Tiré de afriquexxi
26 février 2025
Par Patrick Bond
Cette image montre un carrefour routier en extérieur. À gauche, un panneau marron avec un symbole de police indique "SAPS Khuma", suggérant la présence d’un poste de police local. À droite, un panneau vert montre deux flèches directionnelles : une vers "Vermaasdrift" et l’autre vers "Stilfontein". L’environnement est caractérisé par une végétation verte et dense, avec quelques arbres en arrière-plan et un ciel nuageux, créant une atmosphère calme et naturelle. Le sol est asphalté, donnant l’impression d’une route peu fréquentée.
Des centaines de mineurs ont été affamés par la police à Stilfontein, en Afrique du Sud.
© Willem Cronje / Alamy
Cet article a initialement été publié le 30 janvier en anglais dans le Global Labour Column.
Traduit de l’anglais par Michael Pauron
Pendant plusieurs mois, entre août 2024 et janvier, des centaines de mineurs du secteur informel, dans le centre de l’Afrique du Sud, ont été affamés par l’État, ce qui a choqué le pays et le monde entier. Seule une centaine de corps ont été découverts dans la mine de Stilfontein, à proximité des équipements de sauvetage, alors que beaucoup d’autres se trouvent encore dans les profondeurs des mines d’or.
Ces cadavres marquent un point bas dans une lutte des classes explicite déguisée par une xénophobie rampante qui plaira à Donald Trump. La perspective d’une visite de ce dernier à Johannesburg en novembre, lorsque le président Cyril Ramaphosa accueillera le sommet des dirigeants du G20, est ironique. Dans un discours prononcé en novembre 2024 lors du G20 de Rio de Janeiro, Cyril Ramaphosa s’est insurgé contre « l’utilisation de la faim comme arme de guerre, comme nous le voyons actuellement dans certaines parties du monde, notamment à Gaza et au Soudan ».
Pourtant, quelques jours auparavant, le ministre à la Présidence auquel Ramaphosa fait souvent appel pour expliquer au public la politique de l’État, Khumbudzo Ntshavheni, avait justifié plusieurs semaines d’oppression policière contre les mineurs de Stilfontein en les qualifiant de « criminels » et en proclamant que la police devait « les faire sortir ». Au moment de cette déclaration, cela faisait déjà trois mois que les mineurs étaient privés de nourriture, d’eau et de médicaments vitaux – par exemple, des antirétroviraux renforçant le système immunitaire pour les travailleurs vivant avec le VIH.
Lorsque plus de 1 800 mineurs de Stilfontein ont refait surface, ils ont été arrêtés. La grande majorité d’entre eux sont des immigrés des pays voisins, travaillant dans des conditions infernales. Les travailleurs survivants, affamés pendant des semaines, avaient fini par se livrer à l’anthropophagie sur leurs camarades décédés et par manger des insectes.
La moitié des réserves d’or de la planète
À environ deux heures de route au sud-ouest de Johannesburg, d’anciennes mines d’or établies dans les années 1940-1960 s’étendent sur tout le paysage. Leur profondeur de 2,8 kilomètres – voire 4 kilomètres pour la mine de Carletonville, à mi-chemin entre Stilfontein et Johannesburg – atteint le filon le plus prolifique du monde. En effet, l’or du Reef, découvert au milieu des années 1880, représentait à son apogée la moitié des réserves d’or historiques de la planète.
Mais à côté de l’or, du diamant, du charbon, du platine, du manganèse, du minerai de fer et des autres filons miniers épuisés qui ont fait la réputation de l’Afrique du Sud, on trouve les rebuts de la dégradation capitaliste : plus de 6 000 mines n’ont jamais été correctement fermées. Considérées comme épuisées par l’exploitation minière formelle, nombre d’entre elles sont aujourd’hui nettoyées par des mineurs artisanaux désespérés. Des résidus subsistent – par exemple, dans les colonnes qui soutiennent des toits vieux de plus d’un siècle, ou dans les raclures le long des parois des tunnels – qui sont tous d’une dangerosité exceptionnelle. Écrivant sur les conditions de travail à Stilfontein, le journaliste du Sunday Times Isaac Mahlangu a décrit :
Une hiérarchie souterraine dans laquelle ceux qui creusaient et exploitaient les mines aux niveaux les plus bas étaient principalement des étrangers, la majorité d’entre eux venant du Mozambique. Très peu de Sud-Africains faisaient ce travail. Ceux qui travaillaient à des niveaux supérieurs étaient des tireurs de corde ou s’occupaient du traitement de l’or. La poussière d’or était la principale monnaie d’échange pour l’achat de marchandises dans le magasin situé au niveau 10, dans les profondeurs du site.
Un sac de 5 kilos de farine de maïs coûte 5 000 rands, soit vingt-cinq fois son prix en surface. Un ouvrier lui a dit : « Un bouchon de Colgate [dentifrice] rempli d’or vaut 3 000 rands [environ 156 euros] sous terre, mais le magasin ne rend pas la monnaie. »
« Ils doivent mourir comme des rats »
Des témoignages continuent d’émerger sur la manière dont la police et les administrateurs responsables de Stilfontein Gold Mining (qui avaient abandonné le site depuis longtemps) ont contribué à cette tuerie. Bien que le capitalisme soit responsable de l’extrême irresponsabilité environnementale, sociale et économique dans tout le Reef, de nombreuses personnes en Afrique du Sud ont été poussées à faire des remarques xénophobes et inhumaines. Elles ont été encouragées par des populistes de droite très en vue qui ont surfé sur l’effet Trump.
Alors que la pression montait pour sauver la vie des mineurs, la ministre adjointe de la Police, Shela Polly Boshielo, a déclaré : « Nous créons un précédent en disant que les gens peuvent descendre sous terre, s’adonner à l’exploitation minière illégale, obtenir tout l’argent et tout le reste, et que [le gouvernement viendra] ensuite les sauver... Nous n’avons même pas affaire à des Sud-Africains qui essaient de gagner leur vie. Ce n’est pas le cas. [Ces personnes] sont dans l’illégalité.{} »
Le vice-président de l’Alliance patriotique, Kenny Kunene, a tenu des propos encore plus virulents : « Je n’ai aucune sympathie pour ceux qui sont morts en volant les richesses de notre pays... Je n’ai absolument aucune sympathie. Il faut qu’ils meurent tous comme des rats sous terre. Ils n’ont qu’à brûler en enfer. » Un thème récurrent est que les mineurs artisanaux volent la société, comme l’a laissé entendre un autre homme politique, le président d’ActionSA et ancien maire de Johannesburg, Herman Mashaba, qui a déclaré : « Personnellement, je n’ai aucune sympathie pour la criminalité. »
« L’aboutissement sanglant de politiques perfides »
À la mi-janvier également, le ministre des Ressources minières et pétrolières, Gwede Mantashe, a annoncé ne pas être d’accord avec des militants locaux qui proposaient la régularisation de l’exploitation minière artisanale, ce qui pour lui revenait à demander que son ministère « accorde des licences aux Mozambicains, aux Zimbabwéens et aux ressortissants du Lesotho pour voler de l’or. C’est une activité criminelle. C’est une attaque contre [l’]économie [sud-africaine] commise par des ressortissants étrangers pour l’essentiel ». Mantashe a tenté de chiffrer ce « vol » : « L’exploitation minière illégale est une guerre contre l’économie... Ce sont des criminels qui attaquent l’économie. Le commerce illicite de métaux précieux est estimé en 2024 à environ 60 milliards de rands [312 millions d’euros], une perte pour l’économie du pays. »
Il existe trois réponses possibles aux xénophobes. La première fait appel aux valeurs humanistes de base de l’« ubuntu » (« nous sommes ce que nous sommes grâce aux autres »). Le soutien syndical le plus actif est celui de Mametlwe Sebei, président du Syndicat sud-africain des travailleurs des industries générales, qui est également avocat spécialisé dans les droits humains. Alors que deux ministres du gouvernement (Mantashe et le ministre de la police) visitaient Stilfontein à la mi-janvier, Sebei a déclaré lors d’une réunion de la communauté non loin des puits de mine :
Ces ministres sont ici sur la scène du crime. Des centaines de mineurs sont morts sous terre dans ce qui ne peut être que l’aboutissement sanglant de leurs pratiques policières perfides, planifiées et exécutées avec l’approbation des plus hautes sphères de l’État, y pris le Cabinet (1).
La communauté a refusé de rencontrer les ministres, qui ont dû se retirer honteusement.
Une deuxième réponse consiste à souligner qu’en comparaison avec l’orpaillage pratiqué avec des moyens artisanaux, il existe une fuite massive de richesses minières opérée par les sociétés minières multinationales, qui est loin d’être compensée par un réinvestissement dans l’économie, la société et les infrastructures.
« Notre pays est pillé par l’Afrique du Sud »
Troisièmement, la plus-value qui alimente le capitalisme sud-africain est le fruit du travail d’ouvriers immigrés depuis au moins 150 ans, et ces pays souffrent eux-mêmes d’une « malédiction » des ressources du fait des entreprises de Johannesburg. Comme l’explique Solomon Mondlane, de la Coalition de l’alliance démocratique (opposition) du Mozambique et candidat malheureux à la dernière élection présidentielle : « 50 % de notre gaz au Mozambique va en Afrique du Sud. 80 % de notre électricité au Mozambique est destinée à l’Afrique du Sud. Et elle l’achète moins cher qu’elle coûte ici au Mozambique, où nous payons le double pour ce qui est produit dans notre pays. Et ils nous disent qu’on les envahit, alors qu’en réalité notre pays est pillé par l’Afrique du Sud. »
Le dirigeant syndical sud-africain le plus connu, Zwelinzima Vavi, de la Fédération sud-africaine des syndicats, est d’accord :
L’Afrique du Sud est souvent accusée d’être un sous-impérialiste et de jouer ce rôle vis-à-vis de ses voisins et du reste du continent africain. Nos filles et nos fils [qui servent dans l’armée sud-africaine] ont été envoyés dans les régions septentrionales du Mozambique pour mener une guerre pour le compte de multinationales [TotalEnergies, ExxonMobil, ENI, BP, etc.] qui font la queue pour exploiter les énormes gisements de gaz au Cabo Delgado. Et ils y sont allés, bien sûr, avec des instructions claires de la France. Le président français, si vous vous en souvenez, est venu à l’improviste à l’Union Buildings (2) [en mai 2021] pour faire pression sur l’Afrique du Sud afin qu’elle déploie des soldats pour surveiller les vastes gisements de gaz dans les régions septentrionales du Mozambique.
Le président français, Emmanuel Macron, et son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa, à Johannesburg, le 28 mai 2021.
© GovernmentZA/Flickr
Vavi poursuit :
C’est ce qui me rend malade – quand les gens disent : « Ils volent nos mines, ils volent notre or. » Attendez, de quoi parlez-vous ? De quel or s’agit-il ? Comment avez-vous bénéficié, en tant que Sud-Africain noir, de cet or que vous voulez protéger ? Et comment célébrer la mort de 78 personnes « qui volent notre or et qui sont des ressortissants étrangers illégaux » ? Les Mozambicains ne viennent pas en Afrique du Sud par choix. ils ne traversent pas le parc Kruger à la recherche d’un portefeuille alors que lorsqu’ils sont dévorés par les lions, les léopards et les hyènes, il est impossible de retrouver des cadavres entiers... Si vous deviez passer quatre ou cinq jours par semaine avec vos enfants qui pleurent, assis, impuissants, ne sachant que faire ? C’est le désespoir qui les pousse. Le fait que la plupart des personnes secourues dans ces mines – les “zama zamas” – soient originaires du Mozambique n’est pas une coïncidence. C’est parce que la révolution a échoué là-bas, comme elle est en train d’échouer ici en Afrique du Sud.
Renforcer les liens entre les communautés
Les propres échecs de Ramaphosa sont indiscutables : ancien dirigeant du Syndicat national des mineurs, son investissement majeur dans l’entreprise britannique Lonmin en 2012 l’a conduit à traiter la grève des mineurs de Marikanade « crime ignoble » dans des courriels qu’il a rédigés 24 heures avant que la police massacre 34 opérateurs de foreuses de platine qui réclamaient un salaire de 1 000 dollars (956 euros) par mois. Ramaphosa était membre du conseil d’administration de Lonmin et avait par ailleurs conseillé à l’entreprise de continuer à utiliser des flux financiers illicites offshore.
À l’avenir, nous devons reconstruire la solidarité sud-africaine avec ceux qui luttent au Mozambique – une solidarité qui avait motivé les manifestations d’étudiants en 1976, peu de temps après que les nationalistes de gauche avaient battu les brutaux colons portugais, ce qui a conduit à l’indépendance. Cette solidarité est aujourd’hui nécessaire pour renforcer les liens entre les communautés et les travailleurs, d’autant plus que de nouvelles voix « rebelles » s’élèvent contre les nationalistes désormais corrompus. C’est l’agenda que sont en train de forger les mineurs artisanaux eux-mêmes, soutenus par la General Industries Workers Union of South Africa (Giwusa), la South African Federation of Trade Unions (Saftu), la Mining Affected Communities United in Action (Macua) et des avocats progressistes.
Alors qu’ils réclament une commission d’enquête sur les centaines de morts de Stilfontein, une partie du travail consiste à renverser psychologiquement la haine qui règne au sein de l’État et de la société. Cela est nécessaire pour que le « vol » des richesses minières souveraines soit mieux compris – et pour que l’internationalisme remplace la xénophobie.
Notes
1. Le Cabinet est le niveau le plus élevé de l’exécutif sud-africain. Il est composé du président, du vice-président et des ministres.
2. Le siège de la présidence.
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