Un formulaire mis en ligne par le ministère invitait en effet les citoyens-internautes à se prononcer uniquement sur les huit thèmes qui remplaceraient le volet culture religieuse, sans possibilité de réfléchir au contenu de ce dernier volet. De plus, trois rencontres ont été organisées par le ministère sous forme de consultations à huis-clos avec des experts triés sur le volet et dont l’identité est demeurée confidentielle. Enfin, aucune commission n’était prévue pour recevoir et discuter les mémoires déposés.
La volonté du ministre de l’Éducation Jean-François Roberge d’abolir le volet « culture religieuse » du programme ECR apparaît donc plutôt comme l’aboutissement logique de la laïcité identitaire promue par le gouvernement de François Legault et dont l’école semble être le banc d’essai, sinon le champ de bataille.
Cette position s’inscrit en effet dans le prolongement de la loi dite sur la laïcité de même que du projet de loi 40, récemment adopté par l’Assemblée nationale, lequel ne se contente pas d’abolir les commissions scolaires mais en profite également pour abroger toute allusion au développement spirituel des élèves dans la Loi sur l’instruction publique. Le programme ECR étant le dernier levier de l’État québécois pour promouvoir une éducation pluraliste en phase avec les défis que les sociétés doivent relever au 21e siècle, il n’est pas tout à fait étonnant que le gouvernement cherche à s’en débarrasser.
Il y a vingt ans, dans le cadre de la déconfessionnalisation du système scolaire, le Québec décidait pourtant d’offrir un enseignement des traditions religieuses et philosophiques, doublé d’une initiation à la démarche de réflexion et de discernement éthique. Par sa reconnaissance de la légitimité de la parole et de la croyance religieuses dans une société séculière, ECR devenait ainsi un laboratoire pour le déploiement d’une laïcité pleinement démocratique pouvant jeter les bases d’un projet de société résolument pluraliste, capable de paver la voie à un vivre-ensemble respectueux des différences, soucieux de lutter contre les discriminations et attentif à l’édification d’une culture publique commune.
Il s’agit là d’un modèle novateur qui a influencé la réflexion internationale. La menace actuelle d’abolition du volet « culture religieuse » du cours d’ECR place malheureusement le Québec en porte-à-faux avec un nombre croissant de nations occidentales ayant plutôt fait le choix de majorer le temps d’enseignement consacré à l’étude des faits religieux, afin d’outiller les jeunes générations face à la pluralité des visions du monde.
En cherchant à remplacer la culture religieuse par huit thèmes au goût du jour, le ministre Roberge propose aussi une vision appauvrie de la culture générale dont l’école devrait être la garante et la médiatrice, mettant ainsi en péril les héritages les plus riches des réformes issues du rapport Parent. Celui-ci ne proposait rien de moins que de fonder un nouvel humanisme, tout en plaidant en faveur d’une démocratisation de la culture générale humaniste, dont la culture religieuse est une composante essentielle.
Au plan pédagogique et civique, ECR demeure un apport fondamental et essentiel pour la société québécoise. D’abord par sa capacité à prendre au sérieux la liberté de religion, de même que son expression dans l’espace public. L’un des grands mérites du programme ECR est sa capacité d’aborder sereinement et de confronter respectueusement l’enjeu du pluralisme religieux et philosophique, en permettant aux jeunes d’expérimenter la pratique du dialogue civique et de l’interrogation éthique, dans une société où plus personne ne peut se soustraire au pluralisme des visions du monde. Ce faisant, ECR contribue à transcender la fausse dichotomie opposant croyants et non-croyants, foi et raison, religion et citoyenneté commune, en montrant comment les croyants et les non-croyants sont d’abord et avant tout des citoyens capables de s’enrichir mutuellement dans la recherche du bien commun.
Sans nier certaines insuffisances d’ECR, douze ans après sa mise en place, nous demeurons convaincus de sa valeur. Dans le mémoire que le Centre justice et foi vient de soumettre au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, il fait d’ailleurs sept propositions pour bonifier le programme.
Aussi exhortons-nous le ministre Roberge à ne pas agir précipitamment et à soumettre le programme ECR à une analyse patiente, pondérée, rigoureuse et approfondie. Un programme dont la posture humaniste, la pédagogie dialogique et l’ancrage interculturel demeure toujours pertinents et nécessaires.
Frédéric Barriault
Responsable de la recherche au Centre justice et foi
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