En juin dernier, alors qu’elle finissait de préparer des affiches pour cette campagne au bureau du Parti républicain juste au sud de Youngstown, une dame de 80 ans l’a approchée pour lui dire : « Jamais de ma vie je n’ai voté pour les Républicains. Donnez-moi la plus grande affiche que vous ayez ».
Dans les secteurs comme le comté de Mahoning où la plupart des entreprises manufacturières ont fermé, on se bat pour vivre. Plusieurs membres de la classe ouvrière blanche qui votaient pour les Démocrates, cette année vont voter Trump. C’est ce que démontre les listes d’inscription électorale et les primaires pour la présidentielle de 2016.
Mme Miller pense que toutes ces personnes en ont assez : « L’économie y est pour quelque chose pour certains-es, pour d’autres c’est le système scolaire ou les soins de santé ou encore l’immigration, l’éducation, ça peut être n’importe quoi. Ils n’en peuvent plus de la façon dont notre comté est mené. M. Trump est arrivé juste au bon moment ».
Selon un sondage de Public Religion Research en novembre 2015, 72% des Américains-es et 78% des membres de la classe ouvrière blanche croyaient que le pays est encore en récession. En 2002, des résultats d’une recherche (General Social Survey) réalisée par le Centre national de recherche d’opinions de l’Université de Chicago, analysés par News21 démontrait qu’ il n’y avait que 20% des Américains-es de race blanche qui avait une certaine confiance dans l’exécutif du gouvernement fédéral. Il y en avait encore moins entre 2002 et 2014. En 2014, on en comptait presque 50%.
M. Rex Repass, fondateur et p.d.g. de Repass, une firme publique et nationale de sondage et de consultation en stratégie d’entreprise, avance que : « Les électeurs-trices qui n’étaient pas liés-es à un parti, qui ont perdu leur emploi à cause de politiques qui ont affecté l’industrie du charbon et de l’industrie lourde manufacturière, se sentent très frustrés par Washington. Même dans les comtés historiquement démocrates, il y a un virage vers les Républicains. Il y a beaucoup de colère ».
Au Tennessee, en 2000 et 2004 les Démocrates ont gagné dans un comté aux élections présidentielles. Mais, après qu’une manufacture de vêtements ait délocalisé ses opérations au Mexique, ce sont les Républicains qui ont gagné en 2008 et en 2012.
Dans le comté de Mahoning en Ohio, cette année, après la fin de l’industrie de l’acier qui s’y trouvait, plus de 6,000 électeurs-trices sont passé du Parti démocrate au Parti républicain. La même chose s’est produite dans le comté de Westmoreland en Pensylvanie. La frustration devant la fermeture des aciéries et la hausse des prix des soins de santé y ont fait changer de camp 5,400 électeurs-trices (en faveur des Républicains).
Dans un comté du Kentucky, les résidents-es complètement frustrés-es par la mort de l’industrie du charbon, ont voté à 31% pour les Républicains aux élections présidentielles de 2000 et à plus de 72% en 2012 et même s’ils demeuraient inscrits au Parti Démocrate.
Dans le comté de Clay au Tennessee qui jouxte la frontière du Kentucky, se trouvaient quatre usines de vêtement. À Celina, le siège du comté, il y en avait deux. Dans la plus grande de ces usines, OshKosh, on fabriquait des vêtements pour enfants. Elle a toujours employé de 1,500 à 2,000 personnes entre 1950 et 1990.
Dans un comté dont la population se chiffre en 7,000 et 8,000 habitants, tout le monde y travaillait ou connaissait quelqu’un qui y travaillait.
Selon M. Doug Young, directeur du programme Three Star Initiative dans ce comté, « Presque n’importe qui à la recherche d’un emploi, pouvait en avoir un à OshKosh ». Le programme Three Star Initiative est maintenant consacré à l’amélioration des infrastructures dans le comté de manière à y ramener de l’emploi.
Les usines ont fermé leurs portes en novembre 1996. La délocalisation s’est faite vers le Mexique où la main d’œuvre est moins chère. C’est l’ALÉNA qui a provoqué cette ouverture. Ce traité établissait une zone de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique en éliminant la majorité des tarifs sur la circulation des marchandises entre ces trois pays. Du jour au lendemain, le chômage à grimpé à 30% dans cette région. Des centaines de résidents-es du nord du Tennessee ont perdu leur emploi.
Une industrie de taille de vêtements militaires, Racoe Inc., s’est installée dans l’ancienne usine OshKosh en décembre 1997. Il n’y a maintenant que 6 personnes qui travaillent dans cet édifice de 66,000 pieds carrés.
Du travail a été fait dans ce comté pour sortir du marasme. L’industrie forestière est maintenant importante ; elle profite des grandes étendues boisées. Les camions chargés de bois traversent les petites localités plusieurs fois par heure.
La population de ce comté est blanche à 97%. Le chômage y était à un peu plus de 5% en 2016, quelques fractions de pourcentage au-dessus de la moyenne nationale à 4,7%. Mais son taux de pauvreté est à 24%. Les électeurs-trices passent des Démocrates aux Républicains.
Lors des primaires de mars 2016, Donald Trump a récolté 57,1% des voix du comté de Clay. Son adversaire, Ted Cruz n’a réalisé qu’un 17,1% mais cela représentait le double des votes accordés à la candidate démocrate, Mme Clinton.
Timothy Scott, le président des Démocrates du comté de Clay raconte que des personnes âgées s’installent là, près du lac Dale Hollow qui attire 3 millions 200 mille visiteurs par année. Il dit aussi que la plupart de ces retraités-es ont tendance à voter pour les Républicains mais il est convaincu que cela a à voir avec le discours attractif de D. Trump : « Tout le monde est en colère. Son discours reflète ce sentiment et lui donne sa popularité. Il va y avoir un bon nombre de Démocrates qui vont voter pour lui ».
M. Scott explique aussi que si les personnes âgées arrivent dans le comté, les jeunes le quittent parce qu’ils n’y trouvent pas d’emploi à la fin de leurs études.
Pour Doug Young, les électeurs-trices du comté se sentent délaissés-es par les politiciens-nes qui ne feraient rien pour développer l’emploi : « Je ne crois pas que ce soit à cause de cette attitude que nous avons perdus nos emplois, mais personne ne peut vraiment nous aider ».
Dans la Rust Belt de l’Ohio et de la Pensylvanie, l’industrie de l’acier dominait. Mais avec la délocalisation du travail en Chine, les électeurs-trices sont devenus-es de plus en plus frustrés-es. Le chroniqueur politique du journal Vindicator à Youngstown, M. Bertram de Souza, analyse que quand l’industrie de l’acier s’est effondrée en 1970, cette région n’était absolument pas préparée à un tel événement. 40 ans après ces fermetures, le taux de pauvreté de Youngstown est de 40%.
M. Frankie Susany âgé de 50 ans et qui a grandit dans la région de Youngstown, soutient qu’il n’y a plus d’opportunités dans le secteur. Il travaille maintenant dans sa propre petite entreprise : « Ce qui rendait cette ville attrayante s’est transformé en champs desséchés, en aciéries abandonnées, en bâtiments et usines abandonnés-es ».
Le discours de M. Trump qui veut « rendre l’Amérique puissante à nouveau », a de la résonnance chez M. Susany. Il raconte que quand il a grandit, les jeunes gens qui travaillaient dans les aciéries avaient une bonne vie. Ils conduisaient leur voiture et avaient leur propre maison où vivre dès leur sortie de l’école. Maintenant que cette industrie n’est plus là, il croit que les électeurs-trices doivent voter en pensant aux générations futures : « C’est ce qui importe dans cette élection. Si nous ne changeons pas les choses maintenant, nous petits enfants ne verront jamais les États-Unis que les gens de mon âge ont connus ».
En mars 2008, seuls 14% des électeurs-trices enregistrés-es du comté de Mahoning où se situe Youngstown, ont voté pour les Républicains. Au cours des primaires, en mars de cette année, plus de 48% l’ont fait. Les travailleurs-euses d’élection on dû imprimer des bulletins de vote supplémentaires pour les Républicains. Ce sont plus de 6,000 personnes qui sont ainsi passées des Démocrates aux Républicains.
M. Leo Connelly, un ancien combattant de la guerre du Vietnam et ex vendeur, a voté pour Barack Obama en 2008 et en 2012. Cette année il a voté Républicain, pour M. Trump au cours de la primaire. Il explique qu’il est déçu de M. Obama qui n’a pas réussit à remettre le pays d’aplomb et qu’avec les autres il ne veut pas se faire passer un sapin à nouveau cette année.
Dans le comté de Westmoreland, en Pennsylvanie, les blancs représentent 94% de la population. Le taux de pauvreté est à 10% et 5,400 électeurs-trices ont changé de camp en faveur de M. Trump et du Parti républicain. Les aciéries de la région ont fermé en 1980. Les résidents-es sont amers-ères déclare M. Blair Adams, 3ième génération de propriétaire de l’usine de fabrication, K Casting : « Toutes les aciéries, les grandes fonderies sont parties. Tous ceux et celles qui travaillent encore dans ce secteur changent de parti ; ils et elles savent que leurs emplois sont menacés ».
Dans le secteur des mines de charbon du Kentucky, pendant des générations, les familles ont passé leur vie à travailler dans ces mines. Tous ces emplois ont disparu. Ceux et celles qui votaient pour les Démocrates cherchent ailleurs pour du changement et des chances d’une amélioration de l’économie.
Mimi Pickering, cinéaste chez Appalshop, un centre de formation du secteur des médias près de Whitesburg, pense que ce qui est arrivé là est une catastrophe qui s’est ajoutée à un désastre : « Au cours des dernières années, nous avons perdu un grand nombre d’emploi dans les mines. Mais l’économie du charbon déclinait et les emplois avec ; ils ont d’ailleurs commencé à décliner en 1950 ».
Quand le charbon est devenu plus rare et plus cher à extraire dans le nord du Kentucky, les compagnies ont déménagé leurs activités au Montana et au Wyoming où le travail est moins coûteux et plus facile. Elles ont aussi commencé à utiliser des technologies plus avancées qui ont largement fait diminuer le nombre de mineurs. Au même moment, le gouvernement a imposé de nouvelles normes environnementales et encouragé les États à passer du charbon au gaz naturel comme source d’énergie. Des résidents-es du Kentucky, comme cet ancien mineur de 81 ans, M. Ballard Combs, tient M. Obama pour responsable des ces changements. Il déclare : « J’aime les mines. C’est M. Obama qui les a toutes fermées ». Cet homme a passé sa vie sous terre.
Dans le comté de Knott, 98% de la population est blanche. 90% des électeurs-trices inscrits-es sur les listes électorales votent pour les Démocrates parce que leur famille a voté ainsi depuis des générations. Mais, depuis 2008, le vote pour les candidats républicain à la présidentielle a sensiblement augmenté. Comme son père, M. Combs était démocrate mais, il vote maintenant pour Donald Trump. Un commis du comté de Knott, M. Ken Gayheart, raconte que des Démocrates enregistrés-es sur les listes électorales passent à son bureau tous les jours pour modifier leur affiliation en faveur des Républicains. Il explique que quand les aciéries ont fermé aucune autre industrie n’est venu combler le vide : « Ces vieilles collines n’ont jamais valu grand-chose, déclare-t-il, nous ne produisons rien ici, nous ne fabriquons rien dans ce comté ».
Presque la moitié de la population de ce comté vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage en mai dernier était à 10,5%.
Pour M. Tim Marema, vice-président du Center for Rural Strategies, près de Whitesburg, l’est du Kentucky est en mauvais état tout comme beaucoup de zones rurales du pays : « Il faut que ça change. C’est pour cela que les électeurs-trices se tournent vers M. Trump ».
Pervis Jacobs a 65 ans. Il a grandit à Hindman au Kentucky. Toute sa vie il a été démocrate mais cette fois, il va voter pour D. Trump. Il déclare : « J’ai le sentiment de ne pas avoir le choix. C’est simple, je n’aime plus les politiques des Démocrates ».
M. Nick Patterson, adjoint aux opérations du Honest Abe Log Homes et président de Barky Beaver Mulch dans le comté de Clay au Tennessee, dit que les compagnies avaient l’habitude d’employer jusqu’à 500 personnes. Maintenant elles n’en emploient plus que 130. Il explique : « Je pense qu’un des facteurs clés de l’actuel débat politique quand on le compare au proche passé, c’est que les coûts généraux reliés aux salaires a augmenté dramatiquement. Ce sont des changements dans les régulations fédérales qui ont provoqué cette situation ». Il déclare aussi que la situation de l’économie chinoise a fait mal à sa petite entreprise. Les affaires aux États-Unis ne sont pas suffisamment actives. Donc, plus de 50% de sa production de bois dépend des achats des étrangers.
Pour Mme Leslie Rossi, dirigeante d’un groupe communautaire en faveur de M. Trump, dans le comté de Westmoreland en Pennsylvanie, c’est la loi sur les coûts de santé, (Obamacare), qui l’ont fait se tourner vers M. Trump. Elle a repeint sa maison en rouge, blanc et bleu pour soutenir son candidat républicain. Elle explique que : « Cette loi ne fonctionne pas ; ce n’est qu’un poids de plus. Les gens n’ont toujours pas plus de soins de santé et ceux et celles qui en ont payent plus cher que jamais. C’est un changement pour pire ». Elle pense aussi que les immigrants-es profitent de ce que les Américains-es, spécialement les anciens-nes combattans-es devraient recevoir : « Comment pouvez-vous donner aux immigrants-es des soins de santé gratuits alors que les citoyens-nes de ce pays, qui se sont battus pour ça ne reçoivent pas ce dont ils et elles ont besoin. Ça me rend malade » !
Aux États-Unis, les immigrants légaux peuvent acheter des assurances santé. Par contre, les immigrants illégaux ne sont pas éligibles à ces achats sauf s’ils le font pour une personne possédant les papiers requis par la loi, selon HealthCare.gov. Les anciens combattants reçoivent leurs soins via la Veterans Health Administration.
En 2014, News21a analysé des données de General Social Survey et trouvé que 48% des personnes de race blanche pensaient que le nombre d’immigrants-es devait baisser. Seul 13% de ces sondés-es croyaient que ce nombre devrait augmenter. Le même sondage mettait en évidence que presque 29% des Américians-es de race blanche pensent que les immigrants-es prennent leurs emplois et qu’environ 7% sont fortement d’accord avec cette croyance.
M. Patterson pense que M. Trump est perçu comme un politicien de l’extérieur (des organisations politiques habituelles) surtout par ceux et celles qui se sentent ignorés-es par les politiciens-nes typiques : « Les gens ne se sentent pas entendus parce que, une fois arrivés-es au niveau fédéral, les politiciens-nes adoptent des lois et règlements qui n’aident pas la population lorsqu’ils sont répercutés sur le terrain. Je pense que bien des promesses qui sont faites au cours de cette campagne ne sont tout simplement pas vraies. Je pense que cela fait réagir les gens ».
Mme Miller, la présidente de la campagne de M. Trump dans le comté de Mahoning dit que les Américains-es devraient se passer des politiciens. Elle appuie M. Trump parce qu’il est un homme d’affaire et que cette expérience va lui permettre de créer de nouveaux emplois et développer l’économie : « Nous avons besoin de quelqu’un-e qui connait et comprend les affaires, peut faire marcher les choses, qui comprend comment l’économie fonctionne et qui a eut des employés-es. Je pense que ce sont mes principaux reproches aux politiciens-nes en poste jusqu’ici. Je pense que M. Trump a déjà fait tout ça ».
M. Scott, l’ex président des Démocrates dans le comté de Clay au Tennessee, dit que les candidats-es républicains-es ont toujours parlé des enjeux sociaux comme l’immigration, le contrôle des armes à feu et des droits des gays. Mais il lui semble que cette années, la discussion est plus enflammée. Il lui parait que l’attitude de M. Trump, pour qui il ne votera pas, a résonné chez beaucoup de personnes ; il leur a permis de se faire entendre, leur a donné du courage.
Mme Miller pense que les partisans-es de M. Trump veulent un changement profond qu’ils et elles sont convaincus-es de trouver cela chez ce candidat : « Ma génération a tout vu. Nous avons entendu les promesses et nous avons constaté que nous n’en avons rien tiré. Nous voulons seulement un pays qui travaille, nous voulons des emplois, la protection des frontières et un avenir pour nos enfants ».