Voici une formule qui me paraît bien résumer la situation dans laquelle se trouvent les deux partis "de gauche", c’est-à-dire le Parti québécois et surtout Québec solidaire. Examinons tout d’abord certaine statistiques électorales qui sont éclairantes à ce sujet.
Lors du déclenchement de la campagne électorale provinciale de septembre 2022, Québec solidaire devançait dans les intentions de vote son adversaire péquiste de six points : il obtenait 15% et le Parti québécois un pauvre 9%. Plusieurs observateurs et analystes le croyaient en voie de disparition. Le Parti conservateur allait chercher 12.9% de soutiens. La Coalition avenir Québec, au pouvoir, trônait à 42% d’appuis.
Les résultats du scrutin en ont surpris plus d’un : le Parti québécois a récolté 14.6% des voix, talonnant Québec solidaire qui lui en a recueilli 15.4%. Le parti de gauche devançait légèrement les conservateurs qui ont raflé 11% du vote, un léger recul par rapport au sondage d’août. La Coalition avenir Québec, comme prévu, a été reportée au pouvoir avec 40.9% des voix.
Depuis, les sondages confirment la remontée fulgurante du parti dirigé par Paul Saint-Pierre Plamondon. Le dernier sondage réalisé ce mois-ci le crédite de 35% des intentions de vote, loin devant la Coalition avenir Québec qui fait désormais piètre figure avec 24% seulement d’appuis dans l’électorat. Québec solidaire piétine avec 13% d’intentions de vote et le Parti conservateur le suit avec 11% des voix.
Si un scrutin se tenait maintenant, le parti dirigé par Paul Saint-Pierre Plamondon se hisserait sans doute au pouvoir, mais peut-être à la tête d’un gouvernement minoritaire. Québec solidaire donc, piétine. Depuis plusieurs années, il patauge dans les sondages entre 13% et 15% des intentions de vote. Si les choses continuent sur cette lancée, il risque même de perdre des sièges au prochain scrutin.
Alors qu’il distançait le Parti québécois en septembre 2022, il se situe à présent très loin derrière. Il s’agit là d’un retard qui peut se révéler irrattrapable, si rien ne change au sein du parti de gauche. Qu’est-ce qui cloche ?
Tout d’abord, il n’a pas vraiment de leader, un chef rassembleur mais seulement deux co porte-paroles qui ne disposent pas de véritable pouvoir. Dans un louable souci de pureté démocratique, ses membres ont refusé de se doter d’un chef élu. Depuis la récente retraite relative temporaire mais assez longue de Gabriel Nadeau-Dubois, Ruba Ghazal se retrouve comme seule co porte-parole pour des mois. Sera-t-elle à la hauteur de de la tâche écrasante qui l’attend ? Elle se retrouve propulsée en réalité comme cheffe d’un parti dont une majorité de membres se méfient des leaders. En dépit de ses qualités de députée et de ses aptitudes pour la joute politique, il n’est pas certain que madame Ghazal puisse relever ce défi.
Les militants des partis de gauche ont souvent tendance à se méfier de dirigeants quand ceux-ci (comme l’a fait récemment Gabriel Nadeau-Dubois) veulent imprimer à leur formation un virage pragmatique, ce qui heurte leur sensibilité. Ils redoutent alors une trahison des idéaux premiers du parti.
À certains égards, Québec solidaire ressemble au Parti québécois à ses débuts (1968-1974). Le PQ avait alors un chef charismatique, René Lévesque qui était aussi un pragmatique. Il devait composer avec un parti rempli de membres dont l’intransigeance indépendantiste était notoire. C’est pourquoi l’introduction de la notion de référendum sur la souveraineté si le parti arrivait au pouvoir y a déclenché de profondes divisions. De peine et de misère, Lévesque et sa garde rapprochée ont réussi à faire adopter cette proposition au congrès d’orientation de 1974. Désormais, conquête du pouvoir et souveraineté étaient dissociés. Cette stratégie, considérée comme hérétique par l’aile intransigeante du parti, lui a cependant permis d’accéder au pouvoir en novembre 1976 et de tenir un référendum en mai 1980 sur la souveraineté. Le Parti québécois l’a perdu certes, mais il a réussi à aller chercher dans les filets du OUI un gros 40%.
La stratégie proposée par Lévesque et certains de ses lieutenants s’est donc avérée "payante", si l’on peut dire. Le tempérament de Lévesque en a fait durant un certain temps un chef vénéré mais qui s’accommodait mal toutefois des limites qu’entraîne une masse de militants et de militantes très sourcilleux d’avoir le dernier mot sur les questions de stratégie et de buts.
Néanmoins, une majorité ne fait pas toujours une vérité et il arrive qu’un dirigeant ait des intuitions stratégiques plus justes que bien des membres de la base.
Il ne s’agit pas de tomber dans le culte du chef, mais de se rendre compte qu’une direction solide et éclairée est nécessaire à n’importe quelle formation politique.
Qu’en est-il sur ce plan à Québec solidaire ? Il ne ressemble pas sur tous les plans au Parti québécois des années 1970. Par exemple, il n’a pas de chef en titre susceptible de convaincre une majorité de membres de procéder à un virage "pragmatique", comme Lévesque avait réussi à le faire en 1974. Ni Gabriel Nadeau-Dubois ni Ruba Ghazal, en dépit du respect dont ils bénéficient, n’en sont l’équivalent. Paul Saint-Pierre Plamondon non plus, mais il dirige une formation qui a longtemps exercé le pouvoir et formé l’Opposition officielle (le tout pour le meilleur et pour le pire). Elle existe depuis 1968. Le PQ a connu une montée rapide entre 1968 et 1976, alors que Québec solidaire végète, en dépit de ses quelques députés.
Pour que Québec solidaire sorte de sa relative marginalité, il faudrait que la majorité de ses membres acceptent de mettre de l’eau pragmatique dans le vin capiteux de leurs beaux principes. C’est la condition sine qua non pour qu’il sorte du ghetto électoral qui est le sien et rejoindre un électorat plus vaste. Sinon, il risque la disparition à terme. Qui aura alors gagné, sinon la droite ?
Québec solidaire préfère-t-il mourir en beauté ?
Jean-François Delisle
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