Édition du 10 décembre 2024

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Afrique

Soudan, 930 000 réfugiés dans l’est du Tchad

Depuis le mois d’avril 2023, les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, sont engagées dans une lutte de pouvoir avec les Forces de soutien rapide (FSR), contrôlées par son ancien adjoint, Mohamed Hamdan « Hemedti » Dagalo. (1)

Tiré de MondAfrique.

Les FSR sont une force paramilitaire qui trouve son origine au Darfour, une vaste région de l’ouest du Soudan dont une partie jouxte le Tchad. A partir de 2003, l’ancien président du Soudan, Omar el-Béchir, a mobilisé des milices majoritairement arabes pour réprimer des mouvements rebelles issus des communautés non arabes du Darfour, qui accusaient le pouvoir central de les opprimer. Hemedti faisait partie du commandement des Janjawids, l’une des milices progouvernementales les plus puissantes. Dix ans plus tard, le régime de Khartoum a formalisé l’intégration de ces milices dans son appareil sécuritaire en créant les FSR. Après avoir joué un rôle important dans la chute du président el-Béchir en 2019, ces forces paramilitaires ont, en octobre 2021, participé avec l’armée régulière à un coup d’Etat contre le gouvernement de transition mixte, dirigé par des civils et des militaires.

Les négociations visant à fusionner les deux forces ont exacerbé les tensions entre Burhan et Hemedti, ce qui a conduit à un conflit violent en avril 2023. Les combats ont dévasté plusieurs régions et mené le Soudan à l’effondrement.

Depuis dix huit mois, l’est du Tchad a accueilli plus de 930 000 personnes fuyant la guerre au Soudan voisin. Le conflit soudanais s’intensifiant, ce chiffre risque encore de s’accroître alors que l’aide humanitaire ne suffit déjà pas à satisfaire les besoins des réfugiés et des populations hôtes.

Les populations de l’est du Tchad, notamment celles du Ouaddaï, où se concentre la majorité des réfugiés, faisaient déjà face à une extrême pauvreté et à des divisions entre communautés arabes et non arabes. L’accroissement soudain de la population et l’importation des fractures communautaires soudanaises risquent de déstabiliser la région.

Une enquète de Crisis Group

Fuyant la guerre qui ravage le Soudan voisin, plus de 930 000 personnes ont trouvé refuge dans l’est du Tchad depuis avril 2023. La majorité s’est installée dans la province du Ouaddaï, qui souffrait déjà d’un taux élevé de pauvreté, d’une pénurie de services de base et de tensions communautaires, notamment entre groupes arabes et non arabes. L’arrivée d’un nombre de personnes supérieur à la moitié de la population totale de la province a amplifié ces vulnérabilités. Les rixes entre bénéficiaires d’une aide humanitaire insuffisante, ainsi qu’entre réfugiés et populations locales autour de l’accès aux ressources, sont désormais courantes, tandis que les tensions interethniques s’accentuent. Alors que le conflit soudanais s’intensifie, une hausse du nombre de réfugiés dans les mois à venir risque d’aggraver ces problèmes. Pour éviter ce scénario, le gouvernement tchadien devrait, avec l’appui de ses partenaires internationaux, travailler à réduire les tensions à travers un soutien économique d’urgence et des actions de sensibilisation visant à prévenir de nouveaux épisodes de violences communautaires.

La guerre au Soudan a éclaté en avril 2023, poussant vers l’exode près de vingt pour cent des quelques 50 millions d’habitants de ce pays d’Afrique du Nord-Est. Plus de huit millions de personnes se sont déplacées à l’intérieur du Soudan, tandis que trois millions ont fui à l’étranger, principalement en Egypte, au Tchad et au Soudan du Sud. Les Soudanais qui ont trouvé refuge à l’est du Tchad proviennent principalement de l’Etat du Darfour occidental, dont la capitale, Al‑Geneina, a été le théâtre en 2023 de graves exactions contre les populations non arabes, et de celui du Darfour septentrional. De nombreux Tchadiens installés au Darfour, pour des raisons familiales ou économiques, ont aussi été contraints de regagner leur pays.

La province du Ouaddai, épicentre de la crise

Les autorités de N’Djamena ont permis le déploiement rapide de l’aide humanitaire, tout en contrôlant la frontière pour empêcher l’entrée d’armes sur leur territoire. La province du Ouaddaï, frontalière du Darfour, est devenue l’épicentre de la crise : cette région semi-aride d’environ un million d’habitants, où les conditions de vie étaient déjà très précaires avant-guerre, accueille plus de 70 pour cent des personnes arrivées au Tchad pour fuir le conflit soudanais. Malgré les contraintes logistiques et sécuritaires, les agences onusiennes et les ONG internationales ont rapidement mis en place une assistance d’urgence à la frontière.

Mais cette aide ne suffit pas à satisfaire les besoins des nouveaux venus, dont la plupart sont logés dans des camps, d’autant que l’arrêt des importations depuis le Soudan entraîne une forte inflation des prix de la nourriture et que la pression démographique durcit la compétition pour l’accès à l’emploi et au logement. Au chômage et sans perspectives d’avenir, des centaines de jeunes Tchadiens rejoignent des groupes armés au Soudan dans l’espoir de s’enrichir. Les réfugiés, quant à eux, importent fréquemment au Tchad leurs griefs identitaires, en particulier à l’encontre des communautés arabes, qu’ils accusent des massacres à l’origine de leur exode. Ces ressentiments se superposent et renforcent les fractures communautaires déjà présentes dans une région qui a connu, lors de la guerre au Darfour dans les années 2000, une autre crise majeure de réfugiés.

Plusieurs facteurs risquent d’accroître la fréquence et la gravité des violences qui touchent le Ouaddaï. Alors que les combats dans la région du Darfour s’intensifient, le nombre de personnes cherchant refuge au Tchad devrait continuer à augmenter, ce qui risque d’accentuer les tensions au sein des populations locales et nouvellement arrivées sur le partage de l’aide humanitaire et l’accès aux opportunités économiques. Cette situation pourrait entraîner une augmentation des agressions à l’encontre des réfugiés, accusés par certains membres de la population hôte de faire monter les prix et de s’accaparer les ressources essentielles, notamment l’eau et le bois.

La protection contre les violences basées sur le genre est l’un des grands défis de cette crise. Les femmes et les enfants, qui constituent la majorité des nouveaux arrivants, sont en effet souvent chargés d’aller repérer ces ressources à l’extérieur des camps, et sont donc les plus exposés à ces attaques. La détérioration de la situation socioéconomique pourrait également pousser plus de jeunes hommes Tchadiens à s’enrôler dans le conflit soudanais, creusant encore davantage les fractures communautaires.

Alors que les ingérences régionales dans le conflit soudanais se multiplient et qu’un règlement négocié de la crise semble peu probable, les autorités tchadiennes, avec l’appui de leurs partenaires internationaux, devraient prendre des mesures urgentes pour limiter ces tensions. Les bailleurs de fonds devraient honorer leurs promesses de dons pour pallier les carences d’une réponse humanitaire que les Nations unies estiment sous financée. Avec davantage de fonds, les ONG et agences onusiennes pourraient cibler les principaux points de tension, en particulier l’accès à l’eau et au bois de chauffe.

Le gouvernement tchadien devrait, quant à lui, apporter un soutien économique direct pour soulager les habitants du Ouaddaï, tout en planifiant, à moyen terme, la construction d’infrastructures, notamment de routes et de systèmes d’adduction d’eau. Les autorités devraient également travailler à réduire le sentiment anti-arabe, qui a été fortement exacerbé par la guerre au Soudan. A cette fin, des messages forts de solidarité et de cohésion sociale provenant de N’Djamena, y compris via des visites du président Mahamat Déby Itno dans la région, seraient particulièrement utiles. Ils devraient être coordonnés avec l’action de réconciliation menée sur le terrain par les comités mixtes composés d’autorités locales, de chefs coutumiers et de représentants des nouveaux arrivants. Enfin, en profitant des liens familiaux et communautaires transfrontaliers, les autorités tchadiennes pourraient assumer un rôle de médiation locale entre les parties au conflit au Darfour.

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