Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Le premier ministre sénégalais et chef du parti Pastef, Ousmane Sonko, lors d’un meeting de campagne dans la banlieue de Dakar, le 13 novembre 2024. Photo : Zohra Bensemra/Reuters
Courrier international : Le parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) est arrivé en tête dans 47 des 54 circonscriptions électorales, selon les résultats officiels provisoires des élections législatives anticipées du 17 novembre. Il revendique 132 députés sur les 165 de l’Assemblée nationale. La “razzia” du parti au pouvoir, telle que l’a qualifiée la presse, est-elle une surprise ?
Mamadou Albert Sy : Au regard de la campagne électorale, ce n’est pas surprenant. Face aux trois coalitions emmenées par l’ex-président Macky Sall, l’ex-Premier ministre Amadou Ba et le maire de Dakar, Barthélémy Dias, le Pastef s’est démarqué par sa présence et sa capacité à mobiliser les foules à travers le pays.
Ce qui est un peu plus surprenant, c’est l’ampleur de la victoire. Lors des législatives de 2022, la coalition de la majorité présidentielle Benno Bokk Yakaar avait obtenu 83 sièges, et l’opposition, 80 sièges. Aujourd’hui, la coalition qui a recueilli le plus grand nombre de suffrages face au Pastef, Takku Wallu, représentée par Macky Sall, n’aurait que 16 sièges.
Une telle domination parlementaire du parti au pouvoir est inédite depuis que le cycle d’alternance politique au Sénégal a débuté, en 2000. Dans l’histoire politique sénégalaise, cela renvoie à la domination du Parti socialiste à l’Assemblée nationale, de 1978 à 2001, face au Parti démocratique sénégalais (PDS, parti de l’ancien président Abdoulaye Wade).
Quels sont les ingrédients de cette large victoire ?
Outre la réussite de sa campagne, le Pastef bénéficie du désir de changement des électeurs. Ce vent-là continue de souffler : le parti au pouvoir incarne la rupture avec un système politique qui prévaut depuis l’indépendance.
De son côté, l’opposition n’a pas réussi à concurrencer Ousmane Sonko sur le terrain. Elle était moins visible et s’est confrontée à un problème de leadership. Macky Sall était à l’étranger, Karim Wade, chef de file du Parti démocratique sénégalais rallié à la coalition Takku Wallu, également. Ils ont fait campagne sur WhatsApp. Cela peut marcher avec les états-majors des partis politiques, mais pas avec les électeurs.
Qui sont les plus grands perdants de ce scrutin ?
Il s’agit des anciens partis. L’Alliance pour la République (APR) de Macky Sall est affaiblie. Le Parti socialiste et l’Alliance des forces de progrès (AFP), les partis de gauche, ralliés à Amadou Ba pour ces législatives, n’ont guère pesé. L’ex-Premier ministre, qui avait recueilli 35 % des voix à la présidentielle de mars, se retrouverait finalement avec deux députés. C’est une grosse déception.
Tous les partis qui ont été aux affaires sont en déclin, qu’ils soient socialistes, démocrates, libéraux, ou républicains. Ces vieux partis n’ont pas intégré les mutations de la société sénégalaise et de l’électorat, de plus en plus jeunes. Ils doivent se réorganiser. Leur recomposition pourrait se dessiner autour d’un bloc regroupant la famille libérale et d’un bloc socialiste.
Parmi les mesures du projet du Pastef, et du plan Sénégal 2050 dévoilé à la mi-octobre, quelles sont les priorités pour les Sénégalais ?
En ce qui concerne la lutte contre le chômage et l’abaissement du coût de la vie, la mise en place de pôles de développements régionaux est une mesure phare [visant à répartir plus équitablement les activités et les investissements à travers le territoire, alors que la région de Dakar est le moteur de l’économie].
La reddition des comptes [d’anciens dignitaires soupçonnés d’enrichissement illicite], liée à l’installation d’une Haute Cour de justice est également scrutée. Est-ce que les tenants du pouvoir iront jusqu’au bout ? On se souvient que leurs prédécesseurs avaient plié face aux pressions de certains leaders religieux, qui voyaient d’un mauvais œil ces procédures judiciaires.
Idem pour les violences politiques entre 2021 et 2024, qui ont fait des dizaines de morts, des centaines de blessés et des milliers d’arrestations. L’exécutif aura-t-il le courage d’abroger la loi d’amnistie couvrant les manifestations politiques sur cette période, et d’engager des enquêtes ? Ces deux derniers dossiers sont très délicats pour le pouvoir. Si ces mesures ne se traduisent pas en acte, la confiance des citoyens peut s’effriter.
Les adversaires politiques du Pastef, lorsqu’ils ont reconnu sa victoire, ont pour la plupart salué la “maturité démocratique” du Sénégal. Ces termes sont également fréquents dans la presse ouest-africaine. Qu’en pensez-vous ?
Je suis plus nuancé. Certes, nous avons une démocratie électorale assez dynamique. Les Sénégalais se mobilisent, les scrutins se déroulent généralement dans le calme… Les réflexes sont là. Lors de la présidentielle de mars, les électeurs ont sanctionné dans les urnes les violences précitées.
Mais la démocratie ne devrait pas se résumer aux élections. La maturité s’acquiert notamment par des débats contradictoires si on entend se prémunir des risques de manipulation de l’opinion. Lors de cette campagne électorale, c’est le débat sur les grandes orientations politiques qui a fait défaut. Pourtant, ces jeunes électeurs qui soutiennent la rupture promise par le Pastef sont demandeurs. Ils veulent mieux comprendre les mesures proposées, la mise en œuvre des politiques publiques, et doivent être mieux informés.
Propos recueillis par Agnès Faivre
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