Tiré du site du CADTM.
Fondé sur le principe de coopération mutuellement bénéfique, ce contrat représente-t-il une réelle opportunité pour le développement de la RDC, ou marque-t-il une nouvelle étape du néocolonialisme économique sous influence chinoise ? Derrière les promesses d’infrastructures se cache un système qui pourrait bien hypothéquer l’avenir du pays en le liant durablement aux intérêts chinois.
Un partenariat économique présenté comme gagnant-gagnant
Le contrat sino-congolais repose sur un échange de type « ressources contre infrastructures », où la Chine finance et construit des infrastructures en échange de l’exploitation de vastes ressources minières congolaises. Ce « contrat du siècle », engage des acteurs majeurs : China Railway Group Ltd. (China Railways) et Sinohydro Corporation, avec un financement assuré par la China Exim Bank. Côté congolais, la Gécamines, entreprise minière publique, joue un rôle clé via la joint-venture Sicomines, majoritairement chinoise (68%), chargée de l’exploitation des gisements stratégiques de Dikuluwe, Mashamba Ouest et Synclinal Dik Colline, entre autres [3].
L’accord initial prévoyait un investissement de 9 milliards de dollars pour la construction de 3.500 km de routes, 3.500 km de chemins de fer, 31 hôpitaux, 145 centres de santé et 5.000 logements, ainsi que pour des investissements miniers [4].
Sous la pression du FMI, préoccupé par la viabilité de la dette et par les termes de l’accord, les investissements dans les infrastructures ont été réduits de moitié, passant à 3 milliards de dollars. Ceux-ci sont financés uniquement par des prêts chinois à des taux fixes de 4,4 % et 6,1 % [5]. Par ailleurs, 3,2 milliards de dollars ont été alloués au développement minier, garantissant aux entreprises chinoises un accès privilégié aux ressources stratégiques du pays [6].
En échange de ces investissements, la Gécamine, concède plusieurs gisements contenant jusqu’à 10,6 millions de tonnes de cuivre, dont environ 6,8 millions de tonnes de réserves confirmées. En outre, l’accord stipule que la RDC s’engage à livrer 202 000 tonnes de cobalt et 372 tonnes d’or à Sicomines. La RDC a également accordé une exonération totale de taxes, impôts et droits douaniers jusqu’au remboursement des infrastructures.
Le pays renonce à plusieurs milliards de dollars de recettes fiscales et s’endette à des taux élevés, limitant ses marges de manœuvre économiques pour plusieurs décennies.
La dette comme outil de domination : vers une dépendance structurelle ?
L’engagement économique de la Chine en Afrique repose sur une approche singulière, fondée sur des prêts massifs, des investissements stratégiques et une absence de conditionnalités politiques. Ce modèle, mis en œuvre à travers des institutions comme China Exim Bank, se matérialise souvent par des contrats intégrés liant infrastructures et exploitations des ressources naturelles.
Officiellement “gagnant-gagnant”, le contrat pose en pratique plusieurs enjeux majeurs.
D’abord, la nature même des prêts accordés par la Chine soulève des interrogations sur la viabilité financière de ces accords. Les investissements chinois sont financés par des prêts à taux d’intérêt fixes et remboursés par l’exploitation des mines de cuivre et de cobalt. Le remboursement est directement assuré par 85 % des bénéfices de Sicomines, réduisant d’autant plus les ressources disponibles pour l’État congolais [7]. Cette structuration exclut tout contrôle démocratique sur la gestion des revenus miniers, rendant le pays dépendant des prévisions de production et des fluctuations du marché des matières premières.
Ensuite, cet accord, censé incarner une coopération équitable, est marqué par une opacité totale. Contrairement aux annonces officielles, l’accord a été négocié à huis clos, et les conditions de fixation des prix des minerais ne sont pas clairement établies, ouvrant la porte à une évaluation biaisée en faveur des entreprises chinoises et à de la corruption.
En effet, l’enquête menée par The Sentry a révélé des preuves manifestes de corruption, suggérant que des sociétés chinoises se sont entendues avec des acteurs puissants en RDC pour accéder à des milliards de dollars de ressources naturelles. La Congo Construction Company (CCC) est au centre de ces allégations, ayant apparemment versé des millions de dollars à des proches du président Kabila via des transactions financières douteuses transitant par des banques internationales [8]. Ces opérations présentent les caractéristiques d’un système de corruption de grande ampleur, avec des fonds mal justifiés, des sociétés à la propriété obscure et des conflits d’intérêts. Le paiement d’un « pas-de-porte » (prime à la signature) de 350 millions de dollars par les entreprises chinoises a également soulevé des questions [9]. Des enquêtes ont mis en lumière des transactions suspectes impliquant une partie de ces fonds, soulevant des doutes quant à leur destination et à leur gestion.
Enfin, la clause de stabilisation inscrite dans la convention de 2008 verrouille encore davantage la position chinoise en stipulant que toute nouvelle réglementation défavorable aux entreprises chinoises ne leur sera pas appliquée. En d’autres termes, la RDC s’engage pour plusieurs décennies sans possibilité de renégociation des termes du contrat.
Au-delà de son impact économique, cette approche favorise une dépendance structurelle.
Le contrôle chinois sur des secteurs clés, notamment l’exploitation minière et les infrastructures, empêche l’émergence d’une industrie locale indépendante en RDC.
De plus, l’accord initial prévoyait que si la RDC ne parvient pas à rembourser les prêts chinois dans les 25 ans, elle devait attribuer d’autres concessions minières à la Chine comme compensation. Bien que cette clause ait été supprimée sous la pression du FMI, la durée totale du remboursement s’étend sur 34 ans, maintenant le pays dans une relation de créancier à débiteur sur le long terme [10]. Passé ce délai, la RDC devra payer les financements chinois et leurs intérêts cumulés par toute autre voie, intégrant ainsi les prêts chinois à la dette publique externe de la RDC.
Un néocolonialisme économique sous couvert de coopération ?
L’accord sino-congolais repose sur l’exploitation des immenses richesses minières de la RDC, qui représentent un enjeu économique crucial pour la Chine.
La transition écologique et le développement des technologies numériques sont aujourd’hui au cœur des transformations économiques mondiales. En effet, en tant que puissance industrielle, la Chine est un acteur majeur dans cette course aux ressources, ayant connu des pénuries qui l’ont poussée à sécuriser son accès aux matières premières congolaises. Le cobalt, étant un élément essentiel des batteries utilisées dans les voitures électriques, les téléphones et les ordinateurs, sa demande a fortement augmenté avec la transition énergétique. Ainsi, la transition écologique, bien que essentielle pour l’avenir de la planète, s’accompagne d’un paradoxe : elle repose sur une exploitation accrue de ressources qui perpétue des dynamiques néocoloniales.
Selon les estimations, les gisements généreraient entre 40 et 120 milliards de dollars de recettes, soit bien plus que l’investissement chinois initial de 6,5 milliards de dollars [11]. En d’autres termes, la valeur réelle des minerais extraits dépasse largement le financement des infrastructures, marquant clairement un échange déséquilibré entre la RDC et la Chine.
En théorie, cet accord devrait améliorer les conditions de vie des congolais⸱es en construisant des infrastructures essentielles (routes, hôpitaux, écoles). Cependant, les réalisations concrètes ne répondent pas aux besoins prioritaires de la population. Une grande partie des infrastructures financées par la Chine se concentrent dans des zones stratégiques liées à l’exploitation minière, notamment dans le Katanga, plutôt que dans les régions où les besoins sociaux sont les plus urgents.
Par ailleurs, l’entretien de ces infrastructures n’a pas été pris en compte dans l’accord, ce qui risque de les rendre inutilisables à long terme faute de financements pour leur maintenance.
L’impact sur l’emploi local est également limité. La majorité des chantiers d’infrastructures sont réalisés par des entreprises chinoises, qui emploient principalement de la main-d’œuvre chinoise plutôt que de former et embaucher des ouvrier⸱ères congolais⸱es. Cela signifie que, malgré l’ampleur du projet, les bénéfices économiques directs pour la population congolaise restent marginaux, tandis que la Chine s’assure un accès sécurisé aux ressources minières du pays sans véritable transfert de compétences ou développement local durable.
Ce modèle de prêts garantis par des ressources naturelles n’est pas propre à la RDC : il a été déjà observé ailleurs en Afrique, notamment en Angola, où des accords similaires sur le pétrole ont permis à la Chine de prendre le contrôle de vastes secteurs économiques. Dans plusieurs pays, ces investissements massifs ont été suivis d’une prise de contrôle par des entreprises chinoises, transformant ce qui était présenté comme un partenariat en une domination économique à long terme.
Ainsi, loin d’être une simple coopération économique, l’accord sino-congolais s’inscrit dans une stratégie où la Chine sécurise l’accès aux ressources stratégiques tout en enfermant la RDC dans une dépendance durable, rendant tout redressement économique autonome extrêmement difficile.
“Gagnant-gagnant” perdu
Loin du récit officiel d’un partenariat « gagnant-gagnant », le contrat sino-congolais sert avant tout les intérêts économiques et stratégiques de la Chine, au détriment du peuple congolais. Plutôt qu’une souveraineté économique renforcée, la RDC s’enferme dans un modèle de dépendance où ses ressources financent son propre endettement, au bénéfice exclusif d’un partenaire étranger. Cet accord soulève ainsi une question fondamentale : la RDC construit-elle réellement son avenir avec ce partenariat, ou est-elle en train de céder son indépendance économique à une nouvelle puissance étrangère ?
Bibliographie
– Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
– Ibanda Kabaka, P. (2018). La Chine en RD Congo : Relecture du contrat infrastructures contre minerais. HAL.
– Marysse, S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L’impérialisme rouge en marche ?”, L’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp. 287-313.
– Marysse, S. (2010). “Le bras de fer entre la Chine, la RDC et le FMI : La révision des contrats chinois en RDC”, L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2009-2010, pp. 131-150
– The Sentry. (2021). Trafic d’influence : Mainmise sur l’État et pots-de-vin derrière le contrat du siècle au Congo. The Sentry.
– Umpula Mkumba, E. (2021). Convention de la Sino-Congolaise des Mines : Qui perd, qui gagne entre l’État congolais et la Chine ? Évaluation de l’exécution des obligations des parties à la convention de collaboration de 2008. AFREWATCH.
Notes
[1] Marysse , S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L’impérialisme rouge en marche ?”, L’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp.287-313.
[2] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
[3] Ibidem.
[4] Marysse , S., Geenen S. (2008),“Les contrats chinois en RDC : L’impérialisme rouge en marche ?”, L’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2007-2008, pp.287-313.
[5] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
[6] Ibidem.
[7] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
[8] The Sentry. (2021). Trafic d’influence : Mainmise sur l’État et pots-de-vin derrière le contrat du siècle au Congo. The Sentry.
[9] Ibidem.
[10] Umpula Mkumba, E. (2021). Convention de la Sino-Congolaise des Mines : Qui perd, qui gagne entre l’État congolais et la Chine ? Évaluation de l’exécution des obligations des parties à la convention de collaboration de 2008. AFREWATCH.
[11] Global Witness. (2011). La Chine et le Congo : Des amis dans le besoin. Global Witness.
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