Édition du 19 novembre 2024

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Le Congo révolutionnaire d’Hassim Tall Boukambou

30 ans après la production des images d’archives, paraît Révolutionnaire(s), la genèse 1880-1959, la 2e partie de la trilogie « Révolutionnaire(s) » d’Hassim Tall Boukambou, fondée sur le témoignage de son grand-père Julien Boukambou. À travers son histoire qui se confond avec celle du Congo, le réalisateur associe la résistance à la pénétration coloniale, à l’affirmation du désir d’indépendance et d’émancipation des peuples africains.

Tiré du blogue de l’auteur.

Le documentaire Révolutionnaire(s), la genèse 1880-1959 dévoile plusieurs décennies d’une histoire politique, sociale et culturelle congolaise. Il s’inscrit dans les courants de recherche postcoloniale, qui contrairement aux idées reçues, en s’appuyant sur un travail rigoureux basé sur des archives, explique sans idéologie les effets de la colonisation sur nos sociétés modernes. Les traces de l’impérialisme occidental n’ont pas disparu mais le documentaire a le mérite de mettre en lumière les responsabilités des élites politiques congolaises dans la destinée de leur nation.

Cette genèse qui fait suite au premier volet Révolutionnaire(s) produit en 2015, confirme l’influence d’Hassim Tall Boukambou parmi les cinéastes porteurs d’espoirs panafricains, dont il est l’une des figures les plus prometteuses. Né le 8 juillet 1972 à Brazzaville (Congo), où il réalise son premier film-documentaire en 2005, Couleurs-urbaines Brazzaville, il effectue une partie de sa scolarité en France et s’oriente vers un BTS en communication et actions publicitaires. En 1996, il fonde sa société Bonz Communications et ouvre un cinéma de quartier. Mais son aventure entrepreneuriale connaît alors des périodes d’incertitude liées à la guerre civile qui éclate le 5 juin 1997 au Congo, opposant d’un côté les partisans de Denis Sassou-Nguesso et de l’autre, les soutiens de Pascal Lissouba.

De passage en France, Hassim Tall Boukambou suit le conflit à la radio et à la télévision. La guerre le marquera profondément au cours de laquelle il perdra son meilleur ami âgé de 25 ans. À son retour au pays, Brazzaville est détruite, dénaturée, défigurée. Ce traumatisme vécu par toute une génération est en partie à l’origine de sa participation aux mouvements intellectuels et culturels engagés dans la reconstruction du Congo. À l’école primaire déjà, il entonnait des chants révolutionnaires à la gloire de Mabiala Ma Nganga ou d’André Grenard Matswa, l’un des pères fondateurs du nationalisme congolais dès 1926. Grand amateur d’histoire et de culture, il découvre sa vocation pour le 7e art grâce au film La Chapelle réalisé en 1979 par le cinéaste congolais Jean-Michel Tchissoukou. Son engagement culturel consiste à la fois à œuvrer pour une meilleure représentation des Noirs à l’écran tout en dénonçant ceux qui ont travesti l’histoire africaine.

Son travail de documentariste révèle à travers ses archives, les stratégies impitoyables des agents du pouvoir colonial. Depuis la proclamation des indépendances en 1960 et l’accession au pouvoir de Fulbert Youlou, ils ont écarté les véritables patriotes tels que Jacques Opangault, Jean Félix-Tchicaya ou Julien Boukambou, libres penseurs aux parcours atypiques dont se méfiait le général De Gaulle. L’auteur plonge ainsi son œuvre dans tous les mouvements de lutte contre le néocolonialisme et raconte l’épopée d’un Congo cerné par ses ennemis. Un Congo dans lequel « L’Empereur » Denis Sassou-Nguesso, 77 ans, au pouvoir depuis trente-sept ans, vient de briguer un quatrième mandat et pourrait le conserver jusqu’en 2031.

Hassim Tall Boukambou se fait découvrir par le public français en 2016 grâce à la première partie de sa trilogie Révolutionnaire(s), sans doute l’un des films les plus éclairants sur l’histoire congolaise, souvent mal écrite, et jamais enseignée aux nouvelles générations en quête d’identité. On y découvre le rôle crucial qu’ont joué les syndicats dans la lutte pour l’indépendance et dans les soulèvements populaires. Son grand-père, Julien Boukambou est l’un des leaders qui a conduit la révolution congolaise des « Trois Glorieuses » des 13, 14 et 15 août 1963 à Brazzaville. En seulement trois jours, le président Fulbert Youlou est renversé par un mouvement populaire dirigé par les syndicalistes. Emprisonné, à seulement huit ans avec son père par la milice coloniale pour n’avoir pas livré à temps des écrevisses, Julien Boukambou, faiseur d’Histoire et de présidents, développera tout au long de sa vie un sentiment profond de révolte contre le colonialisme. Il a été formé par les missionnaires catholiques qui ont permis l’émergence d’une élite africaine, dont l’objectif était de préserver les intérêts économiques de l’empire français. Seulement Julien Boukambou, comme tant d’autres avant lui, ne se soumettra jamais.

Les violences et les humiliations perpétrés par le modèle colonial mis en place entre 1890 et 1939 va susciter des mouvements de contestation : le nationalisme africain, tel qu’il est défendu par Julien Boukambou, mêle tout d’abord son histoire personnelle à celle du Congo puis à celle du continent. Influencé par la stratégie du communisme international et la pensée des premiers intellectuels anticolonialistes, Julien Boukambou estime que la libération nationale permettra d’accéder à la libération sociale. Il souligne également l’importance des valeurs collectives et du respect du bien public. La pensée panafricaniste que développe son petit-fils Hassim Tall, tient compte davantage des nations précoloniales pour expliquer les problématiques sociales et ethniques sur le continent. L’influence des ethnies, des mouvements religieux, des chefs militaires, des leaders politiques et les rapports de classe façonnent les réalités sociales des populations africaines. Révolutionnaire(s) met en perspective Brazzaville, l’un des épicentres des luttes anticoloniales, et tisse les liens de la capitale avec les mouvements d’émancipation en Afrique.

Il ne faut pas regarder le documentaire comme le récit pittoresque d’une contre-histoire congolaise, mais plutôt telle une histoire complète des « Trois Glorieuses », conclue par les témoignages de ceux qui ont mené et vécu de l’intérieur ce mouvement révolutionnaire. Les Trois Glorieuses, c’était aussi l’hymne national de la République populaire du Congo du 1er janvier 1970 jusqu’en 1991. Les paroles signées par l’écrivain Henri Lopes et la musique composée par le musicien Philippe Mockouamy, évoquaient le souvenir de ces trois jours de lutte : « Lève-toi, Patrie courageuse / Toi qui en trois journées glorieuses / Saisit et porte le drapeau / Pour un Congo libre et nouveau / Qui jamais plus ne faillira / Que personne n’effrayera ». Le réalisateur propose en effet un documentaire musical où les chansons se succèdent, harmonisent les séquences, humanisent les personnages pour donner un sens épique à l’histoire contée. Il ressuscite, l’espace d’un instant, Franklin Boukaka et son chant immortel Etumba, réarrangé par l’orchestre du regretté Manu Dibango. Le film réhabilite la rumba révolutionnaire.

On retrouve les mêmes éléments dans le second volet Révolutionnaire(s), la genèse 1880-1959, un documentaire intense et émouvant, qui revisite les différentes formes de résistances congolaises à l’oppression coloniale à partir de la fin du XIXe siècle. Mabiala Ma Nganga est un héros national. Son nom signifie « guérisseur » car il maîtrisait le secret des plantes médicinales. C’est en 1892 qu’il entre en guerre contre l’armée française après avoir interdit le passage de tous les commerçants européens sur le territoire Nsundi, une ancienne province du royaume Kongo. Après quatre années d’affrontements, les capitaines français Marchand et Baratier finissent par le localiser avec ses fidèles dans une grotte, et la dynamitent dans la nuit du 21 au 22 octobre 1896. L’armée française victorieuse décapite le corps encore fumant de Mabiala Ma Nganga et promène sa tête dans les villages avoisinants.

L’évocation de la résistance congolaise à la pénétration coloniale française et pendant les indépendances réveille l’imaginaire productif du téléspectateur, lui permettant ainsi de mieux comprendre l’émergence des mouvements d’émancipation anticoloniale. D’autres révoltes éclateront contre l’exploitation sociale, économique et politique après celle du territoire Nsundi de Mabiala Ma Nganga. On peut citer la révolte des populations de la Lobaye au Moyen Congo entre 1904 et 1910, puis celle de la Ngokosangha dans le Congo occidental en 1908. Ce pan de l’histoire africaine est très souvent ignoré par les jeunes générations. La recherche historique d’Hassim Tall Boukambou a pour ambition de résister par le 7ème art contre toute forme « d’aliénation culturelle ». Il apprécie les travaux de l’historien sénégalais Cheik Anta Diop et d’autres études plus tardives comme celles menées par Amzat Boukari-Yabara, Jean-Pierre Bat ou Théophile Obenga, auxquels il donne la parole dans son documentaire. Ces spécialistes de l’histoire africaine s’accordent sur la résistance des chefs traditionnels à l’implantation coloniale française, en nous rappelant qu’en 1878, l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza a rencontré la première résistance sur le fleuve Alima lors de la bataille des « Apfourous ».

Dans son approche de la résistance africaine, le réalisateur démontre la puissante portée politique et culturelle de son travail d’archives, qui pourrait déconcerter un certain nombre de personnes nées en Occident ou ailleurs, en éteignant en eux cette certitude que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Sa production nous éclaire sur les pratiques de résistance ouvrière et une forme de conscience de classe au sein du prolétariat congolais. Les témoignages d’Aimé Matsika et d’Alice Badiangana de l’UJC (Union de la Jeunesse Congolaise), tentent de démontrer le niveau d’implication des travailleurs au sein des organisations syndicales et des mouvements de résistance ouvrière, face à la pénétration capitaliste des grandes compagnies européennes. La construction du chemin de fer Congo-Océan (CFCO) de 1921 à 1934, fut l’un des épisodes les plus tragiques de l’époque coloniale française, puisqu’elle a conduit à la mort entre 30 000 et 40 000 travailleurs, recrutés principalement au Congo, au Gabon, en Centrafrique, au Tchad et au Cameroun. Le projet du chemin de fer Congo-Océan a déclenché d’autres types de résistance passive et de désobéissance civile. Le documentariste confie que son grand-père maternel creusait des trous et des tunnels afin d’échapper aux travaux forcés, connaissant d’avance le sort funeste qui l’attendait s’il parvenait à être recruté.

Il serait illusoire de voir dans l’œuvre audiovisuelle d’Hassim Tall Boukambou une simple histoire familiale et politique au cœur d’un Congo qui aurait trahi ses idéaux indépendantistes. Il faut y voir une œuvre d’émancipation du peuple noir, de reconstruction culturelle commencée après la destruction de Brazzaville, la Verte, que la guerre a opprimé et livré à des hommes féroces, assoiffés de pouvoir et de sang. Le réalisateur apporte sa pierre à l’édification d’un Congo souverain, comme son grand-père Julien Boukambou, et son père Gérard Boukambou qui a légué à sa postérité ses images d’archive pour que jamais le Congo n’oublie.

Enfin on peut y voir Brazzaville apparaître sous un soleil révolutionnaire et naissant.

Hassim Tall Boukambou, Révolutionnaire(s), la genèse 1880-1959, © Bonz Communications, 2021 Diffusion le 28 et 29 novembre 2021 sur TV5 Monde.

Michel Bampély

Michel Bampély est un artiste, parolier, producteur, à la fois enseignant, sociologue et poète français. Spécialiste des mondes de l’art et de la culture, il prépare une thèse intitulée Sociologie des cultures urbaines à l’École des hautes études en sciences sociales.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Bamp%C3%A9ly

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