La première fois que Léon Maillé a lutté, c’était il y a quarante ans, quand il a refusé de vendre ses terres à l’armée. Il était encore « normal, catho ». Votait à droite.
« C’est après que je devenu antimilitariste, bouddhiste et altermondialiste… »
Il a l’accent aigu et la barbe blanche. Ce 19 février, il descend du plateau du Larzac avec le ban et l’arrière-ban, néoruraux et contestataires.
Il se passe quelque chose à Nant, 700 habitants. La coordination du Sud-Aveyron contre le gaz de schiste donne rendez-vous dans ce village du parc national des Cévennes. José Bové arrive de Bruxelles pour animer la réunion. Il dit :
« Si l’autre vallée arrive, c’est que l’heure est grave. »
Il embrasse ses copains venus de Lozère et du Gard. Le maire, candidat aux cantonales, a compris qu’il fallait venir. Le gymnase est plein.
Un meeting aux accents révolutionnaires}
Le Larzac a découvert dans un même mouvement qu’il était assis sur un faramineux gisement de gaz et que le gouvernement avait déjà accordé des permis de forer à plusieurs sociétés – dont Total et GDF Suez –, qui pourront planter leurs derricks où elles veulent. Depuis, les « anciens » se repassent le film. C’est la lutte.
Ce soir, ça devait être une petite réunion pour préparer une journée d’action : combien on imprime d’affiches ? Qui sont les porte-parole ? Qui monte les réunions dans les villages ? Comme un coup de grisou, ça s’est transformé en meeting aux accents révolutionnaires. Quand le gaz de schiste est à l’ordre du jour, les salles deviennent trop petites pour contenir tous les citoyens inquiets.
José Bové a pris la tête de la mobilisation contre cette nouvelle source d’énergie. Tout le Sud bouge. Michèle Rivasi, collègue au Parlement européen, « n’a jamais vu une mobilisation pareille » en Ardèche et dans la Drôme :
« Personne ne veut de ça chez nous ! Ça bouge sur toutes les facettes de la société. Il y a des géologues, des traducteurs, des juristes, chacun veut apporter sa contribution. »
A Nant, il est plus de minuit quand le député européen met fin à la réunion. Il prévient que la lutte sera longue. Il est sur ses terres, entouré de sa bande de copains. Ceux du Larzac ont fait des enfants, certains ont gardé le même élan qu’autrefois. Les yeux brillent à l’idée de remettre le couvert.
Des militants supplient Bové de « refaire un Larzac »
Dix ans de batailles sur le causse (1971-1981) pour faire plier l’Etat français et enterrer l’extension du camp militaire. Puis le fauchage des OGM et le moratoire. Et le démontage du McDo de Millau : prison ferme, mais notoriété mondiale pour l’ancien leader de la Confédération paysanne.
Maintenant, José Bové veut un moratoire sur les gaz de schiste. Il ne laissera par trouer le sol à coups de millions de litres d’eau et de produits chimiques. Il ne laissera pas des milliers de camions traverser ces tranquilles paysages agricoles.
Le gouvernement a accordé des permis d’exploration pour cinq ans. Ce « viol » des engagements de Borloo au Grenelle de l’environnement a réveillé la résistance. On parle de désobéissance civile, de non-violence. Des militants supplient Bové de « refaire un Larzac ».
On parle de « descendre sur Paris », de « bloquer le pont de Millau en une heure ». Le député sourit derrière sa pipe, serein : « On a le background nécessaire. » Il s’assure que chacun « s’équipe de démonte-valves pour dégonfler les roues des camions ». Léon Maillé, l’ancien catho devenu contestataire :
« La non-violence, c’est comme le judo. Prendre la force de l’adversaire et la retourner contre lui. Du moment qu’on n’a pas peur des flics, c’est eux qui auront peur. »
« On n’est pas là pour se faire gazer »
Il y a quarante ans, il a signé le « Serment des 103 », il s’est dressé avec une poignée de paysans contre l’armée, qui voulait les déloger. Il a frayé avec les soixante-huitards de la ville, « venus à 50 000 dans le désert, en 1973 ». Puis avec les « néo » (pour néoruraux), comme Bové, élevé à Bordeaux.
Avec lui, Maillé a campé sous la tour Eiffel, fait entrer les brebis dans un tribunal, passé quelques jours en prison. Il a reçu Théodore Monod, Jean-Marie Tjibaou et encore, il y a quelques jours, Stéphane Hessel. Un esprit particulier est né de cette fusion entre anciens et néoruraux. Robert Auger, pâtissier à Nant :
« Ces gens venus d’ailleurs ont amené de nouvelles idées. Un bon prix pour le lait de brebis face à Roquefort, le marché en vente directe, la production d’aromatiques…
Ils ont repeuplé les hameaux, ouvert des écoles… Grâce à eux, la campagne est vivante alors que l’armée fermera un jour ou l’autre son camp. »
Il jure qu’il ne se laissera pas pourrir le paysage.
« Un petit canal ancestral amène l’eau de la source du Durzon dans chaque jardin. Personne n’est prêt à perdre cette eau gratuite et bonne. »
Chacun a en tête les images traumatisantes du documentaire « Gasland », de l’Américain Josh Fox, où l’on voit le gaz s’échapper d’un robinet et s’enflammer. Hubert Borg, spéléologue, vivement applaudi :
« J’ai pas envie que l’eau brûle demain. Si l’eau vient à manquer, ça va être la guerre. Je suis un père de famille, pas un agitateur, mais on n’est pas là pour se faire gazer. »
Le code minier autorise Chuebbac, l’entreprise titulaire du permis, à planter ses derricks où elle veut. Bernard Saquet, maire de Nant, s’emporte :
« Nos vallées ne sont pas des tickets de métro qu’on peut perforer sans l’accord de leurs propriétaires. »
Léon Maillé travaille sa défense en vieux sage. « Le PDG de Total est plus intelligent que l’armée », dit-il.