Alors il faut certes accueillir les craintes de chacun·e par rapport au déconfinement progressif qui va se produire. Mais si vous n’êtes pas une personne particulièrement vulnérable au SARS-CoV-2 [1], vous avez plus de risque de mourir d’autres choses, comme avant. Cela dit, il faut accueillir ces craintes et appréhender le choc civilisationnel que cette pandémie représente pour l’« invincible » Occident, sécurisé, vacciné, traité : seule lui reste la réduction des risques par les mesures barrières, comme ce Tiers-Monde qui la pratique tous les jours pour des maladies transmissibles qui pour nous sont ici bénignes.
Et en termes de COVID-19, il n’a d’ailleurs jamais été question d’avoir un objectif zéro morts, mais plutôt de ne pas être débordé dans les hôpitaux, au point de choisir quelle personne coropositive sera réanimée, et surtout, de ne plus pouvoir soigner les autres pathologies coutumières. On sait d’ailleurs que la mortalité liée aux autres maladies est ou sera, faute de soins habituellement immédiats, en augmentation à cause de la mise en pause des traitements des pathologies non urgentes sur le plan vital (accidents cardio-vasculaires, infarctus légers, cancers débutants), et la peur de se faire contaminer en allant consulter à l’hôpital.
Selon l’OMS, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladies ou d’infirmité ». Et en ce moment, notre santé mentale et sociale n’est pas non plus en pleine forme. Et l’horizon du déconfinement à venir est trouble. Notamment parce qu’il va falloir intégrer collectivement que nous allons devoir vivre avec une nouvelle maladie mortelle, dont seuls nos comportements collectifs de réduction des risques diminueront au bout du compte la létalité populationnelle [2]. Car les morts vont continuer. Nos ainé·e·s vont mourir plus que d’habitude, et ce jusqu’à ce que nous aillions un vaccin ou des traitements efficaces.
Mais si le confinement est pour le moment le moyen le plus efficace de réduction des risques liés au coronavirus, pourquoi déconfiner aussi vite ? Notamment les écoles ? Question difficile qui nous échappe, entre les mains des scientifiques et l’arbitrage des gouvernant·e·s, qui savent que le coût sanitaire et létal d’un effondrement socio-économique serait bien pire. Évidemment, les organisations syndicales et les mouvements sociaux vont avoir un rôle central à jouer dans le contrôle des mesures sanitaires mises en place. J’attends de voir sur le terrain, mais pour le moment, en ce qui concerne ma commission scolaire et son personnel de soutien, l’ensemble des mesures barrières recommandées par la Santé publique et la CNESST seront de mise.
Néanmoins, une question demeure : pourquoi le personnel qui habite avec, ou aide des personnes vulnérables est-il obligé de retourner au travail ? Ne s’agit-il pas d’un risque pour ces-dernières ? Oui, certainement. Et c’est le cœur du débat : le risque. Ce risque sanitaire que nous avions oublié, nous qui nous payons le luxe d’avoir des débats sur la vaccination, alors que des millions de personnes n’y ont même pas accès pour les pathologies les plus « banales ».
Pas étonnant alors que nous aillions toutes les difficultés du monde à accepter le moindre risque, ni même à intégrer les stratégies épidémiologiques de réduction de ces risques qui sont pourtant légions ailleurs. Et que nous avons déjà pratiquées avec le VIH : le masque d’aujourd’hui est le préservatif d’hier. La généralisation de l’usage du condom n’a d’ailleurs pas été facile : alors que les gais l’ont adopté relativement vite, et massivement – notamment parce qu’ils ont statistiquement 200 fois plus de chance que les autres de rencontrer le VIH dans leur vie sexuelle – il a toujours été boudé par les personnes hétérosexuelles. En effet, face aux risques sanitaires, nous ne sommes pas tou·te·s égaux/ales, tributaires des déterminants sociaux de la santé et des prévalences communautaires différentielles des pathologies.
Ainsi, le personnel soignant courre beaucoup plus de risque que les autres. Le personnel de l’éducation prend aussi plus de risque que la moyenne. Mais n’est-ce pas inhérent à leurs métiers ? N’est-ce pas là une des contraintes de leurs professions ? N’est-ce pas là consubstantiel à leur mission de service public ? En effet, s’étonne-t-on de la mort d’un militaire ? Se surprend-on d’une brûlure d’un pompier ? Sommes-nous stupéfait·e·s par la blessure d’un personnel des forces de l’ordre ?
En effet, le serment d’Hippocrate ne s’arrête pas aux portes des CHLSD, comme la mission de service public ne s’arrête pas en temps de pandémie. Par contre, une chose est nouvelle : tout un tas de métiers qui n’étaient jusqu’à lors pas concernés par la mission de service public, sont en tout cas devenus des services essentiels. Leur contrat avec les menaces sanitaires a changé. Et pour ça, ils – et surtout elles – n’étaient pas prévenu·e·s. Enfin, on n’est pas obligé de poursuivre notre maltraitance vis-à-vis des personnes âgées en obligeant les plus jeunes d’entre elles à revenir au travail [3].
Notes :
[1] Nous ne sommes pas égaux ni égales face à ce nouveau virus :
https://www.pressegauche.org/Confinement-d-un-syndicaliste-franco-quebecois
[2] Sur la réduction des risques, lire l’excellente tribune Prévenir ou guérir, un modèle à dépasser :
https://www.liberation.fr/debats/2020/05/05/prevenir-ou-guerir-un-modele-a-depasser_1786946
[3] Réouverture des écoles : la maltraitance de nos ainé·e·s ça suffit !
https://montrealmetro.ftq.qc.ca/actualites/reouverture-ecoles-maltraitance-de-nos-aine%c2%b7e%c2%b7s-ca-suffit/
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