Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Le capitalisme a réussi à gâcher la COP16 de Cali sur la biodiversité

Contre le profit, exiger l’expropriation de Ray-Mont Logistiques

Pendant que l’entreprise Ray-Mont Logistiques s’est auto-délivrée un certificat de bonne conduite quant à la pollution par le bruit, tout en négligeant celle par la poussière et comme îlot de chaleur, la Ville de Montréal s’auto-déclare impuissante suite à une décision judiciaire défavorable qui en plus lui a valu une poursuite couteuse pour cause de profits perdus par l’entreprise. Candidement, la Ville de Montréal avoue que « [c]e dossier ne contribue pas à l’atteinte des résultats de Montréal 2030, des engagements en changements climatiques et des engagements en inclusion, équité et accessibilité universelle ». (OCPM – Ville de Montréal, Site Ray-Mont Logistiques - Secteur Assomption Sud) Il ne vient pas à l’idée de la Ville que la catastrophe tant climatique que celle de la biodiversité exigent d’aller au-delà de cette défaite judiciaire.

4 novembre 2024

Qu’est-ce à dire pratiquement ? Quand il a fallu, il y a une cinquantaine d’années, construire ce réseau d’autoroutes urbaines si affligeant par son parti-pris pour l’envahissante auto solo qui pollue et structure la trame urbaine, les différents niveaux de gouvernement ne se sont pas gênés pour exproprier à la pelletée malgré une forte opposition citoyenne. Le quartier Hochelaga-Maisonneuve a connu l’expropriation massive du secteur de la rue Notre-Dame… pour rien, ce qu’il lui a valu le prix de consolation d’une piste cyclable arborée. Aujourd’hui, la préservation et la restauration de la nature ont besoin d’autre chose qu’un prix de consolation. Il faut leur accorder la priorité et exproprier pour ce faire la propriété privée tout en faisant justice aux personnes expropriées sans tomber dans le piège spéculatif.

Les catastrophes démontrent l’importance cruciale de la préservation de la nature

Il tombe sous le sens que la nature est devenue prioritaire alors qu’elle aurait toujours dû l’être. La nature terrestre et océanique absorbe normalement la moitié des émanations de gaz carbonique qui est le principal gaz à effet de serre (GES) causant le réchauffement climatique. Il est fort troublant qu’

« [e]n 2023, année la plus chaude jamais enregistrée, les résultats préliminaires d’une équipe internationale de chercheurs montrent que la quantité de carbone absorbée par les terres s’est temporairement effondrée. Au final, les forêts, les plantes et les sols n’ont pratiquement pas absorbé de carbone. Des signes d’alerte se manifestent également en mer. […] Seule une grande forêt tropicale humide - le bassin du Congo - reste un puits de carbone important qui absorbe plus de carbone qu’il n’en rejette dans l’atmosphère. […] Les forêts boréales, qui abritent environ un tiers du carbone terrestre et s’étendent sur la Russie, la Scandinavie, le Canada et l’Alaska, ont vu la quantité de carbone qu’elles absorbent chuter de plus d’un tiers en raison des épidémies de coléoptères liées à la crise climatique, des incendies et du défrichement pour l’exploitation du bois.

Patrick Greenfield, Trees and land absorbed almost no CO2 last year. Is nature’s carbon sink failing ?, The Guardian, 14/10/24

Rappelons que « [l]es incendies qui ont ravagé les forêts boréales du Canada en 2023 ont produit plus d’émissions de carbone responsables du réchauffement de la planète que la combustion de combustibles fossiles dans tous les pays sauf trois. »
(Manuela Andreoni, Canada’s Wildfires Were a Top Global Emitter Last Year, Study Says, New York Times, 24/08/24). Depuis 2001, les forêts canadiennes « sous gestion » émettent plus de carbone dans l’atmosphère qu’elles en absorbent et elles le font à un taux croissant (Bary Saxifrage, Our forests have reached a tipping point, Canada’s National Observer, 21/08/23).

On en déduit l’importance cruciale de la préservation et de la restauration de la nature lesquelles sont les trois premières cibles sur vingt-trois du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal issu de la COP15 de Montréal en 2022. Ce cadre est considéré comme l’équivalent de l’accord de Paris de 2015 sur le climat qui définit ce que les pays doivent faire pour maintenir le réchauffement de la planète à 1,5 °C en dessous des niveaux préindustriels. Quelles sont ces trois premières cibles ?

La cible 1 vise à limiter l’artificialisation des milieux naturels, soit « réduire la perte de zones de grande importance pour la biodiversité, y compris d’écosystèmes de grande intégrité écologique, à un niveau proche de zéro d’ici à 2030 ».

La cible 2 requiert la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés,

La cible 3 demande aux états d’établir des zones protégées pour 30 % des terres et des mers. Ce dernier objectif est ambitieux : actuellement, seules 17 % des terres et 8 % des zones marines sont sous protection. Et bien souvent, il ne s’agit que d’une protection toute relative.

Sandrine Maljean-Dubois, La COP16 de Cali peut-elle enrayer l’effondrement de la biodiversité ?, The Conversation, 23/10/24

Ni Ottawa, ni Québec, ni Montréal ne sont sur le point d’atteindre le « 30 X 30 »

Soulignons aussi la cible 12 soit « Accroître significativement les espaces « bleus » et « verts » dans les milieux urbains » ce qui met au défi la Ville de Montréal (Alexis Riopel, Découvrez les 23 cibles de l’accord de Kunming-Montréal sur la biodiversité, Le Devoir, 21/12/22). Où en sont Ottawa et Québec vis-à-vis l’atteinte de la cible trois du Cadre de Kunming-Montréal pour laquelle la COP16 de Cali avait pour but de déterminer le plan d’action ? Pour être poli, disons qu’il y a un rattrapage à faire d’ici 2030. Le Canada, à la fin 2023, était rendu à « 13,7 % de ses terres et de ses eaux douces, dont 12,8 % dans des aires protégées [et]14,7 % de ses milieux marins, dont 9,1 % dans des aires protégées » (Valérie Boisclair, Après l’accord historique sur la biodiversité, que nous réserve la COP16 ?, Radio-Canada, 21/10/24). Côté Québec, « le gouvernement Legault n’entend pas revoir la priorité accordée aux permis d’exploration minière, toujours plus nombreux, plutôt qu’à la protection des milieux naturels sur les terres publiques » :

Milieux terrestres : la superficie totale de protection en milieu continental atteint 255 811 km2, soit 17,68 % du territoire québécois. « Cette superficie comprend les différentes annonces d’intention, dont l’engagement gouvernemental à protéger l’entièreté de l’île d’Anticosti », précise le ministère de l’Environnement du Québec

Milieux marins : la superficie totale de protection en milieu marin est de 16 140 km2, ce qui signifie que le réseau d’aires protégées couvre 10,39 % du milieu marin. « Depuis le 1er janvier 2023, aucune superficie n’a été ajoutée au Registre des aires protégées au Québec en milieu marin et côtier », précise le ministère. Québec travaille cependant avec Ottawa en vue d’agrandir le parc marin du Saguenay–SaintLaurent, et une annonce est prévue en 2025.
Alexandre Shields, L’exploration minière avant la protection du territoire, Le Devoir, 25/10/24

Pour le Grand Montréal, au printemps 2023 on en était à « 22,1 % de milieux naturels couverts par des mesures de protection ou de conservation, ce qui nous rapproche de notre cible de 30 % pour 2030 » avec cette réserve que « des territoires qui jouissent de mesures de conservation [ne sont pas] enregistrés comme aires protégées » alors que le territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) « compte au total 32 % de milieux naturels (protégés ou non) sur son
territoire »
(Isabelle Delorme, Protéger la nature dans une région urbanisée, Le Devoir, 6/05/23).

Qu’en est-il de la Ville de Montréal ? « Ville hôte de la COP15 sur la biodiversité,
Montréal veut augmenter la superficie terrestre d’aires protégées sur son territoire à 10 %, en ajoutant l’équivalent de cinq fois le mont Royal. […] En 2021, la métropole avait pu réaliser un bond important grâce à la création d’un paysage humanisé sur une portion de l’île Bizard, faisant ainsi passer sa superficie d’aires terrestres protégées à 8 % » (Valérie Boisclair, Le défi de protéger la biodiversité à Montréal, Radio-Canada, 9/12/22) En 2019, pour étendre le « Grand Parc de l’Ouest » à partir de parcs existants, la Ville acquiert un terrain pour 73M $ dont une contribution du fédéral de 50M $ (Wikipédia, Grand Parc de l’Ouest).

Toujours à l’ouest de son territoire dans le technoparc lié à l’aéroport, la Ville, en octobre de cette année, « achète un terrain à 30 millions pour la protection des milieux naturels […] projet de conservation, selon la mairesse Plante, [qui] n’aurait pu se réaliser ‘‘sans le combat’’ et ‘‘la ténacité’’ d’un groupe de citoyens. » Notons que pour ce projet, « la Ville de Montréal recevra une aide financière [qui] ‘‘pouvant atteindre 4,4 millions de la part du gouvernement du Québec et de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM)…’’ » (Stéphane Blais - La Presse canadienne, Montréal achète un terrain à 30 millions pour la protection des milieux naturels, La Presse, 16/10/24).

À l’est prolétaire et francophone, rien de nouveau, c’est le règne de la marchandise

À l’Est, c’est plus lent. La raison en est-elle une industrialisation plus ancienne et extensive laquelle est en corrélation avec une population plus ouvrière, plus pauvre, plus francophone ? Toujours est-il que quatre ans après la création du Grand parc de l’Ouest, la Ville y va de la création du Grand parc de l’Est sur le même principe de la liaison d’espaces verts déjà existants à améliorer ou à aménager auxquels on adjoindra des terrains limitrophes au gré d’achats privés (Isabelle Ducas, Le projet de grand parc dans l’Est se précise, La Presse, 12/11/23). Contrairement au Grand parc de l’Ouest, cependant, la Ville n’a pas encore agrandi le Grand parc de l’Est par un achat privé bien qu’un soit en vue (Emmanuel Delacour, Montréal lorgne un terrain pour son Grand parc de l’Est, Est Média Montréal). Il n’est pas question non plus d’apport pécuniaire d’autres niveaux de gouvernement contrairement à l’Ouest. Pour l’Est ajoutons la transformation de l’ancienne carrière Miron devenue dépotoir en parc de type vaste prairie (Andréanne Chevalier,Le parc Frédéric-Back, ou la reconquête écologique d’un dépotoir, Le Devoir, 18/02/23).

On constate que si la Ville veut prendre au sérieux l’atteinte de son humble cible de 10% d’ici 2030 — la nouvelle loi sur l’expropriation, entre autres pour favoriser la protection de la nature, l’avantage (Éric-Pierre Champagne, Une nouvelle loi qui ne fait pas que des heureux, La Presse, 18/12/23) — elle n’y est pas encore, ni en termes de quantité ni de qualité. De plus, son cœur — est-ce par facilité ? — penche plus à l’Ouest qu’à l’Est. Pendant que le régional Grand parc de l’Est à la pointe de l’Île fait pendant, en retard, à celui de l’Ouest, au niveau des grands parcs de quartier du centre-est l’ajout de la friche L’Assomption dans Hochelaga-Maisonneuve complèterait le parc Frédéric-Back dans St-Michel, (le parc
Maisonneuve dans Rosemont-Mercier ouest et le parc-nature de l’Île de la Visitation dans Montréal-Nord).

Pour exproprier et aménager le parc-nature il faut presser le citron marchand

Pour que ce parc nature soit autre chose qu’un semblant de parc, dit « Coulée verte » par la Ville, il faut y ajouter la propriété de Ray-Mont Logistiques qui ne comprend encore aucun bâtiment. En plus de créer un grand parc de quartier manquant, la création du parc-nature l’Assomption, comme déjà souligné, viendrait corriger l’importante nuisance environnementale qu’est une plateforme logistique train-camion où circuleraient cent wagons par jour. Question coût, un acompte de 17M $ déjà accordé à Ray-Mont qui ne l’aurait pas été si la nouvelle loi sur les expropriations, en vigueur seulement depuis décembre dernier, avait pu être appliquée. En plus, une expropriation épargnerait à la Ville les coûts des mesures de mitigation en faveur de Ray-Mont.

Plus globalement, on pourrait penser que la négligence de la Ville à modifier le zonage à temps afin de couper court à la plateforme de Ray-Mont témoignait d’une aspiration à un retour de la vocation industrielle de ce site étant donné son lucratif rendement fiscal. D’autant plus que la construction de la plateforme était certainement un souhait du conseil d’administration du Port de Montréal, en étroite connivence avec Ray-Mont, sous juridiction du gouvernement fédéral et dont le conseil est composé de gens émanant de l’élite affairiste du Grand Montréal nommés par le gouvernement fédéral. Ne manque plus dans le portrait que le gouvernement québécois qui souhaite industrialiser la Vallée du St-Laurent, en particulier le Premier ministre avec son Projet Saint-Laurent qui a relancé sa carrière politique avec la CAQ (Robert Dutrisac, Legault rêve d’une « vallée de l’innovation », Le Devoir, 25/03/13).

Il ne faut pas craindre de mettre à contribution cette panoplie d’opposants davantage branchés sur la libre circulation des marchandises que sur la sauvegarde de la nature et tous imbus de la quasi-religion du sacro-saint droit de propriété en vue du profit. Il faut d’autant plus les faire payer tant pour le coût de l’expropriation et pour les frais d’aménagement du Parc-nature L’Assomption que ni le ministre de l’Environnement du Canada ni celui du Québec n’ont jugé bon de se déplacer pour la COP16 de Cali sur la biodiversité (Alexandre Shields, Steven Guilbeault et Benoit Charette n’iront pas à la COP16 sur la biodiversité, Le Devoir, 30/10/24) dont le mandat était de donner suite au Cadre mondial de la biodiversité de KunmingMontréal issu de la COP15. Cette COP16 s’est finalement terminée en queue de poisson parce que les avaricieux pays riches ont refusé de soutenir les pays pauvres — allô impérialisme — autrement que par des aumônes alors que l’essentiel de la biodiversité à protéger et à restaurer s’y trouve (Benjamin Legendre - Agence France-Presse et Mariette Le Roux - Agence France-Presse,La COP16 se termine sans parvenir à un accord sur le financement, Le Devoir, 2/11/24).

Marc Bonhomme, 4 novembre 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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