L’autrice est députée LFI-NUPES de Seine-Saint-Denis.
Imaginez un endroit de France où le SMIC est à 1330€ bruts au lieu de 1780€, le RSA à 330€ au lieu de 607€. Où la retraite est en moyenne de 267€ par mois. Où les allocations logement, familiales, rentrée scolaire... sont bien inférieures, alors que le coût de la vie est bien plus élevé que dans l’hexagone. Où les conventions collectives n’existent pas ou presque.
Imaginez qu’à cet endroit de France, il n’y ait de l’eau qu’un jour sur deux. A cet endroit, la plupart des maisons sont faites de tôle, les enfants vont à l’école seulement la moitié de la journée faute de place, les déchets jonchent les rues et seule une décharge à ciel ouvert existe pour au moins 320.000 habitants.
Cet endroit, c’est Mayotte. J’en reviens. En délégation transpartisane de la commission des affaires économiques que je préside, avec mes collègues vice-présidents - Charles Fournier, Pascal Lecamp, Jean-Pierre Vigier -, nous y avons rencontré des représentants de l’Etat, des collectivités locales, des organisations patronales, syndicales, agricoles, environnementales, de solidarité...
Le cyclone Chido qui a frappé l’île en décembre dernier n’est qu’une crise parmi d’autres. Mayotte est en crise permanente. Fallait-il que l’île soit française, déliée du reste de l’archipel des Comores ?
Peu importe, c’est désormais un département français, suite à un référendum. Qui arrange bien la France, puisque Mayotte lui permet une présence « incontournable » dans le Canal de Mozambique, une base militaire et 74.000 km2 de zone économique exclusive, ainsi que l’indique le ministère des Armées.
La France doit à présent l’assumer. Un principe devrait prévaloir : l’égalité des droits sur tout le territoire national. Mais Mayotte est truffée de dérogations qui font de l’île un enfer de misère sociale, un laboratoire de régressions sociales.
Impossible de partir de Mayotte sans reconnaître le problème de l’insécurité. Tout le monde dit la subir et la craindre. Il règne une forme de couvre-feu informel : à partir de 20h, tout le monde reste chez soi autant que possible. Avec un taux de pauvreté de 77%, des jeunes en général sans travail, des mineurs isolés livrés à eux-mêmes, des inégalités sociales béantes, les vols et violences se répandent. Mais la réponse la plus simple consiste à mettre en cause uniquement les migrants. Ce qui fait prospérer le Rassemblement national sur l’île.
A Mayotte, la question migratoire ne peut pas être évitée car l’Etat français a tout fait pour imposer une situation intenable. Près d’un habitant sur deux est de nationalité étrangère (selon l’INSEE, en 2017) et qu’on le veuille ou non, l’endiguement des arrivées est illusoire : les Comores sont à 50 km de mer ! Le développement de relations diplomatiques avec les Comores est donc inévitable.
Par contre, les migrants sont bel et bien bloqués à Mayotte : les titres de séjour sont territorialisés, avec l’impossibilité de se rendre dans un autre département français. Encore une rupture de droits avec l’Hexagone, qui refuse toute solidarité nationale dans l’accueil des migrants. Les droits du sol, de l’asile et du regroupement familial sont eux aussi restreints à Mayotte. Main d’œuvre corvéable à merci pour l’économie illégale, les migrants en situation irrégulière n’ont droit ni à l’aide médicale d’Etat, ni à l’aide au retour, ni à l’allocation pour demandeurs d’asile. A Mayotte doivent être garantis les principes de l’égalité républicaine, qui permettrait justement aux Mahorais de sortir des crises perpétuelles : l’égalité des droits dans la Nation (des minimas sociaux jusqu’au titre de séjour nationalisé leur permettant de se rendre dans l’hexagone, faisant jouer ainsi la solidarité nationale.
Ce n’est qu’ainsi que les TPE-PME, artisans et entreprises de l’Economie sociale et solidaire mahoraises pourront se développer et reconstruire, au-delà des monopoles de Vinci et Bouygues. Avec des conditions de vie, des écoles publiques et une formation professionnelle équivalentes au reste de la France, elles pourront bénéficier de travailleurs qualifiés. Avec un accès au crédit bancaire et aux assurances égal à ceux de l’hexagone, une Banque publique d’investissement mahoraise, elles pourront investir. Peut-être faudra-t-il des exonérations fiscales provisoires et conditionnées le temps de ce développement. Mais pas une zone franche globale, ou un désert de normes environnementales, laboratoires d’une France dont pourraient rêver des coupeurs à la tronçonneuse façon Javier Milei. Avec des effets induits redoutables. Ainsi face à la proposition faite par le Premier ministre Bayrou d’une zone franche de 5 ans, l’ancienne présidente du Medef mahorais redoute "un appel d’air" au détriment des acteurs locaux.
Les jardins mahorais, les coopératives agricoles qui s’organisent progressivement, les petits élevages couplés aux productions végétales... assurent déjà une partie de l’autonomie alimentaire de l’île. Mayotte peut être un territoire pilote de l’agroécologie comme de l’économie de la mer, à commencer par la pêche qui pour l’instant n’arrive à fournir que la moitié de la consommation en poissons faute de moyens. Elle peut devenir un territoire pilote de l’autonomie énergétique, fondée sur la force des courants marins ou le photovoltaïque. Un département pilote d’une économie en harmonie avec sa nature et sa forêt. Car Mayotte peut être un laboratoire, non pas de la violence de l’Etat telle qu’elle s’exerce aujourd’hui, mais d’un développement autonome et économe, dans le cadre d’une coopération régionale repensée, alternative au néo-colonialisme ou au libre-échangisme mondialisé. A condition enfin que l’Etat français y mette des moyens à la hauteur des besoins, au lieu de multiplier les négations de droits.
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