Édition du 3 décembre 2024

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Analyse politique

La classe moyenne et le crime organisé

Il peut sembler bizarre à première vue d’aborder le sujet des liens entre la classe moyenne et le monde du crime organisé. Pourtant, la question se pose. Le crime organisé peut se définir sommairement comme du capitalisme illégal. Il opère à partir de principes similaires, faire des profits à tout prix et il agit par l’intermédiaire d’organisations relativement stables et de grande envergure dont les responsables cependant n’hésitent pas, au besoin, à recourir au meurtre pour parvenir à leurs fins. Le crime organisé occupe par définition le champ des trafics illégaux en tout genre.

À ce titre, il constitue une composante sociale importante qui brasse chaque année des millions de dollars. Pour d’évidents motifs (le caractère clandestin de ces profits et dépenses et les méthodes utilisées dans ce milieu), il n’existe pas de chiffres officiels sur ces flux financiers bien camouflés. On ne peut donc calculer ce "Produit illicite brut" (PIB) bien qu’il fasse partie des transactions financières de nos sociétés. Mais au vu de la puissance et de l’influence de certains clans mafieux et de motards criminalisés, on ne peut douter de son importance.

On peut donc considérer le monde du crime organisé comme une sorte de société parallèle, illégale dans son essence même. Elle étend ses tentacules partout, y compris lorsque l’occasion s’en présente dans des secteurs où on s’y attendrait le moins (certains politiciens et policiers corrompus). La société criminelle est complexe et très hiérarchisée. Elle possède sa bourgeoisie, sa classe moyenne, son prolétariat.

À tout seigneur, tout honneur, si l’on peut s’exprimer ainsi. Débutons par par la bourgeoisie criminalisée. Elle est formée d’entrepreneurs, dont certains sont propriétaires de firmes légales qui servent de couvertures à leurs activités illicites. Ces bourgeois contrôlent donc les moyens de production, légaux et illégaux qui leur assurent fortune et pouvoir. Il s’agit d’un monde fragmenté certes en diverses organisations plus ou moins sophistiquée dont la mafia italienne notamment donne le spectacle. Dans ce dernier cas, ce sont des groupes qui comprennent des frères et des soeurs souvent soudés par une étroite complicité. La "famiglia" y joue un rôle central. Les membres les plus doués pour les affaires y administrent leur entreprise légale (lorsqu’il y en a une) et surtout leurs affaires illégales.
Le crime organisé sert parfois d’ascenseur social. Ce processus est parfaitement illustré dans le film "Le Parrain" de Francis Ford Coppola. On y assiste à la montée d’un petit immigrant italien peu scrupuleux, Vito Corleone, tout d’abord simple manoeuvre mais qui, en usant de la menace, de la force et de la ruse parvient à se hisser dans les plus hautes sphères du crime organisé. Il fonde une famille dont un des fils (Michael) prend les rênes par la suite. Une entreprise légale qu’il a achetée de force (pour une bouchée de pain) lui permet d’opérer ses activités illégales sans se faire prendre. Il passe donc du prolétariat à la bourgeoisie.

Tout dépend donc de la capacité manoeuvrière des acteurs sociaux en présence et de leur détermination. Dans cette optique, on peut aussi citer l’action des frères Dubois à Montréal, des années 1950 à la décennie 1970. Ils venaient d’une famille ouvrière très unie, formant un clan peu scrupuleux quand il s’agissait de faire de l’argent. Ce clan est devenu un acteur majeur dans le monde criminel montréalais avant que l’action des autorités ne provoque sa chute.

Les motards présentent un autre exemple de "prolétaires" criminalisés, souvent issus de familles modestes (classe ouvrière et moyenne inférieure) et qui sont devenus des joueurs incontournables sur la scène criminelle. Leurs organisations se ressentent à première vue de cette origine sociale modeste puisqu’elles semblent moins sophistiquées que celles de la mafia ou des groupes juifs, tous deux de plus vieille tradition. La classe moyenne "motarde" paraît bien moins développée que celle d’autres groupes criminels.

Ce qui nous amène à cette partie de la classe moyenne, celle qui évolue dans le milieu criminel. Le crime organisé compte bien sûr une classe moyenne. La présence et la compétence d’employés intermédiaires s’imposent pour qu’il puisse fonctionner, comme des comptables, des administrateurs, des gens de loi, des conseillers en tout genre et de divers niveaux, des secrétaires, des négociateurs et négociatrices. Les organisations criminelles, du moins celles d’une certaine envergure comptent sur ces catégories pour s’assurer une stabilité nécessaire à la bonne marche de l’entreprise. Sans ces complices, la bourgeoisie criminalisée ne pourrait se maintenir, tout comme la bourgeoisie légale d’ailleurs.

On remarque en plus un groupe diversifié et difficile à cerner qu’on qualifie souvent de "pègre". Selon la définition du dictionnaire, ce sont "des voleurs et des escrocs formant une sorte d’association, de classe" (Petit Robert, édition 2007). On pourrait les qualifier de petits entrepreneurs illégaux, dont certains s’entendent parfois avec les criminels de plus haut niveau pour des tâches spécifiques que ceux-ci leur offrent. Il peut s’agir aussi d’indépendants dont certains peuvent s’intégrer à des organisations criminelles pour s’assurer une forme de sécurité financière.

On relève enfin un prolétariat criminel composé d’hommes de main au service d’une organisation illégale : revendeurs de drogue, personnel de certains bars louches, fiers à bras et tueurs.

On remarque enfin des criminels isolés, des individus aux prises avec de graves problèmes psychologiques et qui représentent un danger public : maniaques, tueurs en série, violeurs pathologiques. Ils ne font donc pas partie du crime organisé.

Un dernier point reste à développer : entre le monde de l’économie légale et celui de "l’autre" économie, il n’y a pas tant de différence. Comme nous l’avions mentionné au début du texte, capitalisme légal et capitalisme illégal présentent des ressemblances. Après tout, la haute finance et la grande entreprise n’hésitent pas à contourner au besoin lois et règlements jugés embêtants afin de maximiser leurs profits, quitte, s’ils se font prendre à payer les amendes exigées. On note de plus une proximité accentuée entre ces groupes et la classe politique au pouvoir ou encore celle qui peut espérer y accéder un jour. Certains responsables gouvernementaux ferment les yeux sur les manoeuvres douteuses de leurs soutiens financiers. Ces stratégies ne sont peut-être pas toujours illégales, mais on peut questionner leur moralité sociale.

Si le capitalisme légal ne fait assassiner personne et que certains employeurs traitent convenablement leurs travailleurs et travailleuses, bien des propriétaires de firmes se conduisent envers leurs employés avec dureté et négligent la sécurité professionnelle de ceux-ci, ce qui provoque parfois des accidents mortels. Quelques uns d’entre eux s’acoquinent de temps à autre avec des criminels ou des individus douteux pour exercer des pressions efficaces sur leurs concurrents ou encore sur leurs employés en cas de conflit de travail. On ne peut bien sûr confondre une entreprise légale qui se conforme aux lois en vigueur à une autre criminelle qui les bafoue, mais dans les deux cas on constate une même logique : celle de l’accumulation à tout prix du capital.
Qui se ressemble se rapproche...

Jean-François Delisle


NOTE

Dans l’analyse intitulée : "Recomposition de la classe moyenne" publiée dans le numéro du 18 septembre au 25 octobre, toujours dans la section "opinions", on pouvait lire aux deuxième paragraphe, de la quatrième à la dixième ligne :

" L’action syndicale a contribué à l’amélioration des conditions de travail et e vie des employés, qu’ils soient d’usine ou de bureau. certain capital social, culturel et financier plus substantiel que celui détenu par la classe ouvrière peu instruite, à faible revenu et les exclus, ce que Marx appelait le sous-prolétariat (voyous, déclassés, mendiants, sans abris, indicateurs de police, etc.)."

Il aurait fallu lire :

"L’action syndicale a contribué à l’amélioration des conditions de travail et de vie des employés, qu’ils soient d’usine ou de bureau. Ils détiennent un capital social, scolaire et financier plus considérable que celui de la classe ouvrière peu instruite et des exclus ; Marx appelait ces derniers le sous-prolétariat (voyous, mendiants, vagabonds, sans abris, indicateurs de police, etc)."
Toutes mes excuses pour dette formulation défectueuse, plus quelques coquilles et formulations un peu bancales dans la suite du texte. Ces erreurs sont dues à la fatigue et à la hâte de terminer mon texte à temps, en dépit de nombreuses relectures.

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