Vos enfants se chicanent et vous les engagez à une réconciliation qui doit finir par une embrassade. Euh… ouais, ça se fait encore, mais avec nuances, selon les circonstances.
Vos ministres se chicanent et vous leur demandez de s’embrasser !!!???
D’abord, si ça avait été deux hommes en froid, jamais on ne leur aurait dit de s’embrasser. Tout au plus on les aurait engagés à se serrer la main.
Rien que là, il y a un monde de commentaires à faire. Pourquoi s’embrasser, sinon parce qu’il s’agit d’un homme et d’une femme ?
Ça n’est pas anodin : ça reflète la culture actuelle où, parce qu’on est une femme, on n’a plus droit au serrement de mains, distant et respectueux, mais on doit se plier au joue à joue, qui nous impose une proximité parfois carrément détestable.
Vous voulez des détails ? Les joues piquantes de barbe – et les réactions allergiques qui s’ensuivent parfois ; les joues odorantes de lotion après-rasage - qui laissent sur nous une odeur étrangère ; les joues mouillées de sueur - dont on essuie discrètement les traces humides.
De temps en temps, indéfinissable mais nettement ressentie, une sexualisation impossible à dénoncer comme agression, mais qui ouvre la porte à d’autres approches qu’il faudra bien refuser si on veut sauvegarder son intégrité.
Vous êtes une femme, vous tendez la main pour éviter le baiser d’office ? Pas de chance : le vis-à-vis s’empare de votre main pour rapprocher les corps et déposer, une fois de plus, ce fameux baiser de joue passé dans les mœurs.
On finit par laisser faire, c’est tellement généralisé. On a des batailles plus importantes à mener, n’est-ce pas ?
Et puis, un beau matin, comme ça, vous lisez que votre premier ministre a demandé à un ministre homme et une ministre femme de s’embrasser en public pour se réconcilier.
Pas de se serrer la main, mais de s’embrasser ! C’est tellement incongru qu’il précise : « Pas sur la bouche ».
Malaise. La proximité physique homme-femme imposée comme gage de réconciliation politique.
Un cran plus loin : paternalisme ! Je vais être politiquement incorrecte : passe encore que Legault soit tenté de traiter Jolin-Barrette comme un enfant, lui qui se comporte plus souvent qu’à son tour comme un adolescent arrogant (tenté, mais il n’avait pas à passer à l’acte). Mais qu’il traite Sonia Lebel, une juriste chevronnée, sérieuse et mature, comme une petite fille à qui on dit d’embrasser son frère, voilà qui est doublement inacceptable.
Il me semble pourtant que ce modèle du bon père de famille a été retiré tant de notre code civil que des manuels de gouvernance. C’est le patriarcat soft qui revient en force. Celui-ci ne fait pas que remettre les femmes à leur place, il crée aussi parmi les hommes une hiérarchie où les jeunes doivent se soumettre au patriarche, au puissant, déguisé en père de famille pour faire croire qu’il agit pour le bien commun. C’est exactement sur ce registre et avec ce ton de bon papa que Legault s’adresse à la population. On n’a pas fini de déraper.
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