Édition du 17 décembre 2024

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Conclusion du livre L'économie toxique publié chez M Éditeur

Nous publions la conclusion du livre L’économie toxique paru chez M. Éditeur, En plus de revenir sur les diffférentes contributions du livre, les auteurs, Bernard Élie et Claude Vaillancourt tirent les grandes leçons de ces contributions. (Rédaction de PTAG)

Une question se pose constamment lorsqu’il est question des pratiques économiques nuisibles : pourquoi continue-t-on à les mettre en œuvre ? On pourrait en toute logique tenir compte de leurs effets néfastes et imposer les changements nécessaires.

La réponse à cette question demeure complexe. Elle concerne tant l’état de notre démocratie, le rôle de la classe financière et l’immense pouvoir qu’elle s’est accaparé, l’influence des grands médias qui lui appartiennent et une certaine domestication des classes moyennes, tant par « servitude volontaire », comme le déplorait Étienne de la Boétie, que par le jeu de la propagande, de la publicité, voire de l’épuisement au travail et de l’endettement individuel.

Deux des chapitres de ce livre abordent des difficultés qui ont justement comme conséquence de paralyser le système. L’enseignement d’une pensée unique en économie, ce que déplore Sylvie Morel qui prend le problème à la racine. Cet enseignement forme les expertEs qui sont à l’origine de grandes décisions qui suivront. S’il se limite à un point de vue unique et exclut de cette façon une véritable pensée critique, il devient difficile d’envisager de sérieuses remises en question du système économique en place. L’université ne fait plus que justifier et perpétuer ce qui est établi.

Cette situation a été maintes fois dénoncée. Encore au printemps 2014, 22 associations et collectifs étudiants de 18 pays, qui ont été appuyés par plusieurs économistes réputés, appelaient à un « pluralisme des théories, des méthodes et des disciplines ». Certes, il est toujours difficile d’ébranler les gens qui ont la conviction de détenir la vérité. Mais ia diversité des points de vue doit s’imposer, même si la bataille pour y arriver paraît particulièrement difficile.

Dénoncé par Alain Deneault, le lobbyisme est aussi l’un des plus importants facteurs qui empêchenr les changements. La rapidité et la facilité avec lesquelles les grandes entreprises réussissent à influencer les gouvernements sont trop souvent sidérantes. Pour être écoutéEs des gouvernements, les citoyenNEs doivent avoir recours à des moyens qui demandent une bonne organisation et une énergie considérable. Les citoyenNES doivent procéder avec des ressources financières très limitées et sans garantie de résultats. Leurs démarches sont exigeantes, tenant compte de leurs rnoyens : pétitions, manifestations, conférences, rencontres avec des élUES, tribunes dans les journaux, etc. Elles doivent s’exécuter sur des périodes parfois longues, par des individus qui ont souvent un travail à temps plein. Leur façon de procéder, fragile et aléatoire, contraste fortement avec l’efficacité et le professionnalisme des lobbies.

Les grandes entreprises s’appuient aussi sur des laboratoires d’idées, ou think tanks, grassement financés, qui ont pour fonction d’influencer à la fois les élUES et la population, par des notes économiques, des études et des rapports. Les Heritage Fondation, Cato lnstitute, par exemple, aux États-Unis, les instituts Howe et Fraser au Canada, l’Institut économique de Montréal (IEDM) au Québec promeuvent les différentes tendances de la droite et les intérêts des grandes entreprises. Les progressistes ont répliqué en fondant leurs propres laboratoires d’idées, adoptant les mêmes pratiques, mais défendant des idées opposées. Malgré d’importantes percées médiatiques, leur financement reste considérablement moindre. [1]

Il devient alors pertinent de s’interroger sur j’état de notre démocratie. De nombreux problèmes sont dénoncés sur différentes tribunes, sans que ccla crée des changements significatif : campagnes électorales axées sur les chefs et le spectacle à la place des programmes des partis : jeu de portes tournantes qui permet à des représentants de grandes entreprises d’occuper des postes politiques importants et à des ex-ministres de devenir lobbyistes ; transformation du rôle de l’État, dont l’une des plus importantes missions est d’être au service des entreprises pour leur permettre de réaliser davantage de profits.

De plus, la portée de la démocratie a tendance à se réduire. Par exemple, les accords commerciaux, qui ont des conséquences considérables sur la vie des citoyenNES, sont négociés en secret, adoptés sans véritable consultation publique et demeurent très difficilement réversibles. C’est une caractéristiques des gouvernements qui appuient leurs décisions sur l’avis d’expertEs qui ne sont pas neutres, et éliminent certains sujets essentiels du débat public.

Les gouvernements ont aussi tendance à s’en prendre aux contre-pouvoirs, en particulier s’ils s’ opposent à leurs décisions. L’engagement citoyen est trop souvent réduit à voter tous les quatre ans pour des partis politiques qui ont somme toute peu de comptes à rendre. Pourtant, il est essentiel de maintenir et de subventionner des organisations qui ont à la fois le rôle de chien de garde et font valoir des propositions et des solutions à des problèmes qui ne peuvent venir ni des gouvernements ni des partis ni de l’entreprise privée.

Ces contre-pouvoirs sont aujourd’hui durement attaqués. Le mouvement syndical est en recul dans la plupart des pays, un recul qui correspond inévitablement à une hausse des inégalités. Ces difficultés som souvent liées à des lois qui réduisent la portée de ses actions et compliquent son financement, comme celles adoptées dans plusieurs États américains. L’action communautaire autonome voit son financement réduit par les plans d’austérité adoptés dans de nombreux pays, qui deviennent un prétexte idéal pour limiter son influence. Les groupes écologistes ont connu de nombreuses compressions dans leur financement. Le gouvernement conservateur a été l’un des plus agressifs contre les groupes qui militent pour des idées contraires aux siennes et il ne s’est pas gêné pour éliminer le financement d’organisations féministes et de groupes progressistes travaillant dans l’aide internationale, entre autres. Il s’est en plus attaqué aux scientifiques, en réduisant drastiquement les budgets qui leur sont consacrés. Le gouvernement du Québec s’est lui aussi mis de la partie, en réduisant par exemple les subventions destinées aux groupes œuvrant sur l’environnernent.

Toutes ces mesures rétrécissent considérablement l’espace démocratique. Syndicats, groupes cornmunautaires et ONG contribuent au débat public et à l’ avancée de nouvelles idées, notamment sur le plan de l’économie. Réduire la portée de leurs interventions est non seulement une atteinte à une diversité fondamentale, qui doit exister dans la démocratie, mais aussi une façon d’empêcher des changements au profit du plus grand nombre.

Il devient aussi inévitable d’accuser les médias. Les critiques à propos de leur concentration sont bel et bien incontournables : des conglomérats puissants, liés au grand capital, contrôlent l’essentiel de l’information destinée au grand public. Il va de soi que les grands patrons ne peuvent pas décider de tout ce qui se dit sur les multiples plates-formes où circule l’information. Toutefois, les moyens de contrôle sont bien réels : autocensure des journalistes, dont la marge de manœuvre est limitée, d’autant plus que ces professionnelLEs travaillent dans des conditions grandissantes de précarité ; choix restreint des nouvelles à diffuser ; contribution d’expertEs sélectionnéEs en fonction de leur adhésion aux idées dominantes ; importance accordée aux chroniqueurs de droite à qui l’on donne une grande visibilité, etc. Certes, les médias alternatifs permettent la transmission d’un prisme beaucoup plus large d’idées et d’informations. Mais leur diffusion nettement plus restreinte et leurs moyens financiers beaucoup plus limités ne les rendent pas facilement accessibles à un large public.

Les pratiques économiques que nous avons dénoncées dans ce livre sont toutes reliées à l’idéologie néolibérale. La déréglementation, qui est selon cette idéologie une priorité, a des conséquences dans plusieurs domaines. Dans la circulation des produits financiers, par exemple, ce qui rend pratiquement impossible le contrôle d’opérations financières de plus
en plus complexes et opaques sur les marchés ; dans la conception de la monnaie, qui se fait dans l’intérêt des grandes banques privées ; et jusque dans l’étalement urbain, qui s’amplifie sans la moindre planification. Les paradis fiscaux offrent quant à eux une diversité de services pour échapper aux contraintes encore existantes imposées par un État de droit pourtant ébranlé. La logique d’une consommation à tout prix pour maintenir la croissance pousse les entreprises à concevoir des produits qui ne dureront pas et qu’il faudra inévitablement rernplacer. De même, la nécessité de faire fructifier les actifs des actionnaires exige que l’on trouve les moyens de réduire les salaires autant que possible. L’obsession de la croissance et du profit à tour prix mène aussi à exploiter sans contraintes les énergies fossiles, en dépit des torts considérables causés à l’environnement.

La bataille pour imposer des solutions nouvelles aux problèmes auxquels nous sommes confrontés est donc, d’abord et avant tout, idéologique. Et gagner sur le plan idéologique demeure difficile, d’autant que nous nous heurtons à la fois à des convictions très fortes et à d’immenses intérêts financiers.

Le système économique tel que nous le connaissons a mené à une série de catastrophes, ce que nous avons déjà dénoncé dans un ouvrage précédent : crise économique majeure en 2007-200S, mesures d’austérité qui provoquent une réelle souffrance chez les pauvres et même dans les classes moyennes, réchauffement climatique, ce dont nous commençons à subir les conséquences désastreuses. Sans oublier la croissance des inégalités, dont on parvient de plus en plus mal à trouver une justification.

Sans vouloir être des prophètes de malheur, ii nous semble clair que le système actuel ne peut pas tenir sans déclencher de nouvelles catastrophes. Or, plus on interviendra tôt pour limiter les pratiques économiques que nous avons dénoncées, mieux les populations du monde se porteront. Espérons que les idées présentées dans ce livre se développeront partout dans le monde et mèneront à des décisions éclairées, malgré l’opposition féroce à laquelle elles font face.


[1Au Canada, mentionnons le Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) el, au Québec, l’Institue de techetche et d’informations socio-économiques (IRIS) et l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).

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