Tiré de Courrier international.
“Libres ? Peut-être. Équitables ? C’est douteux. Crédibles ? Clairement pas !” Dans un éditorial au vitriol, le quotidien The Namibian dresse un réquisitoire accablant contre la commission électorale namibienne. Un vent de contestation inédit plane sur les élections législatives et présidentielle qui se sont achevées samedi 30 novembre après quatre jours de vote en Namibie. L’opposition a déjà annoncé qu’elle ne reconnaîtrait pas les résultats du scrutin, marqué par des problèmes logistiques et une forte affluence dans les bureaux de vote.
Samedi, le candidat des Patriotes indépendants pour le changement (IPC), le principal parti d’opposition, Panduleni Itula, a dénoncé des irrégularités “flagrantes, indéniables et inacceptables”, rapporte le quotidien namibien New Era. La commission électorale elle-même a reconnu l’existence d’“une série de problèmes, résume le site sud-africain News24, notamment une pénurie de bulletins de vote en raison d’un taux de participation plus élevé que prévu et la surchauffe des tablettes utilisées pour vérifier [l’identité des] électeurs”.
Certains bureaux de vote ont également fermé alors que des électeurs attendaient encore de voter. Dépassée par cette multitude de problèmes, la commission électorale a prolongé du 29 au 30 novembre le scrutin dans certains bureaux de vote, semant un peu plus le chaos.
“Chaos généralisé dans les bureaux de vote”
Cette élection, qui s’annonce la plus serrée depuis l’indépendance de la Namibie vis-à-vis du régime d’apartheid sud-africain, en 1990, menace la domination jusque-là incontestée de la Swapo, le parti historique au pouvoir depuis trente-quatre ans.
“Les autorités électorales ont aggravé la situation en rouvrant quelques bureaux, en supprimant la publication des résultats dans les bureaux de vote et en refusant avec arrogance d’impliquer l’ensemble des principales parties prenantes dans leurs décisions”, juge The Namibian.
“Que les résultats annoncent une victoire, un second tour ou une défaite, nous chercherons à annuler cette élection devant les tribunaux”, a annoncé sur le réseau social X Panduleni Itula, cité par le compte X du Windhoek Times. Il a rapidement été rejoint par d’autres partis d’opposition. “L’IPC a lancé la procédure de contentieux et nous le suivrons”, a notamment déclaré le secrétaire général du Mouvement démocratique populaire, Manuel Ngaringombe, repris par The Namibian.
Les élections n’ont été “ni libres ni équitables”, estiment également plusieurs experts interrogés par l’hebdomadaire namibien Windhoek Observer. “Compte tenu du chaos généralisé dans les bureaux de vote, on ne peut que déduire qu’il s’agissait soit d’un chaos chorégraphié, soit d’une incompétence flagrante, ou d’une combinaison des deux”, juge l’analyste politique Rui Tyitende, toujours dans les pages du Windhoek Observer.
“La Swapo a perdu sa domination incontestée”
Ignorant ces critiques, la commission électorale a commencé à annoncer les résultats alors que les bulletins avaient été dépouillés dans un peu plus de la moitié des circonscriptions électorales. Le 2 décembre au matin, la Swapo rassemblait officiellement 59,5 % des voix, contre 25,5 % pour son principal concurrent, l’IPC.
Analysant les résultats provisoires, le politologue Henning Melber note que la Swapo, si elle semble en voie de remporter officiellement les élections, a “perdu sa domination incontestée”. Alors que le parti règne encore sur le nord du pays, dans les centres urbains, “les électeurs ont tourné le dos à l’ancien mouvement de libération”, explique le professeur dans les colonnes du Windhoek Observer.
Un phénomène qui traverse toute une partie de l’Afrique australe, comme le suggère le Daily Maverick : au cours des derniers mois, plusieurs partis issus des mouvements de libération de la région ont vu s’éteindre leur suprématie sur le paysage politique alors qu’arrive une nouvelle génération d’électeurs plus sensibles aux problèmes économiques qu’à l’héritage des luttes d’indépendance.
En dépit des résultats officiels, qui lui sont pour le moment favorables, la Swapo “aurait intérêt à garantir sa légitimité et sa confiance sur la base d’élections véritablement libres et équitables”, souligne Henning Melber.
“[L’organisation de nouvelles élections serait] la voie de sortie la plus évidente afin de regagner l’image d’une société démocratique.”
“En l’absence d’équité et de crédibilité, nous ne pouvons imaginer d’autres options que la tenue de nouvelles élections”, pense également The Namibian, qui met en garde : “Quelque chose de radical doit être fait pour empêcher la Namibie de s’engager sur la pente glissante de l’illégitimité comme nous l’avons vu au Zimbabwe et dans d’autres pays.”
Courrier international
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