Tiré d’Europe solidaire sans frontière. Source - Amandla !, mercredi 2 avril 2025.
Les élections mozambicaines de 2024 sont l’un des exemples les plus frappants de ce déclin, le parti au pouvoir, le Frelimo, ayant proclamé sa victoire dans le prolongement d’un scrutin largement dénoncé comme frauduleux. Le chef de l’opposition, Venâncio Mondlane, se présentait sous la bannière du nouveau parti Podemos. Il a accusé le gouvernement d’avoir orchestré une manipulation électorale massive après que des comptages parallèles des voix eurent fait apparaître qu’il avait en réalité gagné. Le parti au pouvoir a répondu aux manifestations de masse par une répression violente. Cela s’inscrit dans une tendance à la répression de la dissidence politique par des moyens de plus en plus autoritaires.
L’illégitimité croissante de ces gouvernements issus de l’après-guerre de libération ne se limite pas au Mozambique. En Afrique du Sud, l’ANC a perdu sa majorité absolue pour la première fois depuis 1994, ne recueillant qu’environ 40 % des voix aux élections de 2024. Après des décennies de domination politique, le parti se retrouve désormais dans une coalition précaire et extrêmement fragile avec l’Alliance démocratique (DA), son rival de longue date. Cela a contraint l’ANC à adopter une position gouvernementale plus centriste, limitant sa capacité à poursuivre les politiques que sa base traditionnelle pouvait attendre.
Si certains au sein de l’ANC considèrent cette coalition comme un compromis nécessaire pour maintenir la stabilité, d’autres y voient une trahison de la mission historique du parti, en particulier compte tenu de l’orientation politique néolibérale de la DA. Les conséquences de cette entente restent incertaines : la coalition durera-t-elle, provoquera-t-elle une nouvelle fracture au sein de l’ANC ou donnera-t-elle naissance à des mouvements d’opposition plus forts en dehors du processus électoral traditionnel ?
Le déclin de l’ANC s’inscrit dans une tendance plus large en Afrique australe. Au Zimbabwe, le Zanu-PF reste bien ancré grâce à la répression plutôt qu’au soutien populaire, s’appuyant sur le pouvoir judiciaire et la commission électorale pour écarter toute concurrence sérieuse de l’opposition. Parallèlement, le Swapo namibien et le BDP botswanais ont tous deux fait face à des défis électoraux sans précédent (le BDP ayant perdu une élection pour la première fois depuis l’indépendance), ce qui montre que même les partis au pouvoir autrefois stables ne sont plus assurés de victoires faciles. Le délitement de ces mouvements suggère que les références à la lutte de libération, autrefois si efficaces, ne suffisent plus pour asseoir leur légitimité au pouvoir.
Conflit
L’essoufflement de ces gouvernements s’inscrit dans un contexte de conflits et d’instabilité croissants ailleurs sur le continent.
Le Soudan demeure plongé dans une guerre dévastatrice entre les forces armées soudanaises et les paramilitaires des Forces de soutien rapide. Ce conflit a entraîné le déplacement de millions de personnes et s’est de plus en plus internationalisé, l’Égypte et les Émirats arabes unis soutenant les camps opposés. La guerre a non seulement exacerbé l’effondrement économique du Soudan, mais menace également la stabilité régionale, avec des retombées au Tchad, au Soudan du Sud et en Éthiopie.
La République démocratique du Congo (RDC) continue de faire face à des insurrections armées, en particulier à la résurgence du M23, dont le soutien de la part du Rwanda a attisé les tensions régionales. Les accusations d’ingérence transfrontalière mettent encore plus à mal les relations diplomatiques.
Ces crises ne sont pas isolées ; elles témoignent d’un échec plus profond des gouvernements dans toute l’Afrique, où l’État est souvent incapable de trouver des solutions aux revendications sociales et économiques sans recourir à la violence.
L’effet Trump
En plus de ces crises, l’Afrique est également confrontée à un ordre international en pleine mutation. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a déjà commencé à remodeler les relations entre les États-Unis et l’Afrique. On observe un mouvement vers une approche plus axée sur les transactions et un regain d’intérêt pour la sécurité au détriment du développement. L’une des premières mesures importantes de Trump en matière de politique étrangère a été de réduire considérablement l’aide étrangère, de démanteler l’USAID et de couper les financements de grands programmes dans le domaine de la santé, dont le PEPFAR. Des millions de personnes se sont ainsi retrouvées privées d’accès au traitement du VIH et à d’autres services essentiels.
Les pays où les systèmes de santé sont déjà très en difficulté ont été les plus touchés, ce qui a exacerbé les crises de santé publique et pourrait avoir des effets déstabilisateurs à long terme. La justification de ces coupes budgétaires par l’actuelle administration s’enracine dans son principe général « America First ». L’aide étrangère y est considérée comme une dépense inutile plutôt que comme un investissement stratégique dans la stabilité.
Et cela a coïncidé avec un durcissement de la politique américaine en matière d’immigration. L’actuelle administration envisage une suppression généralisée des visas qui pourrait affecter des dizaines de pays africains, limitant les déplacements des étudiants, des travailleurs et des touristes. Cette politique rappelle les restrictions aux déplacements imposées par Trump lors de son premier mandat. Elle traduit un isolationnisme croissant des États-Unis vis-à-vis de l’Afrique, le continent étant davantage considéré comme un risque en matière de sécurité et de migration que comme un partenaire diplomatique ou économique.
Trump et l’Afrique du Sud
L’hostilité de l’administration envers l’Afrique du Sud est particulièrement frappante. Trump a expulsé l’ambassadeur sud-africain et imposé des sanctions. Il s’agissait d’une réaction aux mesures d’expropriation foncières de Pretoria et à ses positions en matière de politique étrangère, en particulier à ses initiatives visant à exiger d’Israël qu’il rende des comptes pour les actes de génocide commis à Gaza. L’administration Trump accuse l’Afrique du Sud de sympathie envers le Hamas et l’Iran.
Ces mesures punitives reflètent le malaise plus général de cette administration à l’égard des gouvernements qui remettent en question l’hégémonie américaine, en particulier ceux des BRICS. En qualifiant les positions politiques de l’Afrique du Sud d’« antiaméricaines », Trump a effectivement rompu les liens diplomatiques les plus étroits qui existaient entre les États-Unis et une puissance africaine. Cela s’inscrit également dans la volonté plus générale de son administration de privilégier les États de droite, aux tendances autoritaires, tout en isolant les gouvernements perçus comme étant de gauche ou indépendants.
Les ressources des États-Unis, de la Chine et de l’Afrique
Dans le même temps, l’administration Trump privilégie un type d’échanges différent avec d’autres États africains, notamment dans le secteur des ressources. Elle négocie actuellement un accord « minerais contre sécurité » avec la RDC. Elle propose une assistance militaire en échange d’un contrôle exclusif sur des minerais essentiels aux industries de pointe américaines, notamment dans les secteurs de la technologie et de la défense. Cet accord permettrait aux entreprises américaines d’exercer un contrôle étendu sur le cobalt et d’autres minerais essentiels. Cela reflète un changement de stratégie des États-Unis, qui passent de l’aide au développement à une activité directe d’extraction.
L’administration affirme que ce partenariat contribuera à stabiliser la RDC en lui apportant une aide en matière de sécurité. Les détracteurs mettent en garde contre le risque d’une aggravation de la dynamique néocoloniale qui reviendrait à privilégier l’extraction des ressources au détriment d’un véritable développement économique.
Dans le même temps, l’approche de la Chine à l’égard de l’Afrique est également en train de changer. Pendant deux décennies, Pékin a été le principal partenaire économique du continent, finançant les infrastructures et le commerce à une échelle inégalée par toute autre puissance extérieure. Cependant, avec le ralentissement que connaît l’économie chinoise, la propension de Pékin à accorder des prêts à grande échelle aux gouvernements africains s’amenuise. Des pays comme la Zambie et le Kenya, fortement endettés envers la Chine, ont déjà ressenti les effets de la nouvelle stratégie chinoise en matière de prêts. Il se pourrait que l’époque où la Chine octroyait facilement des crédits pour de grands projets d’infrastructure soit sur le point de prendre fin, laissant les États africains dans une position précaire. De nombreux gouvernements, qui ont organisé leur économie tout entière autour de la poursuite des investissements chinois, ont désormais du mal à s’adapter à cette nouvelle réalité. Ce tournant a pour effet de réduire les possibilités de financement extérieur de l’Afrique, les institutions financières occidentales ayant également durci leurs conditions de prêt, en particulier pour les pays fortement endettés.
Une nouvelle politique possible ?
Pour les gouvernements africains, ces évolutions soulèvent des questions difficiles en matière de stratégie politique et économique. Le déclin des mouvements de libération nationale n’a pas encore abouti à l’émergence d’alternatives progressistes crédibles. Dans toute la région, les partis d’opposition ont largement adopté des modèles de gouvernance néolibérale au lieu de définir de nouvelles perspectives de transformation économique. Loin d’évoluer vers un renouveau démocratique, une grande partie du continent semble osciller entre une répression étatique accrue et des oppositions fragmentées. De nombreux partis d’opposition, bien que critiques envers les gouvernements au pouvoir, n’ont pas réussi à proposer des programmes économiques qui rompent avec le paradigme néolibéral dominant. Ainsi, même lorsque les partis au pouvoir sont confrontés à un déclin électoral, rien n’indique que leurs remplaçants soient susceptibles de modifier fondamentalement le paysage politique ou économique.
Alors que les mouvements enracinés dans les luttes ouvrières et populaires continuent de faire pression pour le changement, leur capacité à remettre en question les pouvoirs bien établis reste incertaine. La faiblesse des alternatives de gauche en Afrique aujourd’hui reflète des tendances mondiales plus larges, où les forces socialistes et social-démocrates peinent à s’affirmer dans un monde façonné par le capital financier et le pouvoir des grandes entreprises.
Cependant, certains signes indiquent que cela pourrait changer. Sur tout le continent, on assiste à une montée des exigences de souveraineté économique et de renforcement des programmes de protection sociale, ainsi qu’à une résistance accrue aux diktats financiers extérieurs. Si ces luttes finissent par se cristalliser en formations politiques plus cohérentes, elles pourraient constituer le fondement d’un nouveau type de projet politique, rompant à la fois avec les échecs des partis issus des luttes de libération et les limites des forces d’opposition libérales.
L’ordre politique post-libéral en Afrique est en train de s’effondrer, mais ce qui va suivre est loin d’être clairement défini. L’érosion de la légitimité des partis au pouvoir ne s’est pas encore traduite par une transformation significative du système. Dans de nombreux cas, elle a simplement ouvert la porte à de nouvelles formes de manœuvres des élites. En cette période de transition, la véritable bataille ne porte pas seulement sur les élections, mais sur la nature même de l’État, de l’exercice du pouvoir économique et de la place de l’Afrique dans un ordre mondial en pleine mutation. Tant que des modèles alternatifs ne remettront pas en question la dépendance du continent vis-à-vis de la finance mondiale, de l’extraction des ressources et de la croissance induite par la dette, l’Afrique restera enfermée dans des cycles d’instabilité, avec ou sans les anciens mouvements de libération à sa tête.
Will Shoki
• Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro
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