Adoptée en Chine en octobre 2021, la Déclaration de Kunming contient 17 objectifs sur lesquels les pays signataires de la Convention sur la diversité biologique (CDB) se sont entendus lors de la première partie de la COP15 sur la biodiversité. L’un de ces objectifs est de protéger 30 % des terres et des mers d’ici 2030, une cible ambitieuse que le Québec s’est déjà officieusement engagé à atteindre.
Dans cette optique, le gouvernement du Québec a annoncé en juin dernier la création de 11 nouvelles aires protégées (soit près de 2 000 km2), principalement situées dans le sud de la province. Il s’agit de projets qui étaient sur la table depuis plusieurs années déjà, mais qui avaient été mis de côté en décembre 2020, dans la foulée de l’atteinte des précédents objectifs d’Aichi, lesquels consistaient à protéger 17 % du territoire pour 2020.
Bien que nous nous réjouissions de cette nouvelle, le gouvernement doit impérativement continuer ses efforts en ce sens s’il souhaite respecter ses engagements d’ici 2030. En effet, la protection du territoire dans le sud du Québec demeure encore largement déficitaire. Pourtant, elle est primordiale.
Voici 5 raisons qui expliquent pourquoi.
1. Plus de biodiversité au sud !
C’est dans le sud du Québec (et du Canada) que l’on retrouve la plus grande diversité d’écosystèmes et la plus forte concentration d’espèces. C’est en particulier dans la zone tempérée nordique que la biodiversité est la plus importante au Québec, plus précisément dans le domaine de l’érablière à caryer cordiforme, dont la grande région de Montréal fait partie. À titre comparatif, une étude de 2005 estime le nombre d’espèces d’animaux vertébrés et de plantes à 2 040 pour la zone tempérée nordique, contre 660 pour la toundra arctique (1). À noter toutefois que cette estimation exclut les plantes dites non vasculaires, qui sont dépourvues de tiges, de feuilles et de racines, comme les mousses et certaines espèces d’algues. Cette biodiversité plus importante au sud est notamment attribuable au climat plus doux et aux substrats (c’est-à-dire les types de sols) plus diversifiés.
Notons également que le sud du Québec et du Canada concentre une plus grande quantité d’espèces menacées et vulnérables que le nord. Protéger le territoire au sud du Québec contribue donc à protéger un plus grand nombre d’espèces !
2. La représentativité du réseau d’aires protégées
Importante pour les négociations du prochain cadre mondial et entérinée officieusement par le Québec, la nouvelle cible de 30 % devra être atteinte au moyen d’un réseau écologiquement représentatif et bien connecté d’aires protégées. Le concept de représentativité est important ; il suppose qu’en protégeant un échantillon représentatif de tous les écosystèmes québécois, on maximise aussi les chances de protéger la majeure partie de la biodiversité présente à l’échelle de la province. Pour y arriver, ce concept doit toutefois s’appliquer partout, au nord comme au sud, même si cela nécessite des efforts supplémentaires au sud, vu la plus grande variété d’écosystèmes qu’on y retrouve.
3. Une meilleure connectivité
Afin de permettre aux espèces de se déplacer entre les différents habitats dont elles ont besoin au cours de leur vie, les aires protégées doivent être bien connectées entre elles. Cette connectivité est d’autant plus importante dans le contexte des changements climatiques. En effet, pour survivre, les espèces doivent s’adapter aux nouvelles conditions climatiques ou, si elles en sont incapables, elles doivent avoir la possibilité de migrer vers le nord, afin de suivre les conditions qui leur sont plus favorables. Au Québec, il est attendu que la niche écologique des espèces se déplace ainsi vers le nord à un rythme de 45 km par décennie (2), d’où l’importance d’un réseau d’aires protégées bien connecté du sud vers le nord !
4. Des pressions plus importantes au sud
Les conditions plus propices rencontrées dans le sud le sont également pour nous ! En effet, c’est dans le sud du Québec que l’on retrouve les plus fortes densités de populations humaines, particulièrement dans les basses-terres du Saint-Laurent. C’est donc le sud du Québec qui subit les pressions de développement les plus importantes et soutenues depuis des décennies. La conversion des milieux naturels en d’autres usages (par exemple l’agriculture, la foresterie, le développement immobilier et industriel) est l’une des plus importantes causes du déclin de la biodiversité, puisqu’elle provoque la destruction, la dégradation et la fragmentation des habitats. De plus, cette pression sur la biodiversité vient s’ajouter à d’autres, comme les changements climatiques, la prolifération d’espèces envahissantes et la pollution (3).
Le fait qu’il y ait plus d’espèces, mais également plus de menaces sur ces espèces, explique aussi pourquoi c’est dans le sud que l’on retrouve le plus grand nombre d’espèces menacées et vulnérables au Québec. Et pourquoi il est urgent d’y créer plus d’aires protégées.
5. De précieux services à la population
La biodiversité soutient le fonctionnement des écosystèmes, lesquels fournissent des services essentiels à notre survie. Il s’agit du concept de services écosystémiques (ou écologiques). Si les écosystèmes qui fournissent ces services n’existaient pas, il faudrait développer des infrastructures artificielles afin de les remplacer. Ces services sont généralement regroupés en quatre catégories, soit les services de régulation (p. ex. la régulation de la qualité de l’air, de l’eau et du climat), les services d’approvisionnement (p. ex. l’alimentation, l’eau potable et les matières premières), les services de soutien (p. ex. le cycle de l’eau et celui des nutriments) et les services culturels (p. ex. le récréotourisme) (4).
Bien qu’il importe de demeurer prudent avec cette approche centrée sur l’humain et que la biodiversité ne doit en aucun temps devenir une valeur marchande, il est possible d’estimer la valeur monétaire de ces services. L’exercice a d’ailleurs été réalisé pour certaines villes de la province, dont celle de Québec. Une étude de 2021 estime ainsi qu’à eux seuls, les arbres présents sur le territoire de la ville fournissent des services écosystémiques d’une valeur totale de 7,5 M$ chaque année, notamment grâce à la séquestration du carbone, la filtration de l’air, le contrôle des eaux de ruissellement, l’épargne d’énergie (climatisation et chauffage), ainsi que leur valeur culturelle (5).
Les services écosystémiques sont d’autant plus importants lorsque l’on parle de changements climatiques. Globalement, les écosystèmes pourraient fournir plus du tiers des efforts mondiaux nécessaires à la lutte et à l’adaptation aux changements climatiques d’ici 2030, grâce à leur capacité d’absorber le carbone. Des écosystèmes en santé permettent également de mieux s’adapter aux conséquences de la crise climatique comme les canicules extrêmes et les inondations, de plus en plus fréquentes dans le sud du Québec. Ces solutions aux changements climatiques fondées sur les écosystèmes sont appelées « solutions nature ». À l’instar des autres services écosystémiques, elles offrent des co-bénéfices importants à la fois pour la biodiversité et la santé humaine.
En somme, comme la majorité de la population du Québec réside dans le sud de la province, on comprend mieux l’importance d’y protéger les écosystèmes qui rendent de précieux services à des millions de personnes.
Malgré tout, ne perdons pas le nord !
Ne nous méprenons pas ; malgré tous les arguments en faveur de la protection du sud du Québec, protéger le territoire nordique demeure important. On y retrouve des écosystèmes uniques, et certaines espèces y sont à la limite sud de leur aire de répartition. Les impacts des changements climatiques se font sentir plus rapidement dans les milieux nordiques, soit de trois à quatre fois plus vite que pour le reste de la planète, selon des études réalisées en 2020 et en 2021 (6). Ces impacts risquent donc d’être particulièrement dramatiques pour les espèces nordiques. Ne pouvant migrer davantage vers le nord, elles seront contraintes à maintenir ou à restreindre leur répartition actuelle, malgré des conditions qui ne conviendront plus, ou mal, à leurs besoins. Les changements climatiques entrent aussi en synergie avec la perte d’habitats pour créer une pression supplémentaire sur ces espèces. Il est donc important de protéger les habitats existants, puisque de ces deux menaces, la perte d’habitats est la menace sur laquelle nous pouvons agir le plus rapidement et efficacement.
Conclusion
La COP15 sur la biodiversité constitue une occasion unique de rappeler au gouvernement du Québec l’importance de protéger le sud de la province. Si les efforts doivent se poursuivre au nord, force est de constater qu’il y a énormément à faire pour freiner la perte d’habitats et d’espèces dans le Québec méridional. Étant donné les vents contraires (industrie forestière, développement immobilier et autoroutier, etc.), cela demandera une bonne dose de courage politique, mais Nature Québec a plusieurs propositions. Nous les aborderons dans un prochain blogue !
Références
(1) – Tardif, B., Lavoie, G. et Lachance, Y., 2005. Atlas de la biodiversité du Québec – Les espèces menacées ou vulnérables. Gouvernement du Québec, ministère de Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Direction du développement durable, du patrimoine écologique et des parcs, Québec. 62 pages.
(2) – Monticone, K., 2019. Les corridors écologiques : un moyen d’adaptation aux changements climatiques. Le naturaliste canadien, 143(1) : p. 107-112.
(3) – Auzel, P., Caillié, B., Dupras, J., Gonzalez A., Lafortune, J., Paris, A., Petit, C. et Vaillancourt, M., 2021. Un Plan Sud pour le Québec – Livre blanc pour la protection de la biodiversité au sud du 49e parallèle. 33 pages et annexes.
(4) – Services Ecosystémiques & Biodiversité | Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (fao.org)
(5) – Wood, S., Dupras, J., Lévesque, A., Kermagoret, C., Bergevin, C., Gélinas, N. et Delagrange, S., 2021. Évaluation et évolution des services écosystémiques dans la région de Québec. 32 pages et annexes.
(6) – Cinq faits à savoir sur le réchauffement du climat en Arctique, selon une écologue | Radio-Canada.ca
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