Édition du 25 mars 2025

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Afrique

Accaparement des terres et prise de pouvoir au Soudan

Le Soudan, maillon clé de l’empire logistique des EAU, voit ses terres agricoles convoitées. Paysan·nes et mouvements soudanais résistent à cette guerre brutale et demandent la reprise du contrôle sur leurs terres. Cette crise exige une attention mondiale.

Tiré du blogue de l’auteur.

Au cours des deux dernières années, la guerre au Soudan a fait plus de 150 000 morts et 12 millions de personnes déplacées. Ce conflit, qui constitue la « plus grande crise migratoire au monde », représente aussi la première famine officiellement déclarée dans le monde depuis 2020, avec près de la moitié de la population souffrant de la faim.

Les deux factions militaires, qui ont collaboré à la répression des forces populaires ayant renversé la dictature d’Omar el-Béchir en 2019, sont en guerre totale l’une contre l’autre depuis avril 2023. Les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR), ont toutes deux commis des atrocités de masse contre des civils et sont soutenues par des gouvernements étrangers ayant des intérêts au Soudan.

Les Émirats arabes unis ont été plus agressifs que tous les autres acteurs extérieurs. Des preuves accablantes montrent qu’ils ont joué un rôle majeur en alimentant cette lutte brutale pour l’accaparement des ressources, principalement via la fourniture d’armes et d’autres formes de soutien aux FSR, accusées de massacres, de violences sexuelles et de nettoyage ethnique à l’encontre des civils. Les Émirats arabes unis s’intéressent principalement à l’or du Soudan, mais l’alimentation figure également parmi leurs priorités. Au cours des quinze dernières années, les Émirats ont tenté de prendre le contrôle des terres agricoles et des ressources en eau au Soudan pour produire des denrées alimentaires destinées à l’exportation.

Pour assurer leur propre sécurité alimentaire, les Émirats arabes unis ont injecté plus de 6 milliards de dollars des États-Unis dans les réserves de change du Soudan, dans des projets d’expansion agricole et dans un port sur la mer Rouge. Alors que la guerre faisait rage, deux entreprises émiraties – International Holding Company (IHC), la plus grande société cotée en bourse du pays, et Jenaan – exploitaient plus de 50 000 hectares au Soudan. Peu avant que la guerre n’éclate, un accord a été signé entre IHC et le groupe DAL – détenu par l’un des magnats les plus riches du Soudan – pour mettre en exploitation 162 000 ha supplémentaires de terres agricoles à Abu Hamad, dans le nord du pays. Ce gigantesque projet agricole, soutenu par le gouvernement des Émirats arabes unis, sera relié par une route de 500 km à un nouveau port sur la côte soudanaise qui sera construit et exploité par le groupe Abu Dhabi Ports.

Le Soudan constitue un élément important de l’empire logistique en pleine expansion des Émirats arabes unis, qui relie désormais environ 1 million d’hectares de terres agricoles acquises par les Émirats dans le monde entier à un réseau de ports et de plates-formes logistiques, tous étroitement liés à des enjeux sécuritaires. Une grande partie de ces terres se trouve en Afrique, où les Émirats arabes unis sont désormais la principale source d’investissements étrangers. Des entreprises émiraties ont récemment signé des transactions sur des terres agricoles avec une toute une série de pays africains, dont l’Égypte, la Sierra Leone, l’Ouganda et l’Angola. Les Émirats ont également devenus un acteur majeur dans l’acquisition de terres et de forêts africaines dans le cadre de programmes de crédits carbone. L’horreur au Soudan montre de façon alarmante jusqu’où les Émirats arabes unis sont prêts à aller pour sécuriser leurs intérêts agricoles à l’étranger.

La terre est et restera au centre de la lutte populaire en cours au Soudan pour démanteler le contrôle militaire et paramilitaire sur le pays. Les comités de résistance et les conseils de quartier qui restent à l’avant-garde de cette lutte ont tracé une voie claire à suivre pour affirmer le contrôle des populations sur leurs terres et leurs systèmes alimentaires. Ce mouvement, connu sous le nom de « révolution de décembre », a renversé le régime d’el-Béchir en 2019, mais a été violemment réprimé par les FAS et les FSR. Sous la surveillance de ces deux factions militaires, la vente des terres agricoles et des ressources du Soudan s’est poursuivie, ouvrant ainsi la voie à la guerre brutale que se livrent les deux groupes aujourd’hui.

Malgré la guerre, les mouvements sociaux soudanais restent attachés à leur révolution. Abdelraouf Omer, agriculteur et activiste soudanais, affirme qu’environ 70 % des petit·es agriculteurs et agricultrices riverain·es du plus grand projet d’irrigation du pays, le projet de Gezira, ont été déplacé·es. Mais lui et d’autres paysan·nes continuent de s’organiser pour affirmer leur contrôle sur leurs territoires. Pour lui, l’agriculture est la clé de l’avenir du Soudan. « Nous ne pouvons pas nous permettre de le confier aux capitalistes qui mènent cette guerre et en tirent profit », dit-il.

Le conflit qui déchire le Soudan offre un exemple dramatique de la manière dont les investissements agricoles, souvent camouflés derrière le terme de « sécurité alimentaire », peuvent faire partie de jeux de pouvoir plus vastes qui vont à l’encontre des intérêts et des droits des communautés locales. Dans l’immédiat, nous devons nous joindre aux militant·es soudanais·es pour intensifier la pression afin de mettre fin aux combats et d’acheminer l’aide aux personnes qui en ont besoin. L’absence de redevabilité et d’action est consternante. La communauté internationale doit accorder à cette crise la même importance que ce qui se passe en Palestine, en Ukraine, en RDC et ailleurs. À long terme, le peuple soudanais mérite un soutien actif pour construire sa souveraineté alimentaire en toute autonomie, sur son propre territoire et sans ingérence ni désordres.

GRAIN affirme sa solidarité avec le peuple soudanais. Nous soutenons les communautés locales du Soudan et d’ailleurs dans leur lutte pour défendre leurs terres, leurs ressources en eau et leur souveraineté alimentaire contre l’accaparement des terres par les Émirats arabes unis et d’autres puissances étrangères.

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