Tiré du site du CADTM.
Dans cette partie 2, vous trouverez la suite de la partie 1, une analyse contextuelle introductive qui remet en cause la stratégie globale de la Banque Africaine de Développement ( BAD) telle qu’elle est développée dans un rapport d’octobre 2022 intitulé « Échanges dette-nature, faisabilité et pertinence stratégique pour le secteur des ressources naturelles en Afrique ». La partie 2 aborde avec un regard critique et des exemples concrets les diverses solutions promues par la BAD dans ce même rapport.
Les deux possibilités envisagées par le rapport de la BAD sont l’annulation d’une partie des obligations liées aux dettes en cours ou bien le refinancement par des opérations axées sur la durabilité (la lutte contre le réchauffement climatique d’une part et l’atteinte des Objectifs de Développement Durable d’autre part). À noter que le rapport n’entrevoit pas la possibilité d’une annulation pure et simple des dettes illégitimes. Il rappelle qu’avant la pandémie, une Initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) avait déjà été mise en œuvre pour certains pays.
Par la suite, une Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale (IADM) en 2005 est venue compléter cette mesure en permettant l’annulation de 100% des dettes des pays au bout du processus PPTE. Mais les auteurs du rapport de la BAD précisent que malgré ces efforts, la dette a continué de s’exacerber. En mars 2020, La Banque Mondiale et le FMI ont envisagé des suspensions de paiements de la dette des pays de l’IDA. Au G20 les pays africains ont demandé le déblocage urgent de 100 milliards de ISD pour des infrastructures sanitaires répondant aux besoins des plus vulnérables dont 44 milliards d’allègement de dette pour tous les pays africains et 55 milliards pour la reconstruction en 2021. Néanmoins, la BAD ne s’étend pas sur ces mesures plus radicales lorsqu’elle met en évidence sa nouvelle stratégie.
1. L’ISSD
L’initiative de Suspension temporaire du Service de la Dette accordée par le G20 en avril 2020, a dégagé des liquidités supplémentaires pour les membres de l’Association Internationale de Développement (IDA, pays éligibles aux prêts concessionnels) et pour les Pays les Moins Avancés (définis par l’ONU). 73 pays à revenus faibles ou intermédiaires y étaient éligibles dont 32 pays en Afrique. Il s’agissait de 30 opérations de prêts octroyés par la BAD, environ 318 milliards pour offrir des liquidités au PMR. Entre mai 2020 et décembre 2021, l’ISSD a permis le report de 12,9 milliards de USD de service de la dette de 50 pays. Des fonds destinés au paiement des intérêts de la dette à court terme ont été réaffectés au financement de projet verts...ou sociaux, sanitaires et de soutiens économiques pendant la pandémie.
Critique :
Cependant, pour y avoir droit, il faut avoir un accord de financement avec le FMI ou en avoir fait la demande, diminuer les emprunts non concessionnels et rendre publique les dépenses et recettes du secteur public. Remarquons aussi que les créanciers privés n’y participent pas et les créanciers multilatéraux, désireux de garder leur note AAA non plus. Pourtant, le CADTM souligne que les organisations multilatérales possèdent aussi une proportion non négligeable de la dette. La Banque mondiale par exemple détient 18,9% de la dette subsaharienne concernée par l’ISSD...
Selon la BAD elle-même, les économies projetées par l’ISSD (5,5 milliards de USD) étaient bien supérieures à celles effectivement réalisées (1,8 milliards de USD). Attention, ce ne sont pas des remises de dette : on ne fait que différer le remboursement sur une période de 4 ans. Cette mesure alourdit donc les échéanciers des paiements du service de la dette en période de récession ce qui compromet la viabilité de la dette des pays qui y ont recours à moyen ou long terme. En effet, ces économies n’étaient que temporaires et les paiements ont dû reprendre en 2023 quand le service de la dette est redevenu plus élevé car il faut payer la dette rééchelonnée en plus de la dette ordinaire pour la même période !
Le réseau du CADTM Afrique de son côté critique le fait que les suspensions ne sont que temporaires et qu’elles ne concernent qu’un nombre de pays limités. Certains pays en sont exclus comme l’Erythrée, le Soudan, la Syrie ou les Zimbabwe en raison de leurs arriérés.
Enfin l’ISSD n’est que très partielle. La somme totale représente moins de 1,66% du total des remboursements exigés aux pays des Suds. En Afrique, à part le Cameroun, l’Angola, le Kenya, le Mozambique, le Congo- Brazzaville, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et la Tanzanie, l’aide n’a pas dépassé les 2 millions de USD par pays. Le CADTM regrette aussi qu’il n’y ait pas de moratoire pour les dettes privées qui s’élèvent à 10,22 milliards d’USD pour 68 pays éligibles. Il souligne aussi que c’est la Chine qui a le plus contribué en suspendant 30% du service de la dette du G20 soit 5,7 milliards d’USD. Surtout, il remarque que les suspensions et nouveaux prêts accordés servent en priorité les créanciers privés car ceux-ci étant réticents aux concessions laissent les États, les créanciers bilatéraux, le FMI et la BM, négocier des suspensions ou allègements de dettes. Les pays endettés utilisent essentiellement leur argent consacré aux dettes pour continuer à rembourser les créanciers privés récalcitrants. Tout cela bien sûr se produit au détriment des besoins urgents des populations sur place, car les montants rendus au secteur privé servent rarement par la suite les secteurs non marchands ou sociaux indispensables aux populations. Bien au contraire, nous avons vu que les acteurs privés sont peu enclins à limiter leurs profits et l’évasion fiscale ou l’optimisation fiscale des grandes entreprises est un facteur important de diminution de recettes des États et d’aggravation des dettes publiques.
Le CADTM insiste sur le fait que les 750 milliards d’USD de dettes des pays surendettés ne correspondent qu’à 1% du PIB du G20 qui s’élève à 78 286 milliards ! À titre de comparaison, il montre que pour les plans d’aide post Covid, les parlements allemand et américain ont voté respectivement les montants substantiels de 1 100 milliards d’Euros et de 2000 milliards d’USD !
De plus, il existe un fonds fiduciaire, pour compenser les pertes des institutions multilatérales, alimenté par les contributions des bailleurs de fonds et la vente des réserves en or du FMI. Il suffirait de vendre 6,7% de l’or détenu par le FMI pour financer les dettes totales des pays surendettés ! C’est donc possible mais il n’y a pas de véritable volonté politique de chercher des solutions. L’ISSD fait pâle figure à côté de ce qu’on pourrait réaliser.
De manière générale, la situation d’endettement des pays africains ne s’est pas améliorée. Pour l’Afrique subsaharienne, elle est passée de 665 milliards à 702 milliards de 2019 à 2020. Les bénéficiaires de l’ISSD ont reçu des prêts du FMI 13 fois supérieurs à la moyenne annuelle en mars 2022. Or ces prêts sont toujours conditionnés à des réformes antisociales, antipopulaires et au final favorables au capital privé international. Ainsi le Kenya a vu, en janvier 2021, ces dettes croître de 34,9 milliards à 38,1 milliards en un an, malgré une suspension de 209 millions, en raison de l’augmentation des créances privées. Le Niger est passé de 3,6 milliards en 2019 à 4,5 milliards en 2020, malgré une suspension de 16 millions.
Le cas du Ghana :
Dans son article « la dette menace l’Afrique »publié en février 2023, dans Afrique magazine, son auteur Cédric Gouverneur décrit la crise de la dette extérieure qui affecte le Ghana. Celle-ci représente plus de 80% de son PIB. Pourtant, ce pays était un élève modèle du libéralisme. Grand producteur de cacao, d’hydrocarbures, de pétrole et de diamants, son taux de croissance élevé attirait les investisseurs. Son dirigeant déclarait même libérer le pays de tout besoin d’aide. Mais aujourd’hui l’inflation de plus de 50%, la hausse du prix des combustibles, les répercussions de la pandémie et de la guerre en Ukraine ont complètement renversé la tendance. Après un renflouement de 3 milliards par le FMI, le Ghana a surpris la communauté internationale en annonçant unilatéralement une suspension de paiement d’une partie de sa dette dont les eurobonds, les prêts commerciaux à terme et la plupart des dettes bilatérales. Le 13 décembre 2022, il accepte un plan de restructuration de la dette assorti de mesures d’austérité craint par la population ghanéenne déjà fortement frappée par la récession.
Dans leur livre « Le Ghana, les dessous du miracle économique » publié en janvier 1999 par le GRESEA , Bruno Carton et Isabelle Guillet montrent que la croissance « exemplaire » du Ghana - qui affichait un taux moyen de 5% de 1983 à 1993, et au début une inflation limitée à 10% - cachait déjà les effets pervers de sa politique de libéralisation à tout vent et des ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale de 1980 à 1988. Ces auteur·ices ont démontré que des chocs extérieurs n’ont pas été les causes principales du déclin économique de ce pays, après une courte envolée économique saluée par la communauté internationale. Selon eux, l’orientation néolibérale des institutions internationales, imposée via le mécanisme d’octroi de prêts a largement contribué à ronger le potentiel de développement à long terme du Ghana. En effet, contrairement aux pays du Nord-Est asiatique qui ont pu maintenir une forte croissance économique après la phase de libéralisation économique, le Ghana, lui, ne disposait pas encore d’une assise productive industrialisée suffisamment forte, diversifiée et modernisée pour résister à la concurrence des transnationales étrangères lorsqu’il s’est libéralisé. Or avec les ajustements structurels, la production industrielle ne s’est pas déployée, au contraire, on a assisté à une reprimarisation de l’économie ! La production alimentaire s’est peu modernisée. Il y a eu un très faible transfert technologique. Par contre, la dépendance aux exportations de l’or, du cacao, du pétrole, aux produits de base et la hausse des importations se sont intensifiées et ont créé un déséquilibre de la balance des paiements, une détérioration des termes de l’échange qui sont toujours d’actualité. La dette s’est aggravée. L’augmentation du taux d’intérêt a intensifié le déficit et les mesures d’austérité ont pesé lourdement sur les revenus du plus grand nombre aussi bien dans les villes que dans les campagnes. La pauvreté, le chômage ont explosé. Depuis les réformes libérales, les recettes dépendent fortement des revenus fiscaux sur les transactions internationales et celles-ci chutent chaque fois que les prix mondiaux diminuent comme actuellement sous l’effet de la pandémie ou de guerre en Ukraine. Les petites entreprises locales, l’agriculture, le secteur social ont complètement été oubliés. La santé, l’éducation, les infrastructures, tout ce qui ne rapporte pas directement des devises est considéré comme un coût à réduire par tous les moyens indépendamment des besoins. Car il faut toujours plus de devises... pour rembourser prioritairement la dette. L’économie informelle augmente face à l’incertitude, malmenant sa main d’œuvre. Dans le secteur privé, ce sont les secteurs de l’immobilier, du transport, du commerce, dits de cycles courts, et quelques niches de services ou encore les rentes des mines qui sont favorisés, au détriment des activités générant des ressources à plus long terme.
Seules les grosses sociétés étrangères ont assez de liquidités en devises « vendues aux enchères » pour faire des offres sur des marchés complètement dérégulés... Donc ces libéralisations, privatisations et dérégulations ont profité et profitent toujours principalement aux plus grands investisseurs étrangers. Pour les attirer, le Ghana va même appartenir au Free Zones Board en votant une loi dans ce sens en août 1995. La condition pour en faire partie : que 70% du chiffre d’affaires soit lié à l’exportation ! Le Free Zones Board accorde aux investisseurs des exemptions fiscales ; les importations sont plus chères à cause des taxes mais par contre les exportations ghanéennes vers les USA et l’UE en sont exemptées. Les monopoles, les concentrations de capital, l’abattement fiscal sur les profits des entreprises privées rapatriés sont autorisés, encouragés. En outre, ce livre explique comment les conditionnalités associées aux prêts ont contribué à délégitimiser l’État, en le poussant à se désengager de ses prérogatives essentielles qui sont d’une part la gestion de la masse monétaire, des prix, des marchés, du service de la dette, l’administration des dépenses publiques et la gestion des mécanismes de formation des salaires et des prix, de la propriété des moyens de production. Les intérêts financiers et économiques internationaux priment sur les besoins sociaux nationaux et locaux. « Nous avons d’un côté des institutions internationales puissantes, sans responsabilité, et de l’autre des institutions nationales, responsables devant le corps social, mais au pouvoir fortement affaibli » face aux bailleurs de fonds internationaux ou privés. La démocratie est menacée. À cela s’ajoute encore le constat que la part d’assistance technique du FMI et de la Banque Mondiale dans le PIB de l’Afrique a doublé de 1980 à 1987 et qu’elle devient parfois supérieure à la masse salariale de la fonction publique de certains pays (c’était le cas de la Tanzanie à cette époque-là). On assiste à un transfert de souveraineté dangereux accentuant la dépendance et donc la vulnérabilité des pays africains par rapport aux perturbations extérieures...
Nous replonger dans ces explications sur l’impact des politiques d’ajustements structurels nous aide à analyser la crise de la dette actuelle du Ghana et de nombreux pays africains, d’un point de vue plus structurel et pas uniquement sous l’angle de vue de la BAD, des institutions internationales qui sous le couvert d’une adaptation à l’urgence climatique et environnementale tenterait de nous faire oublier les origines, les facteurs aggravants et les conséquences désastreuses du système dette qui est leur raison d’être, qu’elles entretiennent, qui est, rappelons-le, le moteur de leur pouvoir et de leur enrichissement. L’exemple du Ghana nous permet aussi de mettre en lumière un autre problème lié aux mécanismes des dettes. Le risque de voir se multiplier les activités spéculatives criminelles de certains acteurs privés peu scrupuleux et en particulier des Fonds vautours.
Selon Arnaud Zacharie,secrétaire général de la coupole d’ONG belges CNCD « Quand un pays comme le Ghana demande un allègement de paiement, il doit avoir l’accord de tous ses créanciers, occidentaux, FMI, Banque mondiale et créanciers privés. Comme il n’y a pas de cadre multilatéral pour imposer un allégement de la dette à tous les créanciers, il se trouve toujours des créanciers privés qui jouent des rôles de passagers clandestins. Ils cherchent à tirer profit de l’allègement accordé par une partie des créanciers qui donne un peu d’oxygène financier aux pays surendettés. Et certains créanciers privés attaquent en justice ce pays pour qu’il les rembourse en intégralité ».
Les emprunts ne cessent d’augmenter entre autres pour rembourser les créanciers privés. Jubilée Debt Campaign explique comment ces derniers ont le plus indirectement bénéficié de l’ISSD bien qu’ils l’aient rejeté, qu’ils ne participent pas à ces opérations, tout comme ils sont réticents aux restructurations de dettes proposées dans le cadre du Cadre Commun.
2. Le cadre commun du G20
Le Cadre commun a été accordé par le Club de Paris et le G20 en novembre 2020 pour le traitement de la dette au-delà de l’ISSD. C’est un cadre multilatéral pour le traitement des dettes des pays éligibles à l’ISSD. Il promeut l’échange d’une grande partie de la dette dans le cadre d’une restructuration. Ce cadre permet la renégociation de l’ensemble des dettes extérieures des pays surendettés (15 pays sur 38 sont considérés comme à risque élevé de surendettement). Pour l’instant, seuls le Tchad, l’Éthiopie et la Zambie ont demandé une restructuration de ce type en octobre 2021. L’enveloppe de restructuration à allouer est fonction de l’analyse de viabilité de la dette par le FMI. Il impose des conditionnalités. Il permet un traitement global de la dette publique et privée. La Chine et l’Inde y participent largement mais c’est ouvert également au secteur privé. Les négociations sont réalisées avec une comparabilité des traitements et au cas par cas, ce qui n’attire pas beaucoup les pays débiteurs.
Ce dispositif a moins d’impact négatif sur la note de crédit des agences ce qui facilite l’accès aux marchés financiers internationaux (même si dans les faits seulement 60% des pays africains sont notés). De plus, il s’adresse aussi au secteur privé ce qui n’est pas le cas de l’ISSD. Par contre, il n’y a pas de garantie contre les pertes mais il peut y avoir renégociation des conditions de la dette en cours de route.
Critique :
Selon le FMI, on constate un problème de coordination entre les institutions et les gouvernements de la Chine et de l’Inde. Au Tchad on constate un retard des créanciers privés ce qui implique une complexification de la restructuration de la dette garantie. Il n’existe pas de clauses d’action collective il faut donc chaque fois recueillir le consentement de chaque créancier et de chaque débiteur pour toute modification contractuelle. Une réforme de ce Cadre Commun est déjà en cours.
Pour le CADTM, ce dispositif est inefficace en raison du manque d’intérêt des débiteurs et principalement du peu d’implication du secteur privé dans les restructurations alors que se sont les banques commerciales, les détenteurs d’obligations et autres créanciers privés extérieurs les détenteurs de dettes majoritaires.
D’après les propos d’ Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD, en janvier 2023, « l’instauration d’un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette, sur base des principes définis dans la résolution adoptée en septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations Unies, permettrait aux Etats en défaut de paiement de négocier dans un cadre équitable et transparent des accords de restructuration de leur dette qui s’imposent à tous les créanciers et qui empêchent les pratiques de passagers clandestins des « fonds vautours » qui cherchent à tirer profit de la situation. Mais un tel mécanisme multilatéral, proposé depuis le début des années 2000, n’a toujours pas vu le jour ».
Signalons qu’une carte blanche signées par de nombreuses ONG, associations et syndicats en Belgique est sortie dans le Soir le 12 juin 2023 sur « La nécessité d’une loi pour impliquer les banques dans les allègements de dettes ». Elle affirme que les Etats ont les moyens d’agir immédiatement pour limiter le fait qu’indirectement, des allègements de dettes publiques servent à rembourser des créanciers privés (dont les « fonds vautours ») qui ne veulent faire aucune concession en faveur des pays surendettés et qui mêmes parfois spéculent sur leurs retards de paiement pour maximiser les profits. En effet, les parlements peuvent adopter des lois pour empêcher les pays confrontés au surendettement d’être poursuivis par des créanciers privés pour une somme supérieure à celle que ces créanciers auraient reçue s’ils avaient participé à la restructuration de la dette. L’existence de telles lois inciterait ainsi les banques à coopérer aux opérations d’allègement de dettes...
L’article montre que la Belgique a quatre raisons de vouloir légiférer en ce sens : premièrement, les Objectifs de Développement Durable auxquels elles s’est engagée, sont compromis par cette attitude du secteur privé ; deuxièmement, les tribunaux belges ont déjà été saisis par des créanciers privés contre des États ; troisièmement, plusieurs grands créanciers privés ont leur siège social en Belgique et pratiquent des taux d’intérêt usuriers avec un taux de 24 % ; quatrièmement, les contribuables de Belgique sont également impactés car l’ absence de coopération des créanciers privés a pour conséquence qu’ils sont, dans les faits, subsidiés par les États créanciers avec de l’argent public puisque les banques ne peuvent être payées par les pays en détresse financière que parce que certains États allègent une partie des dettes. Plusieurs propositions législatives contre les fonds vautours sont déposées dans des parlements ou sont en cours d’élaboration. La loi belge sur les fonds vautours adoptée le 12 juillet 2015, est un beau précédent, une loi pionnière au niveau mondial. La Cour constitutionnelle lui a donné raison en 2017 contre un Fonds vautour qui l’a attaquée en 2015. La France a adopté à son tour en 2016 un dispositif juridique « anti-fonds vautours »...Une nouvelle loi est actuellement en préparation à la Chambre pour faire participer de manière équitable les créanciers privés aux allègements de dettes.
Le cas du Tchad :
Selon Moutiou Adjibi Nourou dans son article publié en le 11 juillet 2022 sur le site d’Ecofin, au Tchad, « le FMI maintient la pression sur Glencore pour un accord de restructuration de la dette ». Le groupe anglo-suisse Glencore possède des actifs pétroliers dans le pays et détient 1 milliard sur les trois milliards de dettes dues par le Tchad. C’est lui qui fait obstacle à la négociation avec les autres créanciers d’après le FMI. Apparemment, l’acteur privé chercherait à obtenir des « échanges » avec le gouvernement tchadien mais pour des raisons inconnues ceux-ci n’ont pas encore abouti et le processus est bloqué depuis début 2021 alors que le Tchad est l’un des pays les plus pauvres du monde, que sa situation économique et financière continue de se dégrader à la suite des chocs combinés de la pandémie de Covid-19, de la baisse des prix du pétrole, du changement climatique et des attaques terroristes. « La classe dirigeante tchadienne n’a-t-elle pas une quelconque responsabilité dans la situation du Tchad ? » s’interroge Jean Nanga . « Ne serait-elle pas concernée par les “biens mal acquis ? » L’ONG suisse SWISSAID avait produit, en 2017, un rapport intitulé Tchad SA. Un clan familial corrompu, les milliards de Glencore et la responsabilité de la Suisse (qui n’est plus disponible en ligne), dans lequel il est écrit, concernant les recettes pétrolières : « il y a des investissements inefficaces dans des projets de prestige, la corruption et le népotisme fleurissent, une élite politique s’enrichit et se cramponne au pouvoir pendant qu’une grande partie de la population reste pauvre ».
3. L’allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) par le FMI
650 milliards d’USD non remboursables viennent gonfler les réserves des pays et consolider les amortisseurs externes. Mais finalement, seulement 21 milliards bénéficieront aux pays à faible revenu. En effet, ce que le rapport de la BAD ne révèle pas, c’est que le système d’allocations ne fonctionne pas suivant la logique 1 pays, 1voix mais plutôt 1 dollar, 1 voix c’est-à-dire que les sommes attribuées sont évaluées proportionnellement au poids financier économique mondial de chaque État, peu importe les besoins ou la grandeur de la population ! Ainsi, sur les 118 milliards de USD alloués en août 2021, les USA, le Japon, la Chine et l’Allemagne ont reçu chacun 43 milliards d’USD alors que toute l’Afrique n’a reçu que 33 milliards pour ses 54 pays !
De surcroît, dans les cas du Congo, de la Guinée, du Tchad, de Malawi, de la Mauritanie, la totalité de leur allocation n’a servi qu’à rembourser la dette du FMI !
Face à cette situation paradoxale, quelques pays se sont engagés à verser, en prélevant des intérêts, de 45 jusqu’à 100 milliards USD des DTS qu’ils ont reçu gratuitement aux pays à faibles revenus de l’Afrique. C’est le cas de la France pour le Soudan.
En octobre 2022, comme les pays africains demandaient la rétrocession de DTS de 20 à 25% pour accéder à la vaccination, lutter contre l’extrême pauvreté et accompagner les banques régionales et multilatérales de développement par rapport à la pandémie un fonds fiduciaire pour la résilience et la viabilité a été opérationnalisé en octobre 2022 par le FMI. Il finance surtout à long terme les pays à faibles revenus, les îles, les régions vulnérables en raison du déficit de leur balance de paiement. La BAD et les banques multilatérales utilisent ces DTS octroyés par le FMI pour octroyer des financements aux banques ainsi que de nouveaux prêts concessionnels.
Dr Ange Ponou, spécialiste en économie financière, nous explique dans un article du 13 octobre 2022, sur le site de Sikafinance que ce fonds dispose actuellement d’une dotation initiale de 15,3 milliards de DTS (20 milliards de dollars) émanant de dons de certains pays membres comme l’Allemagne, l’Australie, l’Espagne, la Chine, le Canada et le Japon. À terme, il devrait être porté à 29 milliards de DTS, soit 37 milliards de dollars. Il a pour vocation d’aider les pays à renforcer leur résilience face aux changements climatiques, aux pandémies afin qu’ils préservent leur stabilité économique et financière à plus long terme tout en mobilisant d’autres financements publics ou privés. Ces prêts auront une échéance de 20 ans, assortis d’une période de grâce de 10 ans et demi et bénéficieront aux pays à faible revenu et aux pays à revenu intermédiaire admissibles.
4. Le fonds d’assistance technique (FDG et FAD)
On a bien compris que le rôle de la BAD est d’éviter les défauts de paiement en série pour surendettement. Néanmoins, malgré tous ces efforts, son efficacité est faible et les résultats décevants, comme le rapport le reconnaît lui-même. Pour eux, le problème vient bien évidemment de « la gouvernance défectueuse des États ». Des réformes structurelles sont nécessaires. La difficulté de mobiliser le secteur privé dans le cadre commun est tout de même pointée puisque ce sont le plus généralement des prêts officiels de gouvernements à gouvernements qui sont observés.
La BAD critique la solidité des institutions publiques nationales et réclame plus de transparence sur la dette et la couverture de la dette des entreprises publiques. C’est aussi l’occasion pour elle de rappeler à quel point son assistance technique est indispensable et de proposer une nouvelle stratégie de gouvernance économique pour 2021-2025 avec la création de fonds d’assistance technique pour les pays à revenus intermédiaires, afin de renforcer les capacités nationales, mieux contrôler les administrations fiscales pour lutter contre l’endettement. Un fonds d’affectation multidonateurs et un fonds de la facilité de gestion de la dette (FGD), chargé d’encadrer les allègements et restructurations de dettes des PMR ainsi que de former et conseiller les différents acteurs sont constitués.
Le Fonds Africain de Développement (FAD), est le guichet de prêt à taux concessionnels du groupe de la BAD depuis 1974. Il est administré par la BAD et est constitué d’États participants (les pays donateurs) et de ses 40 pays bénéficiaires dans le but de réduire la pauvreté dans les pays membres régionaux (PMR) en fournissant des prêts et des dons à des projets et par son assistance technique. Dans sa 14e version, il consistait en un investissement de 45 milliards de USD pour des financements concessionnels accordés à 37 pays. Le dernier FAD couvrant la période de 2020 à 2022 ne s’élève plus qu’à 7,8 milliards d’USD.
Critique :
Cette assistance technique, cet encadrement et les montants qui y sont alloués se justifient par la BAD car ils semblent apporter des solutions aux problèmes de gouvernance des États africains qui serait un élément explicatif majeur du surendettement des pays africains selon leur point de vue. Le CADTM n’ignore pas les difficultés de gestion, de manque de transparence et l’important problème de la corruption des autorités publiques et de fonctionnaires en Afrique.
Néanmoins, une des raisons de ces problèmes de gouvernance publique est justement l’affaiblissement des États, de plus en plus sous alimentés financièrement, délégitimisés et à qui les institutions internationales ôtent de plus de plus de prérogatives, à travers leurs plans d’ajustements structurels. En effet, ceux-ci s’attaquent aux États lorsqu’ils soutiennent les privatisations, les dérégulations, des coupes drastiques des dépenses publiques, lorsqu’ils imposent à leur place, en se substituant à leur souveraineté, des choix monétaires, des orientations économiques, financières, commerciales et politiques néolibérales impopulaires, indépendamment des votes des électeurs, en contradictions avec les besoins urgents exprimés par une grande partie de la population. Ils vident de leur sens les élections démocratiques ce qui ouvre la voie à des tendances plus extrêmes et radicales qui récoltent un certain succès.
En plus, le secteur privé international s’enrichit et corrompt les haut-fonctionnaires, de plus en plus sous-payés, pour qu’ils ne disent rien. Il les mêle à leurs « affaires » pour qu’ils ne les dénoncent pas, dans une politique de laisser-faire souvent complice d’agissements criminels, auxquels des membres des gouvernements participent plus ou moins activement ou qu’ils encouragent selon les cas. La corruption se généralise, à tous les échelons et dans tous les secteurs.
Remarquons tout de même que dans le rapport de la BAD, rien n’est proposé par les institutions internationales pour contraindre, mieux encadrer, améliorer la gouvernance et la transparence, mieux canaliser les pratiques peu éthiques et écologiques du secteur privé, des investisseurs, des banques et transnationales. Pourtant, certains de ces acteurs sont dangereux, bien plus responsables de détournements massifs d’argent, via les pratiques courantes d’optimisation ou d’évasions fiscales, de dumpings social, fiscal et écologique. Nous avons vu qu’ils sont capables de destruction de l’environnement et de violations de droits humains et qu’ils jouissent encore aujourd’hui d’une inacceptable impunité. Au contraire, la BAD invite largement le secteur privé, sans distinction et sans réglementation commune aboutie, à investir pleinement dans ses nouveaux instruments financiers. Elle ouvre tout grand la porte à une spéculation débridée sur les capitaux naturels mondiaux, capitaux cruciaux dont la valeur boursière risque de grimper au fur et à mesure qu’apparaîtront des carences, des conflits géostratégiques pour les maîtriser et que les crises écologiques et climatiques s’imposeront comme des urgences dans nos imaginaires collectifs.
Parfois dans un pays africain l’assistance technique extérieure est mieux rémunérée et écoutée que l’ensemble de la fonction publique ; cela crée un déséquilibre et représente une forme d’ingérence et de menace pour la souveraineté des États africains.
L’assistance technique fait plus que conseiller les plus hauts-décideurs d’Afrique. Ses orientations ne sont pas « neutres » politiquement. Or elle n’a pas été élue démocratiquement pour imposer ses choix comme des évidences techniques et scientifiques dans des pays qui ne partagent pas forcément ses crédos économiques et financiers et qui en pâtissent le plus souvent. En imposant des formes et des procédures incontournables, une logique à elle, une complexité terminologique et technique de plus en plus lourde à utiliser et qu’il faut pourtant maîtriser pour bénéficier d’évaluations positives et avoir accès aux prochains financements, elle se rend de cette manière indispensable et lance régulièrement des nouvelles modes, des méthodologies, des styles de managements, des concepts et des terminologies spécifiques à bien si l’on veut accéder aux hautes sphères du pouvoir international et espérer bénéficier de ses prétendues largesses.
5. Le mécanisme africain de stabilité financière (MASF)
Il y avait un Mécanisme Européen de Stabilité, un Fonds Monétaire Arabe et un Fonds de Réserve pour l’Amérique du Sud. L’équivalent africain, le MASF offre aux pays africains un nouveau cadre de résolution des crises de la dette « plus rapide, moins coûteux pour les débiteurs et les créanciers ». Il permettrait de mutualiser les fonds et d’éviter les débordements en cas de crise externe.
Voici quelques réactions dans la presse africaine qui acclament la création du MASF : « Le système financier international ne répond pas aux besoins du continent africain, surtout en cette période de crises. Dès lors, les gouvernements africains ont évoqué mardi à Accra, au Ghana, la mise en place d’une plateforme leur facilitant un accès d’urgence à des liquidités ». Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD) a expliqué les besoins financiers énormes dont l’Afrique a besoin pour faire face aux crises sanitaires, alimentaires et environnementales. — © NIPAH DENNIS / AFP
« Les graines d’un mécanisme africain de stabilité ont été semées mardi lors de l’assemblée annuelle de la Banque africaine de développement (BAD) qui a lieu du 23 au 27 mai à Accra, capitale du Ghana. A l’image du Mécanisme européen de stabilité mis en place lors de la crise de la dette grecque, cet instrument africain viendra en aide aux pays ayant un besoin urgent de liquidités. L’objectif n’est pas de boycotter le Fonds monétaire international (FMI) qui est le dernier recours pour les pays en difficulté. Il s’agit plutôt de se donner les moyens d’éteindre les incendies de façon rapide, sans attendre les pompiers de Washington. » Publié par Ram Etwareea, à Accra, au Ghana, le 24 mai 2022
« La plupart des pays africains pâtissent de taux d’intérêt élevés qui bloquent leur développement » expliquent Christian de Boissieu, professeur émérite à l’université de Paris-I et vice-président du Cercle des économistes, et Jean-Hervé Lorenzi, chroniqueur et président du Cercle des économistes. « La mise en place d’un Mécanisme africain de stabilité financière permettrait, parmi d’autres mesures, de les aider à augmenter leur résilience face aux crises. »
Le 18 mai 2022« Les pays africains souffrent de taux d’intérêt excessivement élevés qui entravent leur développement. Avec, à la clé, une vulnérabilité excessive face aux incertitudes et un coût du capital souvent rédhibitoire. Renforcer la stabilité financière implique d’améliorer la résilience des économies du continent, leur capacité à résister aux chocs. » « D’autre part, il est nécessaire de réduire les coûts de financement des investissements, en envoyant aux investisseurs des signaux qui correspondent mieux au contexte de l’Afrique ».
Pourtant, dans le cadre de la crise de la dette grecque, Éric Toussaint, porte-parole du CADTM a pu démontrer en quoi le Mécanisme de Stabilité Européenne a joué un rôle pervers c’est-à-dire qu’il n’a pas servi aux populations européennes menacées par les crises mais bien aux banques privées, principales responsables de l’endettement des États, qui ont pu grâce à lui être remboursées en priorité et en grande partie par l’argent tiré des plans d’austérité draconiens imposés aux populations lésées. Il écrit dans « le FESF et le MES contre les peuples » :
« En collaboration avec le FMI, la Commission européenne a plié et a octroyé via le fonds européen de stabilité financière (FESF) et le mécanisme européen de stabilité (MES) des prêts à certains Etats membres de l’Eurozone (la Grèce, l’Irlande, le Portugal et Chypre) afin qu’ils puissent en priorité rembourser les banques privées des pays les plus forts de l’UE. Elle n’a donc pas respecté à la lettre l’article 125 du Traité de Lisbonne cité plus haut. Mais elle a respecté l’esprit néolibéral du Traité : en effet le FESF et le MES empruntent sur les marchés financiers les moyens financiers qu’ils prêtent aux Etats."
Jean Nanga soutient la position d’Éric Toussaint et renchérit en rappelant que si les États africains (54 sur les 81 actionnaires) détiennent la majorité absolue des parts (52,7 %) de la BAD, parmi les dix premiers actionnaires figurent les États-Unis d’Amérique (2e, après le Nigeria), le Japon (3e), l’Allemagne (7e), le Canada (8e) et la France (9e). Parmi les 20 premiers, s’ajoutent l’Italie (13e), le Royaume-Uni (16e), la Suède (18e), la Suisse (19e)" comme le précise l’ État des souscriptions et des pouvoirs de vote au 30 septembre 2021, publié par la BAD le 09 novembre 2021. Les ressources de la BAD proviennent aussi, entre autres, des marchés financiers internationaux. Et, il s’agit, comme le dit déjà le titre de l’article de De Boissieu (prêtre de la financiarisation, supposé co-inspirateur, avec le ministre sénégalais des Finances, Kane, dudit mécanisme) et Lorenzi, de financiariser davantage les économies d’Afrique. Il ne fait presque aucun doute que le MASF s’est bien inspiré du FESF et ne sera pas moins contre les peuples...
6. La facilité africaine de soutien juridique (ALSF)
Elle devrait permettre de conseiller et de mettre en œuvre des allègements et restructurations de dettes adaptés à chaque pays africain. En Guinée-Bissau, elle a négocié une importante remise de dettes privées qui est passée de 50 millions d’USD d’obligations à 5 millions d’USD. En Gambie, elle a permis une restructuration de la dette commerciale suite à une analyse de viabilité de la dette (AVD) et a mis en place une Stratégie Générale de Dette à Moyen Terme (SGDTM). En Somalie, elle a négocié avec le Club de Paris un allègement de 1,4 milliards d’USD selon une initiative proche de l’initiative PPTE.
Selon le rapport de la BAD, dans son Plan d’Action sur la Dette (PAD) de 2021 et 2023, l’ALSF veut coordonner les agences multilatérales et revenir à une trajectoire de développement vert, résilient et inclusif. Pour cela, elle veut établir un dialogue à différents échelons : national, régional, continental et international ; accroître les financements à faible coût et risque, améliorer la soutenabilité des dettes ; mieux gérer les dettes publiques, avec plus de transparence ; réduire la dépendance des pays PMR surendettés par rapport à leur dette extérieure en tenant compte de leurs fragilités spécifiques. Ainsi, elle propose des obligations de dette indexées à la sécurité pour les pays perturbés par les conflits et violences, des prêts adossés aux ressources naturelles pour les pays qui en disposent d’importantes à conserver et enfin des échanges dette-climat pour ceux qui sont déjà confrontés aux conséquences du réchauffement climatique ou qui sont menacés d’une perte importante de biodiversité. Ce genre d’ échanges ne sont pas nouveaux. Dans les années 1980 et 1990, de nombreuses remises de dettes ont été conditionnées à des investissements en reforestation « pour protéger la biodiversité et les peuples autochtones ».
Enfin plusieurs pays africains ont accepté des échanges dette-nature conclus avec des créanciers commerciaux et bilatéraux. « Le Cameroun et le Mozambique en ont négocié avec le gouvernement français, Madagascar avec des banques commerciales françaises et l’Allemagne ; la Tanzanie avec des banques commerciales russes et la Zambie avec diverses institutions privées ».
7. Les échanges dette-nature
a) Succès limité dans le temps et importance peu significative des échanges dette-nature/climat (ou SWAPS) Cette invention de Thomas Lovejoy du WWF, a été appliquée pour la première fois par l’État Bolivien en 1987 qui dans une période d’importante difficulté budgétaire, a négocié avec le Conservation International (CI) une remise de dette afin d’orienter les dépenses nationales vers des actions de conservation de l’environnement.
Les Swaps bilatéraux ont connu leur plus grand succès de 1990 à 1994.
On compte 25 à 30 opérations de ce type brassant au total 600 à 700 millions d’USD par an. Rien qu’en 1994, plus de 25 échanges dette-nature ont été signés pour plus de 600 Millions d’USD. De 1990 à 1991, 15 à 20 allocations du fonds environnement sont aussi concédées ce qui représente 400 millions d’USD. Les swaps multipartites apparaissent plus tardivement et ont toujours été moins nombreux et concernant des montants plus limités (entre 5 et 10 et entre 100 et 150 millions par an).
Après 1994 toutes ces initiatives diminuent drastiquement.
En effet, après cette année, d’autres sources d’allègements comme l’initiative PPTE attirent davantage les pays surendettés. Car il faut bien comprendre qu’un pays préfère toujours une annulation définitive d’une grande partie de sa dette extérieure. En outre, lorsque la procédure de décaissement est libellée en devises étrangères dans un contexte inflationniste, cela n’arrange pas les pays débiteurs qui peuvent pâtir d’une dépréciation rapide du fonds pour l’environnement. Enfin, les premiers échanges dettes-natures n’ont pas permis d’allègements significatifs de la dette à long terme même s’ils suscitent une légère stimulation positive pour des projets bénéfiques à l’environnement.
Depuis la Cop20 en 2012 et surtout depuis la COP26 et le plan de « Relance Verte », on constate un regain d’intérêt pour ces pratiques. Néanmoins, entre 2013 et 2015 leur nombre ne dépasse pas les 5 par an pour des sommes de moins de 100 millions. C’est surtout en Amérique latine que des opérations de ce genre ont été effectuées avec la participation des États-Unis. Les intermédiaires choisis étaient souvent des ONG internationales qui rachetaient la dette avec le financement de leurs donateurs à un prix inférieur en échange de la mise en place d’un fonds de conservation de l’environnement local. C’est une forme d’annulation volontaire d’une partie de la dette par des créanciers.
En 2021, THE NATURE CONSERVANCY (TNC) réalise un swap de grande envergure avec Belize en échange d’obligations bleues en faveur de la conservation des océans. Ce qui encourage à appliquer ce système à une plus grande échelle. Selon le rapport de la BAD, cela aurait permis une diminution de dettes et une plus large marge de manœuvre pour le gouvernement de Belize dans ses futurs choix budgétaires.
Voir le tableau récapitulatif des Échange dette-nature et son commentaire p26-27 du rapport de la BAD
b) Définition générale des échanges dette-nature
Il faut tout un glossaire (voir le glossaire de la dette du SYGADE publié par la CNUCED) pour en expliquer les différentes formes et en uniformiser les définitions car différentes réalités se cachent derrière ce terme générique ce qui contribue à « brouiller les pistes », d’autant plus que les négociations sont souvent très discrètes et les dispositifs complexes et peu transparents.
Définition générale :
Un SWAP est une technique d’allègement de la dette qui altère la valeur initiale ou la nature des instruments de prêt. Elle consiste en général en une réduction de la dette souveraine par un créancier en échange d’une action en faveur de l’environnement de la part du pays débiteur. La réduction peut être réalisée directement par le créancier, comme dans les échanges bilatéraux officiels mais parfois la partie de dette est rachetée avec une décote par une organisation qui se présente comme donatrice (souvent une ONG spécialisée dans l’environnement) comme dans les échanges multilatéraux. Ils visent à lier les dettes à des résultats environnementaux. Ils consistent en une réduction, avec la création d’un fonds de conservation financé et géré localement et des engagements politiques de haut niveau. Il en existe de deux sortes : des accords bilatéraux entre débiteurs et créanciers et des accords multilatéraux dans laquelle la dette est rachetée avec une décote par un ou plusieurs entités qui se présentent comme philanthropiques mais il s’agit souvent d’opérateurs privés à but lucratif ( des banques commerciales , une série d’ intermédiaires privés obscures et non régulés. ) Une partie de l’économie réalisée est réaffectée aux efforts de conservation sous le contrôle d’organisations qui n’impliquent pas forcément les gouvernements ou les collectivités territoriales concernées ( ce qui pose question quant à la perte de leur souveraineté et du caractère démocratique).
Cette structure est plus souple et peut coexister à d’autres opérations de dettes favorables au climat et à la nature. En principe, « toutes les parties doivent tirer avantages de l’opération, les débiteurs comme les créanciers et intermédiaires ». Mais il faut bien comprendre que les États au bord du défaut de paiement ne sont pas vraiment en position de force pour défendre leurs intérêts et leur biodiversité devient une valeur cotée en bourse qui attire de plus en plus d’acteurs privés qui peuvent tirer profit de la spéculation sur les ressources naturelles à l’heure de l’urgence climatique.
c) Échanges bipartites ou bilatéraux
Actuellement, ils concernent surtout les échanges officiels justifiés (de gouvernement à gouvernement ou de gouvernement à groupe organisé de gouvernements comme le Club de Paris). Ce sont principalement les USA qui en sont les instigateurs encouragés par différents instruments comme les Initiatives Entreprises par les Amériques, suivies par La loi sur la conservation de la forêt tropicale (TFCA) en 1998 puis la Conservation des forêts tropicales et des récifs coraliens en 2019.
d) Un cas d’échange bipartite de dette-nature au Botswana
« En 2006, un échange dette-nature TFCA bipartite s’est conclu au Botswana. Il aurait permis, selon la BAD, l’annulation de 8,3 millions d’USD de dette bilatérale par le gouvernement américain en échange de la facilitation de l’octroi de subventions pour la conservation des forêts tropicales, financées par les économies réalisées sur la dette. Le Botswana devait constituer un Fonds de 10 millions d’USD dont 7 millions apportés par les USA en faveur des forêts. Le reste des économies réalisées sur le flux de la dette a pu être réinvesti aux autres dépenses publiques générales ». Nous ne disposons que de très peu d’informations à ce sujet et n’en connaissons pas l’impact réel. S’agit-il d’un effet d’annonce publicitaire ou bien cette opération est-elle vraiment un succès prometteur ?
e) Échange de dette-nature multipartite
Il arrive que des tiers interviennent dans le rachat d’une partie de la dette souveraine auprès des créanciers initiaux ou actuels surtout pour des dettes commerciales cotées en bourse. C’est le cas d’ONG environnementalistes comme CI, TNC, WWF, de banques de développement, ou de groupes de plusieurs institutions présentées comme donatrices, qui se coordonnent pour une même opération. Toute institution, ONG ou banque de développement, peut octroyer des financements à un ou plusieurs créanciers pour ce type d’opération. On peut concevoir ce genre d’échange multipartite avec uniquement des créanciers officiels. Un Etat pourrait accorder une aide financière à un autre créancier pour une telle opération.
Les Seychelles, illustrent bien ces échanges dettes-nature multipartites : « les obligations bleues ont été facilitées par l’ONG TNC ce qui a permis au gouvernement des Seychelles de renégocier sa dette avec le Club de Paris en favorisant en contrepartie la conservation du milieu marin ».
Les avantages pour les créanciers sont une publicité verte (dans certains cas, c’est l’effet principal poursuivi, et il s’agit en réalité d’un greenwashing mensonger) en plus de la perspective de récupérer des fonds dans l’immédiat de la part d’un instrument devenu trop risqué. Pour les débiteurs, on leur laisse miroiter une plus grande flexibilité de la structure adaptable aux situations spécifiques, l’amélioration de la viabilité de la dette ( ce qui dépend du montant de la somme réduite – souvent très petite- ou du délais accordé, des conditionnalités et surtout du taux d’intérêt appliqué ) dont la note ( bien qu’en général le FMI et les agences de notation ne tiennent pas compte de ces accords pour améliorer la cote de solvabilité des pays surendettés bien au contraire) et permet le maintien à plus long terme d’une politique de développement durable du gouvernement ( ce qui n’est pas prouvé car il n’y a pas de planification précise avec mesure d’impact contraignante ni de contrôle possible via les élections ou via un organe publique indépendant assortis au dispositif et les négociations ne sont pas rendues publiques) . Néanmoins, la BAD admet qu’ il faut qu’ils concernent des montants suffisamment importants pour permettre que les économies réalisées autorisent une plus grande marge de manœuvre pour d’autres dépenses des pays débiteurs.
Ces échanges ont eu un impact très restreint jusqu’à présent.
D’après le rapport de la BAD, depuis 1987, la valeur nominale totale de la dette traitée par des échanges dette-nature bipartites et multipartites dans le monde se limite seulement à 3,7 milliards d’USD dont à peine 318 millions pour l’Afrique. Malgré tout, cela pourrait avoir un effet de publicité et de sensibilisation médiatique stimulant pour l’écotourisme, selon la BAD.
De plus il est très difficile d’en mesurer les résultats au niveau macroéconomique à long terme mais il semble d’ores et déjà que les échanges aient peu d’effets sur les bilans réels des pays bénéficiaires. Pour Belize, cependant, toujours selon la BAD, « si l’échange n’a pas complètement rétabli la viabilité de la dette, l’unique obligation souveraine de Belize qui représentait 1/3 de son PIB a été substituée, à un instrument moins lourd et contraignant offrant une marge de manœuvre plus importante au gouvernement et une capacité à convaincre des créanciers privés à faire plus de concessions ». Cela mériterait une enquête. Ces échanges pourraient-ils être transposables en Afrique à plus large échelle, avec des sommes plus importantes ?
En Afrique, vu le risque de défaut de paiement généralisé, il est possible de convaincre des créanciers « qu’il vaut mieux recevoir moins mais à très court terme et en monnaie locale ou en espèce plutôt que de ne plus rien recevoir du tout ou d’obtenir peu à trop long terme. » En évaluer l’effet sera compromis pour plusieurs raisons : le montant alloué à la conservation n’est pas toujours égal à la valeur nominale de la dette ; la réduction varie d’une transaction à l’autre : par exemple, à Belize la réduction est de 55 cents pour 1USD alors qu’elle est de 93,5 cents pour les Seychelles ; les taux d’intérêts appliqués diffèrent également ainsi que la durée des échéances.
Même s’ils apportent plus de flexibilité budgétaire aux États, il ne s’agit pas d’annulation de dettes et les encours de la dette reste largement inchangés. Finalement l’enveloppe allouée à l’environnement reste insuffisante. La BAD espère néanmoins qu’avec les engagements politiques et la publicité, ils contribuent à faire croître les fonds de conservation, les financements pour des résultats plus importants. Cependant, cet effet moteur n’est qu’hypothétique et pour l’instant, non démontré.
La difficulté réside à trouver des créanciers disposés à payer pour ces résultats par
rapport à l’environnement ou le climat ainsi que des débiteurs intéresser à s’y engager.
Ne sont pas inclues dans ce montant les dettes envers les créanciers multilatéraux privilégiés peu susceptibles d’envisager ce genre d’opérations d’annulation. C’est plus facile évidemment pour les dettes bilatérales avec des créanciers souverains officiels, comme les prêteurs du Club de Paris et les gouvernements qui se sont engagés dans la COP 26 à mobiliser des fonds pour le climat et la nature. Les créanciers commerciaux y voient moins d’intérêt sauf si leurs créances sont en trop grande souffrance et qu’ils risquent de tout perdre.
Du côté des débiteurs, cela peut sembler utile pour ceux qui sont déjà à risque élevé d’être en défaut de paiement mais pas pour les autres qui peuvent craindre que le recours à ces opérations nuise à l’appréciation de leur solvabilité, à la dégradation de leur note avec pour conséquences désastreuses une augmentation du coût des emprunts futurs et une difficulté d’accès aux marché internationaux. Dès lors, la plupart cherchent d’autres moyens de financement.
Dans le cas de l’Échange dettes nature des Iles Galapagos, le CADTM grâce au réseau sud-américain LATINDADD, a mis en évidence les risques importants de ce système, tel qu’il a été négocié en Équateur.
Malheureusement, il n’y a pas de raisons d’exclure que les dérives et travers dénoncés dans le cas de l’échange dette-nature aux Galapagos ne puissent pas se retrouver dans les échanges dette-nature en Afrique. Il faut bien sûr vérifier minutieusement, au cas par cas, mais les dangers existent.
Quels sont les points inquiétants qui méritent une mise en garde ?
Tout d’abord, tout se passe toujours en contexte de risque de faillite où les gouvernements surendettés et leurs créanciers sont prêts à tout pour éviter que le bateau coule et où les protections des pays concernés sont particulièrement fragilisées. Les dirigeant·es ont besoin de redorer leur blason et la cause climatique est très populaire internationalement pour l’instant.
Ensuite, on parle d’annulation de dettes alors qu’il ne s’agit que de très faibles réductions de dettes voire seulement de suspensions avec des taux d’intérêt variables. Donc en prétendant alléger, on ne fait que stigmatiser, et entretenir la dépendance et le système d’endettement sur le plus long terme. Les sommes libérées sont non seulement insignifiantes par rapport au problème de l’endettement du pays mais en plus les investissements concédés pour le fonds de conservation restent insuffisants pour la protection naturelle des territoires concernés.
D’ailleurs le FMI ne tient pas compte de ces conversions dans la manière dont il comptabilise la dette publique des pays et lorsque ceux-ci ont recours à des swaps, cela nuit à leur cote de solvabilité sur les marchés internationaux, en ayant un impact négatif sur les taux d’intérêts qui leur seront appliqués pour les prochains prêts. De surcroît, le dispositif mis en place est souvent un montage complexe, opaque, dans lequel des SPV (véhicule à objectifs spécifiques, opérateurs privés à but lucratif, non régulés) se mêlent à des banques comme le Crédit Suisse (dont la conduite scandaleuse et la mauvaise gestion ont été maintes fois critiquées). Ces acteurs ne sont pas « philanthropiques » mais ils cherchent à faire du profit. Ils sont d’ailleurs accusés régulièrement d’évasion fiscale, d’écoblanchiment d’argent, d’avoir recours à des malversations criminelles et à des paradis fiscaux. On ne précise pas les coûts administratifs de ces nombreux intermédiaires, souvent surfacturés.
Les négociations ne sont pas publiques et transparentes, pas plus que la fiscalité des opérateurs, leurs acquisitions, leurs contrats, les bénéfices réels qu’ils en retirent. Leur siège est à l’étranger. Ils ont des filiales dans plusieurs pays. Le holding qui s’étend parfois sur plusieurs entités délocalisées est de forme pyramidale mais personne ne sait qui est à la tête, qui est responsable et qui contrôle le tout. Il y a peu de traçabilité des investissements, qui peuvent être mêlés à des produits toxiques et devenir des produits dérivés très risqués. La spéculation sur la nature, non contrôlée, peut-être très rentable à court terme pour certains et profondément dommageable pour l’environnement, les gouvernements et les populations dans l’ensemble à moyen et long terme.
Enfin, les fonds de conservation créés dans les accords d’échange dette-nature sont majoritairement gérés ou détenus par des acteurs privés étrangers. Aucune planification à long terme n’est publiée et donc il n’y a pas de possibilité d’évaluation des impacts recherchés par rapport au climat ou l’environnement de manière précise. Il n’y a pas de démarche de procédure d’appel d’offres publiques. Les gouvernements se voient ainsi privés d’une partie importante de leur souveraineté en ce qui concerne la gestion de leurs ressources naturelles protégées et ainsi que l’administration de leurs populations impactées. En effet, les personnes qui vivent sur ces espaces et y travaillent (pêcheurs, agriculteurs, éleveurs, artisans, agents de tourisme...) ne sont pas consultées ou intégrées à des délibérations ou aux négociations quant à la gestion des espaces naturels dont elles dépendent. Leurs intérêts ne sont parfois même pas pris en compte voire carrément bafoués et leurs votes, leurs avis ne peuvent influencer les décisions des fonds.
Le cas de l’échange de dette-nature au Gabon
L’Agence écofin, a annoncé dans un article publié sur son site le 12 mai 2023, que la Bank of America allait arranger un échange dette-nature de 500 millions de USD au profit du Gabon. C’était une information rapportée par l’agence Bloomberg, la veille, citant des sources proches du dossier. L’accord qui a eu lieu en juillet, autorise une réduction de la dette extérieure gabonaise d’environ 500 millions de dollars, en s’engageant en contrepartie à protéger 26% des eaux territoriales du Gabon avec l’appui de l’organisation à but non lucratif américaine The Nature Conservancy. Le Gabon a créé ces dernières années le plus grand réseau de réserves marines protégées d’Afrique abritant d’innombrables espèces marines menacées, parmi lesquelles les populations reproductrices les plus importantes de tortues luths et de tortues olivâtres, ainsi que 20 espèces de dauphins et de baleines. Composé de 20 parcs marins et réserves aquatiques, ce réseau s’étend sur 53 000 km2.« Devant être conduite par Bank of America, l’opération visant à échanger une partie de la dette publique contre la protection de 26% des eaux territoriales soulève des questions aux plans politique, juridico-institutionnelle et technique », critiquait l’auteur AJ.S de « Un échange de dette-nature au Gabon, une aberration ».
Pourquoi l’opération est-elle conduite dans l’opacité, à l’abri des regards indiscrets ? Sur le plan politique d’abord, ni les administrations sectorielles ni les instituts de recherche ni la société civile et, encore moins, les parlementaires ne semblaient au courant. Aucun débat public... « Le Parlement ne devrait-il pas être tenu informé de l’existence d’une stratégie de désendettement ? »
Deuxièmement, d’un point de vue juridico-institutionnel, Lee White, le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l’Environnement était impliqué mais ses collègues en charge de l’Economie ou des Finance semblaient écarté·es, tout comme le directeur général de la Dette. Le Conseil des ministres avait donné son blanc-seing sans plus d’explications. « Pour parler des identités des créanciers, des échéances de remboursement, de la réduction des dépenses, de l’augmentation des recettes, du ratio dette-croissance, des taux d’intérêt ou de l’inflation, Lee White n’est ni le plus légitime ni le mieux outillé. Pourquoi doit-il supplanter Nicole Roboty Mvou, la ministre de la relance économique, et Edith Ekiri Mounombi, la ministre du budget ? »
L’article dénonçait aussi une opération aberrante d’un point de vue technocratique. « De quel type d’échange dette-nature s’agit-il ? D’une conversion de dette bilatérale comme celle résultant de l’accord passé en 2008 avec la France sous la houlette d’Omar Bongo Ondimba et Nicolas Sarkozy ? D’une initiative d’allègement de la dette multilatérale ? Ou d’une conversion de la dette commerciale ? Mystère et boule de gomme »... Qu’en était-il de l’étude de faisabilité ? « Profil de la dette, politique de désendettement, contexte macro-économique, sources de financement, aspects juridiques et fiscaux, taux de décote, bailleurs intéressés ou concernés, mécanismes de gestion des fonds... Sur tous ces points, ni le ministre en charge des Forêts, de la Mer et de l’Environnement ni l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) ne disposent de données complètes ». Mais selon le journaliste « les autorités se laissent aveugler par l’enthousiasme international pour de la défense de la biodiversité. Ayant longtemps présenté l’écotourisme comme le segment d’avenir, ayant ensuite fondé ses espoirs sur les crédits-carbone, » le gouvernement avait déjà fait face à tant de désillusions, ne devait-il pas plus se méfier ?
L’État gabonais a annoncé officiellement le mardi 25 juillet 2023, sur le site de la Bourse de Londres ( London Stock Exchange), cet échange dette-nature. Les médias gabonais se sont mis à parler de ce swap de manière laudative.
Ainsi par exemple le 8 août 2023, Gabon Review publie sur son site un article de Loic Ntoutoume « Échange dette-nature : le Gabon offre un rendement plus juteux que prévu ». Nous voyons que différents intermédiaires privés interviennent dans cette négociation dont l’intérêt financier reste la préoccupation principale . L’opération d’échange dette-nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions de dollars de ses obligations et de tirer un prêt bleu de 500 millions de dollars auprès du véhicule à usage spécial, Gabon Blue Bond Master Trust, a été boosté à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons du Trésor fixés le 7 août 2023, à 180 points de base. L’État gabonais et son arrangeur d’obligations, Bank of America, a relévé le prix de la transaction dette nature devant permettre au Gabon de racheter 450 millions USD de son euro-obligation 2025 et des deux euro-obligations 2031.Initialement fixée à 180 points de base, l’obligation bleue du Gabon a grimpé de 20 points pour se situer à un prix de 200 points de base, au-dessus des bons de Trésor américain du 7 août 2023. Selon des personnes proches du dossier, souligne Bloomberg, ce rendement plus juteux est offert dans le but de susciter l’intérêt des investisseurs face à l’instabilité sur le marché financier, notamment une flambée des rendements du Trésor ayant déclenché la volatilité du marché rendant l’emprunt plus coûteux[...]La nouvelle « obligation bleue » est notée « Aa2 » par l’agence de notation Moody’s, bien au-dessus de la note « Caa1 » qu’elle attribue normalement à la dette gabonaise.
Dirent infos Gabon précise encore le 31 juillet que « D’après des sources gouvernementales, cette offre est destinée aux titulaires de ses euro-obligations qui arrivent à échéance en 2025 et 2031 ». Nous savons que les relations étaient tendues entre le FMI et le Gabon qui craignait de ne pouvoir rembourser les créanciers privés, détenteurs des eurobonds dont l’échéance est proche. Cela aurait jouer dans cet arrangement. L’article explique aussi que la dette a été cédée partiellement « à une banque ou un investisseur spécialisé » sans en donner le nom « qui la remplace par des obligations ou titres avec des conditions plus favorables ... » et enfin, il cite bien la collaboration de l’organisation américaine The Nature Conservancy (TNC) dans la gestion des zones protégées sans plus d’informations sur la manière dont ils entendent gérer le fonds de conservation, avec quel type de partenariat, quelle vision.
Dans l’article « Le Gabon lance le tout premier échange dette-nature d’Afrique pour un montant de 450 millions de dollars », paru le 25 juillet 2023 sur le site gabonais de Sika Finance, le rédacteur, Cédric Jiongo, confirme les informations précédentes. Il ajoute aussi « selon des sources citées par Reuters que la Société américaine de Financement de Développement ( DFC) fournira une assurance contre les risques politiques ».
Selon Daniel Munevar, économiste spécialisé en fiscalité et dette publique, le taux d’intérêt appliqué dans le cadre de cet échange dette-nature serait de 6% (Il est difficile de trouver cette information dans les médias).
f) La critique de WWF et de TNC
Dans les échanges dettes-contre nature, aussi bien en Amérique latine qu’en Afrique, deux organisations non gouvernementales sont régulièrement citées et sont présentées comme des ONG de défense de l’environnement à caractère philanthropique car elles sont partiellement financées par des donateurs et qu’elles ne sont pas supposées être à but lucratif. Et pourtant, en recherchant des informations sur leur compte, de nombreuses critiques et scandales d’envergure ne rendent pas leur participation aux échanges de dette-nature très rassurante.
Parlons tout d’abord de WWF, qui entre en jeu dans l’échange dette-nature en Zambie
annoncé plus haut et sur lequel il est encore si difficile de se renseigner
précisément. Wikipédia dresse un portrait extrêmement critique de WWF en citant de très
nombreuses sources.
En voici les grandes lignes.
Le « World Wildlife Fund » ou « Fonds mondial pour la vie sauvage » lors de la création en 1961 est rebaptisé World Wide Fund for Nature » ou « Fonds mondial pour la nature » (excepté aux États-Unis et au Canada). Il est représenté par le logo d’un sympathique panda noir et blanc. Il s’agit de l’une des plus puissantes ONG environnementalistes à l’échelle internationale. Elle est dédiée à la protection de l’environnement, à la conservation de la nature et au développement durable. Elle comprend en 2021, 6000 employé·es, 3000 bénévoles, 220 000 donateur·ices, plus de 5 millions de soutiens à travers le monde, plus de 100 pays bénéficiant de 12 000 programmes de protection de la nature depuis sa création.
En 1961, un groupe d’hommes d’affaires et de biologistes principalement britanniques, dont Julian Huxley, Peter Markham Scott, Guy Mountfort et Edward Max Nicholson(d’ailleurs directeur général du The Nature Conservancy, TNC que nous allons décrire par la suite) signent et diffusent leur Manifeste de Morges, document fondateur qui énonce notamment l’engagement du fonds à aider les organisations qui luttent pour sauver la faune mondiale. Ensuite ses missions et ses activités vont largement se diversifier. Aujourd’hui, elle assure la surveillance de l’application de la réglementation internationale et nationale en matière environnementale, exerce un lobbying auprès des pouvoirs publics et des institutions financières, fournit des propositions et diagnostics sur base d’études de terrains et de recherches qu’elle finance elle-même.
Un bureau spécialisé du WWF à Bruxelles travaille pour influencer les politiques de
l’Union européenne. Ces membres sont fréquemment invités aux groupes de travail de la Commission européenne et sont centrés sur la réalisation d’une transition vers des pratiques à faible émission carbone et résilientes au climat, des systèmes alimentaires et de pêche durables, ainsi que sur la sauvegarde des espèces emblématiques et menacées, des écosystèmes d’eau douce et des forêts. Le WWF European Policy Programme déclare un budget total de 4 974 830 euros pour la période de 2020 à 2021 dont les principaux contributeurs sont WWF Network (2 817 796 euros), l’European Climate Foundation (925 627 euros) et l’Union européenne (797 689 euros). Les organisations locales du WWF ont été également inscrites au registre de transparence des représentant·es d’intérêts auprès de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne. Toutefois, en 2023, WWF se retire du registre des lobbys et refuse dorénavant de donner la liste de ses grands donateurs (de plus de 50 000€).
Un deuxième bureau du WWF à Washington DC fait du lobby auprès des institutions
mondiales impliquées dans les questions économiques internationales, telles que la
Banque mondiale. Selon le Center for Responsive Politics, les dépenses de lobbying du WWF aux États-Unis s’élèvent à 550 000 dollars en 2021. Le montant de ses engagements financiers dans les études scientifiques de diagnostic et les réalisations d’opérations de protection de la nature contribue à imposer ses propositions en haut lieu. En effet, avec un budget de fonctionnement annuel de 800 millions de dollars à l’échelle mondiale en 2021, qui a doublé en près de 15 ans, le WWF est en capacité d’infléchir la politique environnementale à différents niveaux, des gouvernements nationaux aux conseils d’administration des entreprises en passant par les institutions de développement international. Le WWF achète aussi des terres pour la conservation de la nature ou conseille les gouvernements de le faire.
Il participe encore à l’éducation, à la sensibilisation à l’environnement quoiqu’on ne sait pas toujours si ces volontaires-ambassadeurs éveillent les consciences où s’ils cherchent avant tout à récolter des fonds par un marketing bien ciblé (une action en justice a été menée pour tenter de lever l’ambigüité). Il réalise aussi de nombreux partenariats avec le monde des entreprises dont certains font scandales.
Dans son rapport annuel pour l’année 2020, le WWF annonce avoir reçu des financements : de la part des particuliers, du secteur public, de trusts et fondations, de ses propres revenus et des entreprises privées.
« Le WWF est aussi l’objet de rapports d’investigation de journalistes et de documentaires TV l’accusant de multiples abus, allant des liens d’intérêt opaques avec des multinationales au recours à des groupes paramilitaires suspectés de violences sur les peuples autochtones dans le cadre de l’exercice de la mission de l’organisation ».
En effet, tout d’abord, le WWF a été régulièrement dirigé par des personnalités du monde politique ou des affaires : « John H. Loudon qui préside de 1976 à 1981 dirigeait la compagnie pétrolière Shell de 1951 à 1965 ; Philip Mountbatten, duc d’Edimbourg et mari d’Élisabeth II, reine du Royaume Uni de 1952 à 2022 préside l’organisation de 1981 à 1996 ; c’est le cas aussi de Ruud Lubbers, ancien Premier ministre hollandais, de Emeka Anyaoku, ancien Secrétaire général du Commonwealth, ou encore du pakistanais Syed Babar Ali, ancien directeur d’une entreprise de packaging. »
Certains de ses présidents honoraires étaient des monarques qui aimaient chasser des animaux sauvages. « Ainsi le roi d’Espagne Juan Carlos Ier, président d’honneur du WWF-Espagne en 1975, dès 1962, est invité dans la réserve de chasse Safariland, au Mozambique, pour y chasser le buffle, l’antilope noire, le grand koudou ou encore l’éléphant ! En mars 2004, il tue un bison d’Europe, espèce classée en voie de disparition, dans la forêt de Borecka. En octobre 2004, lors d’une chasse dans les Carpates, en Roumanie, il abat, légalement, un loup et neuf ours bruns, dont une femelle pleine. En 2006, il est également accusé d’avoir chassé un ours brun élevé en captivité et préalablement rendu ivre. En avril 2012, il est rapatrié d’urgence du Bostwana à cause d’une fracture... lors d’une chasse à l’éléphant ! Face à l’importante médiatisation internationale de ces abus, le roi est destitué de son poste de président de WWF Espagne après 44ans de service. Le prince Philip, premier président du WWF-Royaume-Uni, a abattu un tigre dans le parc national de Ranthambore en Inde. En 2008, lors d’une chasse aux élans, le roi de Suède Charles XVI Gustave, président du WWF-Suède depuis 1988, déclare à un groupe de journalistes qu’il n’est pas opposé à l’autorisation de la chasse aux loups en Suède.
Mais WWF est surtout critiqué pour son lien avec des multinationales polluantes qui le financent en échange d’une amélioration de leur image au niveau environnemental dans les médias et l’opinion publique. C’est une forme de greenwashing voire d’écoblanchiment. Grace à ces partenariats, la fondation a engrangé 3 millions d’euros auxquels se sont ajoutés 1,6 million au titre des contrats de licence : une quarantaine d’entreprises ont ainsi le droit d’accoler le logo du panda au leur. Cela constitue 29 % du budget de la fondation... laquelle s’est engagée à ne pas dépasser le seuil de 30 % alimentés par les entreprises.
L’opacité du financement de l’organisation qui refuserait de fournir une liste détaillée des entreprises donatrices est régulièrement dénoncée. Greenpeace reproche le fait que les entreprises qui soutiennent WWF ne respectent finalement pas leurs accords préalables en faveur de la nature. Le journaliste Wilfried Huismann, dans le livre « Pandaleaks », publié en 2012, affirme que le WWF International aurait reçu des millions de dollars de ses liens avec les gouvernements et les entreprises. « De grands groupes internationaux comme Coca Cola, Shell, Monsanto, HSBC, Cargill, BP, Alcoa et Marine Harvest utiliseraient la marque WWF pour verdir leurs opérations polluantes » . Selon Wilfried Huismann, parce qu’il traite de problèmes directement liés aux matières premières stratégiques telles que l’huile de palme, le bois, le sucre, le soja, les biocarburants ou le cacao, le WWF est « devenu une puissance politique trop proche de l’industrie et il risque de devenir dépendant de l’argent de ces entreprises. « Une fois qu’elles ont le panda, les entreprises n’ont plus aucun intérêt à faire des efforts pour l’environnement, déplore Sylvain Angerand, des Amis de la Terre. Nous sommes alors complètement bloqués dans nos actions et nos moyens de pression ». Il y a quelques années, l’organisation écologiste avait lancé une campagne « Banques françaises, épargnez le climat », qui épinglait le Crédit agricole. « Par conséquent, plutôt que de s’efforcer de coller au cahier des charges proposé par l’association, le Crédit agricole signait un partenariat avec le WWF ».
Des tensions internes émergent régulièrement au sein de la fondation. Devoir travailler avec des entreprises pour lesquelles l’évolution des pratiques semble impossible et incompatible avec les valeurs prônées par l’ONG conduit à une série de démissions et de burn out, du moins dans la branche française. Les contradictions sont fréquentes. WWF a refusé un partenariat à Air France mais prête volontiers son logo à Aéroport de Paris, pourtant dans le même secteur. En 2009, en pleine crise historique, elle soutient le premier Salon du luxe et du développement durable. Dès l’origine, le WWF s’est fondu dans les milieux capitalistes. Il ne s’est jamais opposé au modèle productiviste ou à la société de consommation. Aux Etats-Unis, notamment, l’organisation participe à des tables rondes sur le soja « responsable » aux côtés de firmes comme le géant des semences Monsanto. Le documentaire américain Blackfish, dénonce en 2013 la SeaWorld Parks & Entertainments pour les conditions cruelles de capture et de vie des orques dans ses parcs aquatiques tout en montrant ses liens avec WWF. Dans le cadre d’un partenariat avec le groupe Carrefour depuis 1998, si WWF France a convaincu l’enseigne de cesser de vendre de nombreux produits à base d’huile de palme, du thon rouge et de bois non certifié utilisé pour son mobilier de jardin, Carrefour semble surtout profiter de la notoriété et de l’image à la fois écologique et populaire de WWF pour continuer d’autres pratiques contestables, en échange de 400 000 euros par an versé à WWF. En 2016, WWF France publie pourtant un rapport qui épingle de grandes entreprises françaises, comme Auchan, Casino, E.Leclerc, Les Mousquetaires, SystèmeU, Sodexo, Elior, Danone, Lactalis, Sodiaal, Savencia, Tereos et Cooperl, dont Carrefour avec qui elle est partenaire pour leur consommation excessive de ressources agricoles.
Comme Carrefour, les sociétés Castorama, Crédit agricole, Orange ou encore Pierre &
Vacances, en échange de financements, bénéficient de conseils pour progresser écologiquement
ainsi que de la notoriété du célèbre panda. C’est un win-win ambigü basé sur un marketing
contradictoire. Le cimentier français Lafarge et le WWF International ont signé leur premier
contrat de partenariat en 2000. Malgré ses engagements à réduire ses émissions de CO2, Lafarge reste un des plus gros pollueurs industriels de France. En mai 2012, suite aux
révélations de Cash Investigation sur le Crédit agricole qui soutenait financièrement des forages
pétroliers, l’exploitation des sables bitumineux et de charbon, WWF renonce à ce partenariat
qui lui rapportait 400 000 euros par an. En 2011, pendant la construction de son premier
gazoduc, NordStream1, qui relie la Russie à l’Allemagne, la compagnie gazière russe Gazprom
investit dix millions d’euros dans la fondation, pour la protection de l’environnement de la mer
Baltique. Pourtant, la fondation comprend au sein de son conseil d’administration des membres
d’organisations environnementales farouchement opposées au projet telles que WWF
Allemagne.
Plus graves encore, preuves à l’appui, le WWF est accusé de « colonialisme écologique, de violations récurrentes et sévères de droits humains », ce qui devrait vraiment nous alerter par rapport à la capacité de cette organisation de gérer des espaces naturels importants, dans le cadre des échanges dette-nature et des fonds de conservation naturelle constitués dans ce contexte. L’ONG WWF accomplira-telle sa mission de manière respectueuse par rapport aux droits des populations qui vivent sur les territoires protégés et en tenant compte de leurs intérêts ?
« En 2017 puis en 2019, dans au moins six pays d’Asie et d’Afrique, notamment l’Inde, le Népal, le Cameroun et la République centrafricaine, l’ONG WWF est accusée d’avoir entraîné, armé, financé et laisser faire voire encouragé des milices paramilitaires, censées lutter contre le braconnage mais soupçonnées d’exactions contre les populations locales. WWF aurait fait pression sur les autorités népalaises pour étouffer les affaires. »
Une enquête de BuzzFeed News sur le parc national de la Salonga, en République démocratique du Congo, « rapporte des abus sexuels et physiques commis par des écogardes et des militaires soulevées auprès de la direction en 2016 ». Des médias en 2019, mettent en avant « des allégations généralisées d’abus extrêmement graves de meurtres multiples, de viols, de torture et de passages à tabac ». Selon des investigations menées en partenariat par Buzzfeed News et le Katmandu Post, l’organisation mènerait une « guerre secrète » contre les populations indigènes. L’exclusion des peuples autochtones et des autres communautés, la menace de leurs droits coutumiers collectifs sur leurs territoires ancestraux, exacerbées par la militarisation croissante peu contrôlée des zones protégées dans des contextes où les violations des droits humains par les forces de sécurité sont fréquentes ont participé à la multiplications de ses actes de violences.
Selon Fiore Longo, directrice de Survival International en France, « d’un côté, le WWF s’allie à de grandes entreprises qui détruisent les forêts du monde. De l’autre, il soutient des expulsions forcées et d’autres violations des droits des peuples autochtones, les meilleurs gardiens de la nature. Ce modèle ne bénéficie ni à la nature ni aux populations locales, mais aux industries, au tourisme et à la chasse aux trophées ».
Suite à ces révélations, le gouvernement allemand décide de geler une partie de sa participation au parc national de la Salonga. Les États-Unis suspendent à leur tour le financement du WWF et de la Wildlife Conservation Society (WCS). En mai 2020, c’est au tour de l’Union européenne de suspendre ses subventions « car WWF est accusé de bafouer les droits des Pygmées Baka au Congo », particulièrement dans le cadre de la création du parc naturel de la forêt de Messok . « Les résultats de l’enquête externe, menée par l’ancienne haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, annoncées pour début 2020, reportés à plusieurs reprises, infirment en novembre 2020 l’implication directe du WWF dans des actes de violation des droits humains et ses contradictions internes en matière des droits de l’homme. »
Le 18 février 2021, un reportage de Complément d’enquête, avec l’association Survival International, diffusé sur France 2, montre « le colonialisme vert » attribué à l’ONG dans le bassin du Congo et en Inde. Survival International « accuse le WWF de continuer coûte que coûte son objectif de transformer 30 % de la Terre en aires protégées, sans tenir compte des drames humains ». D’autres dénonciations médiatiques avaient accablé WWF en Allemagne en 2011, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni en 2019.
Pour Jean Nanga, WWF est coupable de Green Land Grab c’est-à-dire d’accaparement de terre sous prétexte d’écologie. L’organisation a régulièrement recours à « des groupes paramilitaires » pour faire pression sur les autochtones qui vivent sur les terres depuis bien plus longtemps que le moment où WWF les a désignées comme espace à protéger au moyen de la force et de la répression quand l’ONG le trouve nécessaire.
Quant à TNC, active dans l’échange dette nature au Gabon décrite plus haut, est-elle une organisation non gouvernementale environnementaliste plus digne de confiance ?
The Nature Conservancy est une organisation non gouvernemental (ONG) internationale de protection de l’environnement fondée en 1951 par le zoologue Victor Ernest Shelford. Elle siège en Virginie, aux USA. Elle représente un capital de 547 millions USD. En 2006, ses revenus s’élèvent à 1 085 669 000 USD et ses biens sont évalués à 4 828 494 000 dollars. Elle est présente dans plus de 30 pays (dont les USA). Son slogan est :« Protecting nature. Preserving life ». Son symbole représente une terre ronde avec des feuilles qui l’entourent. Sa mission officielle consiste à préserver les plantes, les animaux et les communautés naturelles représentant la diversité biologique par la mise en réserve et la protection des ressources naturelles comme l’eau et les paysages dont ceux-là ont besoin. Elle protège une surface de 69 000 km2 aux États-Unis et plus de 473 000 km2 dans le reste du monde. Dans le livre « Tout peut changer : capitalisme et changement climatique » de Naomie Klein, paru en 2015, TNC est critiquée pour ses liens étroits avec les industries des combustibles fossiles. Elle détient plus de 26 millions de dollars d’investissements dans Shell, Chevron, BP America, en reçoit des subsides importants et compte des représentant·es de ces mêmes entreprises au sein de son conseil d’entreprise ou à sa tête. Elle note donc de nombreux conflits d’intérêts. De plus, à partir de 1999, elle a même exploité elle-même des hydrocarbures dans une de ses réserves, la Texas City Prairie Preserve, mettant en danger certaines espèces animales menacées. L’auteure relève aussi de nombreuses tensions entre ses réserves et les peuples autochtones.
Dans un rapport de 2021, « Investing in Nature : Private Finance for Nature-based Resilience » rédigé conjointement par Environmental Finance and The Nature Conservancy, TNC expose et vante un nouveau capitalisme vert, la finance verte dont il devient un acteur clé. L’organisation explique l’importance d’investir dans le capital naturel, comment le faire, et invite les investisseurs pionniers privés et publics à la rejoindre dans ce mouvement. Elle parle du consensus autour de la nécessité de voir le secteur privé prendre une part croissante et majoritaire dans l’investissement durable, de l’importance que cet effort financier se fasse à bien plus grande échelle, avec des acteurs intermédiaires nécessaires et précise le rôle à jouer par les États dans ce sens.
Ensuite, l’ONG présente, avec une communication de type publicitaire, des études de cas qu’elle a orchestrés. Elle évoque par exemple le IFC Forest Bond pour lutter contre la déforestation du corridor de Kasigau au Kenya, les Blues Bond au Seychelles où elle prend part à un échange dette-nature pour protéger les océans ou le Fond Impact pour réhabiliter des terres en proie à la déforestation en Amérique latine et en Afrique subsaharienne ... mais ces présentations sont des descriptions très brèves et superficielles et ne présentent aucun résultat lié à des études d’impact ni aucune analyse de fond critique, rien que de la communication avec de belles images à destination principalement d’investisseurs privés et de décideurs politiques, avec une vision en accord total avec la « Relance verte » promue par les institutions internationales.
La suite de l’étude poursuivra le passage en revue des fausses solutions promues par la BAD, en abordant notamment la question des obligations vertes. La conclusion générale proposera une série d’alternatives promues par le réseau CADTM International.
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