Tamara Nguyen est autrice et conseillère dramaturgique.
Lors de ses passages en France, Mathieu Lacombe a été interviewé deux fois par le journaliste Patrick Simonin dans le cadre de l’émission L’Invité. Là-bas, il a parlé avec enthousiasme du sujet qui anime ses discussions avec la ministre de la Culture française : la découvrabilité. Tous deux travaillent à promouvoir les cultures francophones auprès des jeunes et des un-peu-moins-jeunes qui montrent peu d’intérêt pour la télévision et la radio, se tournant vers les plateformes de streaming, les podcasts et les réseaux sociaux où la culture américaine est dominante.
Je tiens ici à saluer cet effort. Il est vrai que le monde évolue et qu’avec lui doivent évoluer nos manières de nous tenir informé·es, de nous tenir cultivé·es. Mathieu Lacombe insiste beaucoup sur l’importance de promouvoir la langue française et d’entendre notre parler québécois sur Netflix et Amazon Prime, ce qui est un combat louable.
Je me propose ici d’apporter ma pierre à l’édifice de la découvrabilité des arts vivants. Bien que la langue de Molière, dans toutes ses déclinaisons, soit digne d’être découverte et redécouverte, d’autres aspects des arts vivants québécois méritent aussi leur place sous les projecteurs.
Par exemple, la polyvalence des artistes québécois, qui portent souvent plusieurs chapeaux. Nous avons, entre autres, des autrices-comédiennes-pigistes-ouvreuses-coachs-d’audition-baristas-profs-de-yoga, mais aussi des acteurs-libraires-médiateurs-culturels-professeurs-de-théâtre-vendeurs-chez-Simons-récemment-retournés-aux-études et des conceptrices-vidéo-techniciennes-coiffeuses-gardiennes-d’enfants-et-d’animaux-en-tout-genre.
Nous devrions faire connaître l’absence de sommeil honorable de ces artistes qui, pour porter leurs multiples chapeaux, dorment entre trois et cinq heures par nuit quand leurs enfants en bas âge ou l’anxiété généralisée ne les empêchent pas complètement d’accéder à un sommeil semi-réparateur.
Nous devrions aussi découvrir la générosité sans commune mesure des artistes qui s’endettent de quelques milliers de dollars par année pour auto-produire leur spectacle. Ces mêmes artistes portent également les chapeaux de porteur·euses-de-projet-gestionnaires-comptables-organisteur·rices-de-gofundme-laruche afin d’espérer grapiller cinq mille dollars qui leur permettront de fabriquer des décors, d’acheter des costumes et de payer leurs interprètes, leurs concepteur·rices et leurs technicien·nes. Je précise ici que les porteur·euses-de-projet-gestionnaires-comptables-organisteur·rices-de-gofundme-laruche font souvent le choix de ne pas se rémunérer, ce qui élève leur générosité au rang de sacrifice de soi.
Comme vous le savez sans doute, le sacrifice de soi est une valeur célébrée dans un très grand nombre de cultures à travers le monde. Il y a donc ici une opportunité de promouvoir notre culture québécoise en titillant l’imaginaire judéo-chrétien de nos publics lointains.
On pourrait, par exemple, lancer une mode sur Instagram où les artistes feraient défiler leur relevé bancaire sur fond de chanson québécoise avec le hashtag
#jem’appauvrispourenrichirlaculturequébécoise.
Nous pourrions aussi enregistrer notre dernier appel avec Desjardins après le dépassement de notre limite de crédit, ou encore notre dernier appel avec notre propriétaire mécontent du retard de paiement de notre loyer. Un·e musicien·ne québécois·ne pourrait ensuite en faire un remix sur lequel un·e chorégraphe québécois·e créerait une danse facile à reproduire qui ferait fureur sur TikTok. Tout cela encore sous le hashtag #jemappauvrispourenrichirlaculturequebecoise.
Mais je digresse. Il y a encore de nombreux aspects de la culture québécoise que l’on devrait donner à découvrir au reste du monde.
Comme par exemple, l’ingéniosité folle de nos directeur·rices de théâtre qui composent chaque année leur saison avec des sommes dérisoires, travaillant d’arrache-pied pour diffuser et produire des spectacles de qualité tout en s’assurant que les murs de leur théâtre ne finissent pas par s’effriter et tomber sur les comédien·nes, quitte à s’endetter de quelques centaines de milliers de dollars.
Comme par exemple, le courage inégalé des artistes qui écrivent, réécrivent et écrivent encore leur demande de subvention aux Conseils des Arts pour financer leur prochaine œuvre tout en sachant pertinemment que seul·es 20% d’entre eux recevront les fonds nécessaires pour créer leur spectacle et le produire.
Comme par exemple, la patience exemplaire des artistes québécois, dont le salaire médian est inférieur à 17 000 $, qui se font dire par un ministre de la Culture gagnant 232 000 $ par année que le peu d’argent qui leur est versé pourrait être mieux géré.
Je ne souhaite pas, monsieur le ministre, vous accuser d’hypocrisie. Il y a, bien évidemment, derrière votre choix de nous appauvrir, une idéologie méticuleusement pensée et appliquée. L’homme de culture que vous êtes sait que le mythe selon lequel nous serions né·es pour un petit pain traverse la littérature québécoise et que de nombreux artistes créent leur chef-d’œuvre dans la plus grande misère matérielle et psychique. Vous cherchez sans auxun doute à nous pousser dans nos retranchements pour que nous produisions des œuvres de qualité qui feront rayonner la culture québécoise à l’international. Pour cela, je tiens à vous féliciter. Notre détresse ne va qu’en s’accroissant et si votre calcul est bon, nous devrions produire des œuvres phénoménales cette année. Je ne garantis rien pour l’année suivante puisque la misère a parfois raison des meilleur·es d’entre nous, mais qu’importe, tant que la qualité est au rendez-vous.
Certains pourraient vous accuser à tort de pousser les artistes à quitter le métier, réduisant ainsi notre nombre et réglant par le fait même ce sinistre problème de manque de fonds, mais je n’y crois pas un instant. Votre mandat est de protéger et promouvoir la culture québécoise ; il serait absurde que vous contribuiez activement à son appauvrissement.
Des artistes pauvres, oui.
De la culture pauvre, non.
J’espère que mes conseils, s’ils ne vous aident pas, vous apporteront au moins matière à réflexion.
Sachez que si le temps vous manque – on dit « avoir un agenda de ministre » après tout – nous vous aiderons au meilleur de nos forces à promouvoir ces aspects uniques de la culture québécoise dans les médias et dans les rues.
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