L’EXCELLENT PLAN DE SOPHIE BROCHU
C’est exactement ce que prescrivait l’excellent plan stratégique d’Hydro-Québec 2022-2026 publié en mars dernier sous la gouverne de Sophie Brochu. Le rapport exprimait une intention vers un important virage de la société d’État. La quête pour une beaucoup plus grande efficacité énergétique, et un accroissement important du renouvelable dans notre mix énergétique sont au cœur du document. Mais encore plus important encore, le document oriente sa boussole vers la mise à niveau technologique du réseau actuel, l’implantation de microréseaux plus intelligents et une production plus décentralisée. Le document traçait un nouvel azimut important, une vision d’avenir cohérente.
Bien entendu, il y a un écart entre un plan et sa mise en œuvre. Déjà, le lobby gazier avait fait son nid chez Hydro-Québec. La société d’État a toujours eu tendance à externaliser, toute production n’étant pas de masse, et à prioriser les revenus rapides pour son actionnaire principal, le gouvernement du Québec. L’analyse est là ! Le défi est dans la mise en œuvre.
Le Plan sans la saignée des hauts dirigeants aurait-il changé les choses, on ne le saura jamais.
REJET PAR LE GOUVERNEMENT LEGAULT
Il est clair que Madame Brochu avait saisi la nécessité d’un grand virage d’avenir pour Hydro-Québec, vers la décarbonation de la société québécoise. Il est par contre, tout aussi clair qu’un tel changement de cap ne plaisait pas au gouvernement Legault et son chantre de l’affairisme Fitzgibbon. Pour eux, Hydro-Québec est la « vache à lait » de l’État québécois et permet d’engranger les milliards. Ceci permet de réaliser les promesses de rénovation des écoles, de maternelle quatre ans, de maison des aînés, en politique ; on doit assurer ses arrières. L’équation est simple, voire simpliste.
La logique du commercialisme appliqué à la Société d’État a toujours été très simple : produire plus d’hydroélectricité, pour attirer l’argent des grands énergivores. La vision est bien implantée dans la culture des mandarins de l’énergie au Québec. On construit. Ce qu’Hydro fait de mieux, des barrages ; on vend plus d’hydroélectricité et on attire les entreprises énergivores ; et le gouvernement encaisse les revenus. Ainsi, on peut remplir rapidement la promesse de « milliers de jobs payantes ». Le dogme du « Castor bricoleur » qui utilise l’ « électricité appât » et remplir le rôle de « vache à lait » pour l’État et créer des « milliers de jobs payantes ». On est bien loin du plan de l’équipe de Madame Brochu. La vision du gouvernement c’est le grand virage en « U », le « U-Turn » vers l’approche qui a si bien servi le gouvernement de Robert Bourassa.
Ceci explique le grand brassage dont nous sommes témoins chez Hydro-Québec, départ de la présidente-directrice générale Sophie Brochu ; de la présidente du conseil d’administration et d’autres dirigeants de la Société d’État. La loi pour la simplification de la tarification énergétique passée envers et contre tous, qui écartait en grande partie la Régie de l’énergie, marquait l’orientation énergétique antidémocratique de la CAQ. La nomination du surpuissant ministre de l’Énergie Fitzgibbon définissait le nouveau mode de fonctionnement autoritaire et soumis à la partisanerie politique, de l’outil politique Hydro-Québec. Le gouvernement n’avait rien à cirer du vaste processus de consultation, un peu bidon disons-le, piloté par madame Brochu et de l’avis des experts de la Société d’État. À regarder le document, on peut bien saisir que depuis la sortie du plan stratégique, c’était le bras de fer entre le gouvernement et la haute direction de sa « vache à lait ». Le pathétique grand brassage auquel nous assistons est le résultat direct de la majorité écrasante offerte à l’administration Legault lors de la dernière élection. Le « boy’s club » affairiste a maintenant les coudées franches.
La politique à courte vue tente de faire son nid.
PRINCIPALE FORCE DU PLAN
Pourtant le plan d’action issu surtout de consultations internes et de contributions de la haute direction d’Hydro offre une vision des plus prometteuse. Le document arrive à tracer assez précisément une voie qui reste, et restera incontournable. On doit mettre en place les structures permettant de rendre aussi efficace que possible l’énergie que nous produisons déjà. Le dorénavant célèbre « Dollorama de l’électricité » de madame Brochu exprimait assez bien ce souci d’utiliser intelligemment la ressource hydroélectrique. Une image qui collera à la peau du gouvernement Legault. Les idées intéressantes et pertinentes dans le document ne manquent pas. La « mise en bouche » du document est sans ambiguïté :
« Volet essentiel du développement durable et de la lutte contre les changements climatiques, la transition énergétique repose à la fois sur des fondements technologiques et sur des changements d’attitude et de comportement. Pour les exploitants de réseau électrique comme nous, elle comporte trois principaux volets :
— la décarbonation, soit le remplacement progressif des énergies fossiles par des énergies renouvelables à faible empreinte carbone ;
— le virage numérique, qui met à profit les nouvelles technologies pour optimiser l’exploitation des réseaux électriques et la consommation d’énergie ;
— la décentralisation, grâce à laquelle la clientèle peut jouer un plus grand rôle dans la production d’énergies renouvelables et la gestion de la consommation. »
Dans ces orientations, il n’est aucunement question de nouveaux barrages, de l’accueil d’une masse de nouveaux projets et de faciliter l’installation de multinationales énergivores comme le souhaite actuellement le gouvernement. On apprend pourtant dans le tout récent mémoire de la société d’état déposé en commission parlementaire qu’Hydro-Québec a reçu un nombre imposant de proposition de projets des plus énergivores. Cette réalité crée une conjoncture d’explosion rapide de la demande. Cette réalité couplée aux mesures d’électrification et aux perspectives d’exportation semble avoir activé le « bouton panique » du gouvernement. On ne peut pas laisser passer ces opportunités d’affaires. Cette mobilisation affairiste a souvent été commandée par le gouvernement de la CAQ, ce « Québec is open for business » est de bien mauvais augure. Vendre de l’électricité et produire plus à grand coût, au lieu d’investir dans l’efficience. Les Québécois écoperont à long terme.
Le plan d’Hydro-Québec, mal reçu par la CAQ, énonçait clairement la nouvelle vision de la haute direction qui s’est fait cavalièrement montrer la porte : « Dorénavant, nos priorités ne seront donc plus de vendre de grandes quantités d’énergie, mais plutôt d’aider le Québec à mieux consommer et de maximiser la valeur de notre énergie en ciblant les usages les plus porteurs. » Est-il surprenant de voir un François Legault réfractaire à l’idée d’inviter Madame Brochu pour présenter son plan en commission parlementaire ?
Le plan stratégique des dirigeants d’Hydro-Québec reconnaissait et avait considéré l’accroissement de la demande pour une électricité « verte », mais il a tout de même été tué dans l’œuf. Le document exprimait le fait que les nouveaux modes d’approvisionnement seront plus coûteux. Il soulignait la nécessité de moderniser le réseau, et bifurquer vers un réseau multidirectionnel pour produire plus et libérer de l’énergie. Ces entreprises nécessitaient des investissements dans les actifs vieillissants de la Société et l’implantation de nouveaux systèmes de gestion. Les fondamentaux y étaient. Tout le défi aurait été dans le comment ? La culture de « donneur d’ouvrage » chez Hydro-Québec a toujours été de laisser la place au privé pour toute initiative qui n’était pas précisément dans sa niche, soit la production d’hydroélectricité et son acheminement. Ce n’est pas au cœur de notre mandat, donc on externalise vers le privé.
Mais l’analyse des spécialistes de l’électricité au Québec dépeinte dans le rapport est bien loin de la vision affairiste à courte vue de méga-emprunts, pour des mégaprojets de production à des mégas distances, pour produire des « vite, vite, vite » des « jobs payantes ». Legault se penche sur la renégociation de Churchill Falls, de Muscrat Falls, et il énonce déjà ses intentions en direction de Gull Island ; mais il veut un projet de barrage en poche pour négocier. C’est un simple subterfuge. Géographiquement le Labrador et Terre-Neuve sont enclavés et au cœur de la toile de transport et de distribution hydroélectrique du Québec. Le Québec a toujours eu et aura toujours le gros bout du bâton dans les négociations. Une telle affirmation frise le chantage politique. Bref ! N’importe quelle excuse semble utile pour justifier le désir de relancer la construction de très coûteux nouveaux barrages.
On doit voir la position du gouvernement pour ce qu’elle est. Le simplisme politique à courte vue. Profiter de l’électricité patrimoniale, pour offrir des rabais en énergie aux multinationales et utiliser les Fonds publics pour financer une coûteuse surproduction. Une approche qui paraît bien lorsqu’on annonce des dizaines de projets énergivores en lancement de campagne électorale, et qu’on coupe des rubans devant les usines. Mais une approche profondément dommageable lorsque ces investissements perpétuent la négligence de la mise à niveau des installations, génèrent une vulnérabilité énergétique accrue des clients et imposent un poids croissant dans les dépenses pour pallier aux crises météorologiques en croissance. Maintenir la Société d’État dans les griffes du « politicaillage » est un immense danger.
UNE NOUVELLE PERSPECTIVE DE DÉCENTRALISATION
Le plan stratégique concocté par les experts d’Hydro-Québec oriente vers une perspective à beaucoup plus long terme. Il reconnaît que mondialement le secteur de l’électricité se transforme. Il souligne que les technologies bien adaptées aux petits réseaux de distribution progressent à vitesse rapide, et c’est une très bonne nouvelle. Technologiquement, les développements ne sont pas aussi rapides l’efficacité et la maintenance des équipements traditionnels de production et de transport à grande échelle. On doit réduire la dépendance totale envers l’immense et de plus en plus vulnérable réseau d’Hydro-Québec. Le rapport indique avec éloquence les priorités.
On comprend bien que les coûts d’entretien et de maintien de ces immenses infrastructures sont imposants. Par le fait même, avec le temps, la fiabilité des installations diminue. Une majorité de spécialistes s’entendent pour dire que les grands réseaux de masse fournissent les assises de base pour un accès aussi large que possible à l’électricité. Mais les microréseaux locaux, de proximité qui tendent vers un maximum d’autonomie, sont la voie de l’avenir en ce qui a trait aux performances et à la sécurité des installations. Le plan stratégique d’Hydro est parfaitement lucide sur les priorités pour moderniser le vaisseau amiral hydroélectrique et économique du Québec. Ces priorités ne cadrent pas avec le simple marchandage de kilowatts.
Dans le contexte des microréseaux, on parle de l’intelligence du réseau, et de ses fonctions multidirectionnelles. Les grands réseaux de masse sont unidirectionnels, on produit à partir d’une gigantesque infrastructure, et on distribue souvent sur de très longues distances. Il est difficile d’envisager ces grands réseaux comme étant multidirectionnels ; fournissant et recevant l’énergie de producteurs multiples, gérant divers lieux de stockage et de multiples variations installés. L’efficacité énergétique est un éélément central du plan car un kilowatt économisé libère en bonne partie de l’électricité patrimoniale d’une valeur de 0,03 $ par kilowatt. Vendu à un québécois, ce Négawatt (watt économisé) a une valeur de 0,07 $. Mais si on se fie aux plus récentes constructions d’installations ce kilowatt couterait 0,13 $ l’unité à produire. Mais si on parle de l’éventuelle construction de nouveaux ouvrages, sa valeur grimpe à plus de 0,17 $ le kilowatt, voir même plus. On comprend ici que les redevances sur les Négawatts qui pourraient être versées aux consommateurs ; ou aux pouvoirs locaux soit les redistributeurs peuvent devenir des incitatifs importants vers l’efficacité énergétique.
Pour terminer ici, il est important de noter ici l’étrange absence de la géothermie dans le plan stratégique d’Hydro-Québec. Il est absurde présentement d’envisager de nouveaux mégabarrages lorsque de nombreux bâtiments sont toujours mal isolés, mal fenestrés et gaspillent la puissance électrique des barrages. Que dire des bâtiments qui n’utilisent toujours pas leur propre masse thermique ou n’en ont toujours pas installé pour juguler la demande de pointe d’une centaine d’heures par année. L’aérothermie, les pompes à chaleur traditionnelle murales ou centrales peuvent combler jusqu’à 30% des besoins de chauffage des bâtiments. Et on ne parle toujours pas de l’immense potentiel de la géothermie capable de couper de plus de moitié les besoins de chauffage d’un client. Couplée à des masses thermiques, il est vraisemblable que ces systèmes éliminent la pointe de consommation énergétique. On parle ici de véritable efficacité énergétique capable de reporter aux calendes grecques les grands projets de barrages.
Il faut souligner ici que la géothermie est présentement la direction que semble choisir l’Ontario. Il faut dire que la province « plus riche » qui fait régulièrement fantasmer le premier Ministre Legault n’a pas le choix. Coincée entre les dizaines de milliards que nécessiterait le renouvellement de son parc de centrale nucléaire et l’explosion prévisible des coûts du gaz de schiste dont elle est dépendante compte tenu de la guerre en Ukraine ; les alternatives sont limitées.
Ce n’est certainement pas avec une Société d’État sous la botte d’un gouvernement avide de pouvoir économique, de chèque de « citoyens consommateurs », que l’efficience énergétique s’implantera. Le Québec a besoin d’une révolution énergétique.
RÉVOLUTION TRANQUILLE 2.0
Un véritable plan stratégique à la hauteur des défis actuels commande une nouvelle version de révolution tranquille. Le gouvernement du Québec doit se sevrer de son dépendance aux milliards d’Hydro-Québec. Il doit immédiatement régionaliser la distribution électrique et les petites productions. Il doit donc exproprier les sociétés privées qui opèrent les petites productions renouvelables, elles devront se contenter de négocier des contrats de gestion avec les municipalités et les MRCs qui en seront dorénavant propriétaires. On doit multiplier les services de redistribution municipale d’électricité de façon à transférer une expertise de maintenance aux municipalités comme c’est présentement le cas dans une dizaine de municipalités au Québec. Ainsi seront libérées les expertises de la société d’État pour la remise à niveau rapide des installations de production et de transport de masses.
L’implantation des microréseaux intelligents, des mécanismes de domotique et des nouvelles technologies de production, de pompage, de chaleur, d’échange et de stockage d’électricité constitue un énorme chantier qui sollicitera la totalité des expertises.
La Révolution tranquille 1.0 au Québec s’est matérialisée par la création d’un État et de son principal levier économique qui est toujours Hydro-Québec. Il est dorénavant nécessaire d’envisager une Révolution tranquille 2.0 qui doit assurer la sécurité des populations et la consolidation des instances de pouvoir locale. Ainsi l’argent des municipalités n’aura plus à venir de Québec en passant par Hydro-Québec. Le financement municipal sera basé sur la propriété et l’opération efficace de réseaux de production et de redistribution d’électricité renouvelable. Au Québec la solution à la décarbonation est portée de main ! Il ne manque que le courage politique.
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