Tiré de rabble.ca Crédit : Doug Ford / Instagram
Mardi 13 juin 2023 / DE : KARL NERENBERG
Les politiciens qui cherchent à rebondir sur la question de l’environnement ont un nouvel angle d’attaque.
Ils affirment que ceux qui veulent agir contre le changement climatique sont, pour reprendre les termes du gouverneur de Floride et candidat à la présidence Ron DeSantis, en train de « politiser la météo ». C’est ainsi que le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a répondu aux questions de Marit Stiles, cheffe du NPD et de l’opposition officielle [1], sur les causes sous-jacentes des incendies de forêt et des fumées mortelles qui touchent actuellement une bonne partie de l’Amérique du Nord.
Voici comment se sont déroulés les échanges à l’Assemblée législative de l’Ontario, les mardi 6 et mercredi 7 juin, jours où des millions d’Ontariens ont suivi le conseil de fermer leurs fenêtres et d’éviter de s’aventurer à l’extérieur, où sévissait un miasme toxique.
Madame Stiles a commencé par souligner qu’ « à Ottawa aujourd’hui, les gens se sont réveillés avec un ciel étrangement sombre, la fumée des incendies de forêt ayant masqué le soleil. La cote air santé d’Environnement Canada est au plus bas. Les conditions sont si mauvaises qu’on demande aux gens de rester à l’intérieur. Des avertissements de risque élevé ont été émis pour Belleville, Cornwall, Gatineau, Kingston, Toronto et tout le nord-est du pays. Elle a ensuite demandé au gouvernement Ford de reconnaître, à l’instar de pratiquement tous les experts scientifiques réputés, le lien entre l’aggravation des conditions météorologiques et la crise climatique ».
Dans sa réponse, le ministre des ressources naturelles de M. Ford, Graydon Smith, qui représente une circonscription fortement boisée dans la région des chalets au nord de Toronto, a ignoré la question de Mme Stiles et s’est concentré sur la crise immédiate des incendies de forêt : « Nos efforts de préparation à la saison des incendies sont énormes et les investissements que nous avons faits pour nous assurer de pouvoir combattre ces feux sont considérables. Il ne s’agit pas seulement des gens qui sont en première ligne, mais aussi de notre Centre des opérations d’urgence de Sault Ste. Marie, qui surveille la situation des incendies dans toute la province, coordonne les interventions, fixe les priorités provinciales et veille à ce que nous disposions de ressources suffisantes. L’équipe de ce centre surveille les prévisions et s’assure que nous rendons compte en permanence et méticuleusement des données de la situation et que nous partageons ces données, une fois encore, avec nos partenaires partout au Canada. Nous avons des ententes de partage aux fins d’aide mutuelle avec nos partenaires provinciaux et internationaux pour nous assurer de nous protéger mutuellement... »
Une litanie de mesures anti-environnementales
Le ministre n’a pas dit mot sur la situation générale, sur les causes possibles de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des incendies de forêt, alors Mme Stiles est revenue à la charge. Elle a commencé par saluer « les premiers intervenants et toutes les personnes évacuées ». Puis elle a ajouté : « ce qui échappe au ministre, c’est que ces incendies et ces alertes à la mauvaise qualité de l’air s’aggraveront à mesure que la crise climatique s’approfondira ».
La cheffe du NPD a attiré l’attention sur le bilan environnemental du gouvernement Ford, qui a notamment revu à la baisse ses propres cibles en matière de climat. Par leurs actions, les conservateurs ontariens ne font qu’aggraver la crise climatique. « L’une des premières mesures prises par ce gouvernement a été d’arracher les stations de recharge pour véhicules électriques (VE) déjà installées. Ils sont en train d’abattre des pans entiers de la ceinture verte, un énorme puits de carbone. Ils ont gaspillé des centaines de millions de dollars pour annuler plus de 700 projets d’énergie renouvelable. Ce gouvernement mène l’Ontario dans la mauvaise direction en ce qui concerne la crise climatique », a ajouté Mme Stiles.
Cette fois, c’est le ministre de l’Énergie, Todd Smith, qui a répondu. La circonscription de M. Smith se trouve à l’ouest de Kingston, dans une région où les incendies de forêt ont eu de graves répercussions sur la qualité de l’air. Todd Smith n’a même pas pris la peine de répondre aux questions soulevées par Mme Stiles. Au lieu de cela, il a vanté l’efficacité énergétique théorique du système électrique de l’Ontario.
« Je pense qu’il est important que l’opposition sache exactement à quel point notre système électrique est propre, vert et fiable sur le territoire de l’Ontario. C’est un système qui va nous permettre d’éliminer des mégatonnes d’émissions à l’avenir. En veillant à ce que nous ayons un système propre et fiable en Ontario, qui n’émet qu’environ trois pour cent de nos émissions totales dans la province, et en maintenant un prix fiable et abordable, nous allons voir les émissions réduites dans d’autres parties de nos secteurs économiques, des parties plus émettrices de ceux-ci, comme notre secteur des transports », a déclaré M. Smith.
Le ministre de l’Énergie a également vanté les mérites des industries ontariennes qui se convertissent aux processus de fabrication électrique et a souligné l’émergence récente du secteur de la fabrication de véhicules électriques en Ontario, que le gouvernement fédéral de M. Trudeau a stimulé en lui accordant des milliards de dollars de subventions.
Le ministre de l’Énergie a établi un lien entre toutes ces activités et l’électricité prétendument propre de la province : « C’est pourquoi nous avons vu des investissements de plusieurs milliards de dollars dans nos installations de fabrication de véhicules électriques. C’est pourquoi nous voyons les fabricants s’orienter vers l’électrification de leurs processus en Ontario, ce qui va se traduire par une baisse des émissions dans notre système. C’est pourquoi nous voyons nos sidérurgistes passer à la fabrication d’acier vert avec des fours à arc électrique ».
Ford passe à l’offensive
Les deux ministres nommés Smith ont utilisé la tactique politique classique de la déviation et de la distraction. Le principe de base de cette stratégie est le suivant : Lorsque l’opposition soulève des questions embarrassantes, il faut changer de sujet et pointer ailleurs. Les professionnels de la communication donnent des cours sur ce genre de choses. Lorsque le premier ministre a finalement pris la parole, il a essayé une autre tactique, l’attaque ad hominem.
La question posée par Marit Stiles à Doug Ford était très simple. Après avoir, une fois de plus, reconnu la situation désastreuse des millions de personnes directement touchées par les incendies, le chef de l’opposition a posé la question suivante : « Nous nous apprêtons à vivre probablement la période la plus difficile de notre histoire : Les gens s’inquiètent à juste titre pour leur avenir immédiat et se demandent s’il s’agit là de la nouvelle réalité. Le premier ministre reconnaît-il que l’urgence climatique aggrave considérablement cette saison des incendies ? »
Réponse de M. Ford : « Je suis en fait choqué que la cheffe de l’opposition politise les incendies de forêt. C’est vraiment stupéfiant. Mais rien ne me surprend de la part de l’opposition. Il s’est ensuite replié, comme l’ont fait ses ministres, sur une récitation des mesures d’urgence immédiates prises par la province pour lutter contre les feux de forêt en Ontario. »
La cheffe du NPD s’est alors rebiffée : « Vous savez quoi, Monsieur le Président ? C’est une réalité scientifique. Ce n’est pas une saison des incendies ordinaire. Les gens s’inquiètent de cette nouvelle normalité et ils ont peur. Hier soir, dans l’agglomération de Toronto, l’indice de qualité de l’air était l’un des pires au monde, et dans la région d’Ottawa, l’indice dépassait le niveau 10, qui est à peu près le plus élevé. Alors que les personnes les plus proches des incendies sont évacuées, les écoliers de nos plus grandes villes sont confinés à l’intérieur et il est recommandé aux personnes souffrant de problèmes de santé de ne pas sortir. Ce n’est pas normal. Alors que des millions d’Ontariens ressentent aujourd’hui les effets très réels du changement climatique, le premier ministre va-t-il faire marche arrière avec son projet de raser le plus grand puits de carbone de la province, la ceinture verte ? »
Le premier ministre est ensuite passé en mode déni du changement climatique : « Laissez-moi vous parler du rapport dont j’ai eu connaissance. Le rapport dont j’ai pris connaissance : Environ 50 % des incendies sont déclenchés par la foudre ; les autres 50 % sont le fait de personnes qui allument des feux de camp et ne les éteignent pas correctement. Je demande donc à tous les Ontariens : S’il vous plaît, n’allumez pas de feux de camp ».
Une foule de spécialistes expérimentés de la lutte contre les incendies et d’experts en climatologie soulignent depuis des jours que si la cause de certains incendies peut être un feu de camp ou une cigarette, la férocité et l’intensité des incendies sont massivement accrues par l’impact du changement climatique sur les forêts.
Il en va de même pour les ouragans en Floride, malgré les hauts cris du gouverneur Ron De Santis. Les ouragans ne sont peut-être pas plus fréquents aujourd’hui que par le passé, mais les experts s’accordent à dire que le changement climatique les rend beaucoup plus graves et destructeurs qu’auparavant et que cela ne fera qu’empirer à l’avenir.
La petite lueur d’espoir dans le cas de M. Ford est que, contrairement à son homologue de Floride, il ne nie pas catégoriquement la réalité du réchauffement climatique causé par l’homme. Jusqu’à présent, cependant, le premier ministre de l’Ontario n’a guère manifesté de propension à vouloir faire quoi que ce soit pour enrayer ce phénomène.
[1] Marit Stiles, née le 20 septembre 1969 à Saint-Jean de Terre-Neuve, est une femme politique canadienne. Elle est cheffe du Nouveau Parti démocratique de l’Ontario depuis le 4 février 2023
Un message, un commentaire ?