employeur essaiera de dégrader les emplois soit en faisant appel à des machines, soit par la division des tâches. » « La façon dont les Américains perçoivent le mouvement syndical, qui leur apparaît aujourd’hui comme “une bonne chose”, est plutôt nouvelle », ajoute l’historien, même si « le mouvement actuel rappelle d’autres périodes de militantisme ouvrier, à l’image des années 30 ».

Avec 71 % d’opinions favorables, les syndicats recueillent un soutien jamais atteint depuis 1965, d’après un récent sondage de l’institut Gallup. « Concrètement », sur le terrain, cette dégradation des conditions de travail s’est opérée pour les scénaristes à Hollywood de différentes manières, parmi lesquelles la création de « mini rooms ».

Avant l’arrivée du streaming, « vous pouviez travailler pendant 20 à 25 semaines sur un même projet », détaille Zayd Dohrn. Le scénariste suivait l’ensemble des étapes de l’écriture à la production. « Maintenant, on va vous appeler et vous dire, “j’ai un boulot pour toi”, c’est cinq semaines d’écriture, de mini room, pour que tu aides un autre scénariste à parfaire une histoire » qui ne s’étalera que sur une poignée d’épisodes, sans production.

« Moins de travail, plus de compétition, moins de royalties sur les rediffusions quasi inexistantes avec le streaming… Même si vous avez un certain succès, subvenir aux besoins de votre famille sur 20 ou 30 ans est devenu très difficile. » Aux frais du métier, « vous devez payer votre agent 10 % de ce que vous touchez, votre manager, 5 %, votre avocat, les taxes… », ajoute Zayd Dohrn ; frais auxquels il convient d’adjoindre dorénavant l’inflation, les loyers exorbitants de villes comme New York ou Los Angeles, les frais de scolarité, de santé.

Moins de séries en commande

« Tout ça fait que beaucoup d’entre nous jettent l’éponge, regrette le scénariste. Malheureusement, ce sont les plus vulnérables : ceux qui ne sont traditionnellement pas acceptés à Hollywood, les scénaristes noirs américains ou non blancs, les scénaristes femmes, les plus jeunes. »

Et Zayd Dohrn de regretter qu’aujourd’hui, « ce qui intéresse l’industrie, c’est de faire du profit à tout prix et de se débarrasser du plus grand nombre possible de travailleurs pour pouvoir gagner plus d’argent ». « Le débat s’est beaucoup focalisé sur l’intelligence artificielle, mais c’est aussi l’industrie elle-même, le capitalisme, l’apparition de grands conglomérats qui rendent impossible le fait de s’exprimer en dehors d’impératifs économiques », poursuit-il.

Plus de 10 000 emplois ont, dans cette logique, d’ores et déjà été supprimés pour rendre plus profitables les services de streaming des grands studios, Disney+ ou HBO Max, lancés pour concurrencer Netflix. Après avoir atteint des pics extraordinaires, les commandes de nouvelles séries apparaissent elles aussi à présent à la baisse. Tout comme les cours des actions. Une baisse des commandes qui s’est accélérée après l’annonce récente, par Netflix précisément, de la baisse du nombre de ses nouveaux abonné·es.

Paradoxalement, la rémunération des PDG de l’industrie a quant à elle explosé. En 2020, selon des chiffres cités par Business Insider, un PDG du secteur gagnait en moyenne 346 fois le salaire de son travailleur moyen, contre 31 fois en 1978.

À la tête de Walt Disney, Robert Iger, qui s’est montré publiquement critique à l’égard des grévistes, est devenu à son tour, dans le récit des grèves, une sorte de vilain. Il s’apprête à percevoir une rémunération totale de 27 millions de dollars, soit 535 fois le salaire médian d’un·e de ses employé·es.

Dans les piquets de grève, « les millionnaires de la tech et les riches CEO » ne sont pas passés inaperçus. « Je suis choquée par la façon dont les gens avec qui nous avons fait affaire nous traitent ! », a déploré il y a quelques semaines, sur un ton combatif inhabituel, Fran Drescher, présidente du syndicat SAG-Aftra, connue du public pour son rôle dans la série Une nounou d’enfer (plus de 100 épisodes diffusés dans les années 90).

Et Fran Drescher d’ajouter, très critique envers le nouveau modèle économique impulsé par l’apparition du streaming : « Comme nous sommes éloignés sur tant de choses. Comme ils feignent la pauvreté, de perdre de l’argent [...] Honte à eux ! » Aucun nouveau cycle de négociations n’est pour l’heure prévu afin de mettre fin à la grève des acteurs et des actrices.

Patricia Neves

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